La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 2ème partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & Mercredi Saint

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Lors des réformes de 1955, les trois premiers jours de la Semaine Sainte après les Rameaux – les Lundi Saint, Mardi Saint et Mercredi Saint – paraissent à première vue avoir subi moins de modifications que les autres jours. Pourtant, si l’on examine le détail des modifications mineures qui y ont été apportées, on s’aperçoit que ce fut l’occasion pour la Commission pour la Réforme liturgique d’y tester plusieurs innovations, qui souvent ont été étendues par la suite au restant de l’année liturgique. Comme nous l’avons vu pour les Rameaux, ces réformes induisent de fait des complications étranges pour les officiants, puisque on se met à déroger pendant la Semaine Sainte à ce qui se fait d’ordinaire le restant de l’année.

Des modifications en apparence mineures qui pourtant testent des innovations pour des réformes ultérieures

Comme nous l’avons déjà noté pour les Rameaux, et pour toute la Semaine Sainte, les chasubles pliées que portent le diacre et le sous-diacre – et qui marquent dans le rit Romain la pénitence – sont supprimées et remplacées par la dalmatique & la tunique – qui en liturgie romaine sont des signes de joie -, alors même que les chasubles pliées restaient en usage pour l’Avent et le Carême.

Depuis le haut Moyen-Age une tradition voulait qu’on chante les oraisons d’une messe toujours en nombre impair et quasiment jamais en nombre pair (on pouvait donc au Moyen-Age avoir soit une collecte, soit 3, soit même 5, voire 7). Quelque chose de cette tradition est restée dans les livres de saint Pie V, où l’on ajoute à presque toutes les messes, à l’oraison du jour, deux oraisons votives dont le thème varie d’une saison liturgique à l’autre. L’un de ces oraisons votives se voyait remplacée, si besoin, par celle d’une fête occurrente dont on doit faire la commémoraison, mais le nombre des oraisons restait ternaire. Dans le missel avant 1955, exceptionnellement on ne récite lors des trois premiers jours de la Semaine Sainte que deux (et non trois) oraisons (c’est une règle pour tout le Temps de la Passion) : on dit d’abord l’oraison du jour, puis – au choix – soit l’oraison contre les persécuteurs de l’Eglise, soit celle pour le pape. Les réformes de 1955 les suppriment, préludant leur suppression générale ultérieure. Le restant de l’année, ces oraisons votives continuaient d’exister.

Laissons sur ce point la parole à Don Stefano Carusi, ibp, dont la remarquable étude sur la Semaine Sainte vient d’être traduite en français :

“On assiste ici à l’élimination de toutes les allusions à l’existence d’ennemis de l’Eglise. C’est la mentalité des réformateurs, qui veulent occulter par des euphémismes ou par la simple élimination de passages entiers la réalité de la persécution de l’Eglise de la part des forces terrestres et infernales qui luttent contre le Corps Mystique du Christ, aussi bien par la violence que par l’insinuation des hérésies (comme on le lisait dans l’oraison supprimée ici). La même attitude iréniste se retrouvera le Vendredi Saint, attitude candidement avouée par le P. Carlo Braga. Dans le même contexte, on déclarera interdite l’oraison pour le Pape, pratique qui inaugure la réduction systématique de la présence du nom du Pontife Romain dans la liturgie.”

Dans le rit traditionnel, le célébrant d’une messe solennelle lit à voix basse à l’autel toutes les parties de la messe qui sont chantées par le diacre, le sous-diacre ou le lecteur. Dans la réforme de 1955, ce système, appelé communément “doublage”, est abrogé. Bien que le “doublage” des lectures a été ultérieurement supprimé, cette réforme fut initialement appliquée à la seule Semaine Sainte, tandis que les lectures continuaient à être doublées le restant de l’année. Sans entrer dans des considérations historiques sur la justification du doublage, bornons-nous à indiquer qu’une pratique similaire fut connue par Notre Seigneur : le culte synagogal connaissait un système complexe d’une lecture en hébreu traduite à la volée à voix basse puis proclamée en araméen, seule langue entendue par le peuple.

Avant les réformes de 1955, à la fin de l’Offertoire, le célébrant d’une messe solennelle ou d’une messe chantée ne dit à haute voix que les deux premiers mots de l’Orate fratres tourné vers les fidèles, et le reste en silence tandis qu’il se tourne vers l’Orient liturgique, vers le Seigneur. Dans la réforme de 1955, il doit désormais dire tout l’Orate fratres à voix haute (“Clara et elevata voce”). Comme pour le point précédent, une distorsion est ainsi introduite avec la pratique usuelle le restant de l’année, notons que le code de rubrique de 1960 n’a pas modifié ce point par la suite, laissant en l’état la curieuse divergence des pratiques.

Pour être exhaustif, indiquons aussi que les Lundi, Mardi & Mercredi de la Semaine Sainte, dans le Missel de Saint-Pie V, pouvaient connaître la célébration ou la commémoraison de fête de saints (commémoraison également possible à l’office mais pas à la messe des Rameaux). Les réformes de 1955 excluent systématiquement toute commémoraison des saints.

Les passions des Mardi & Mercredi Saint

Chant de la passion par trois diacres sur un ambon antique orienté au Nord
 

Le Mardi Saint est lue la passion selon saint Marc, et celle selon saint Luc le Mercredi Saint.

Nous avons décrit précédemment au cours de l’article consacré au dimanche des Rameaux la manière dont le rit Romain traditionnel faisait lire face au Nord liturgique la passion de saint Matthieu par trois diacres, passion suivie du chant de l’évangile par le diacre de la messe. Nous avons montré combien ce rit vénérable a été profondément bouleversé par les réformes de 1955, sans qu’une logique claire ne se dégage des changements opérés. Le rite traditionnel du chant de la passion était bien sûr identique les Mardi & Mercredi Saint. Les mêmes modifications faites pour les Rameaux sont réitérées en 1955 pour ces deux jours.

Nous avons noté combien était étrange le raccourcissement de la passion de saint Matthieu au dimanche des Rameaux, supprimant plusieurs passages importants, au premier titre celui du récit de l’institution de l’Eucharistie.

On observe curieusement le même phénomène inexplicable pour le Mardi & le Mercredi : on supprime en effet les 31 premiers versets de la passion selon saint Marc et les 38 premiers versets de celle selon saint Luc. Ces suppressions sont déconcertantes car elles frappent à chaque fois le récit de l’institution de l’Eucharistie, qui dès lors n’est plus entendu à aucun évangile de l’année liturgique. Certains avaient bien avancé comme argument le besoin de raccourcir la durée de la cérémonie le jour des Rameaux (où pourtant on ajoute plus de pièces à la procession), mais le même argument ne peut être reçu les Mardi & Mercredi Saint.

Selon Don Stefano Carusi, “l’examen des archives révèle que la Commission avait décidé de ne rien modifier en ce qui concerne la lecture de la Passion, à cause de son institution très antique”. Cette suppression systématique, qu’on retrouvera pour la passion selon saint Jean le Vendredi Saint, dès lors ne laisse pas de surprendre le fidèle. Nul ne sait qui l’a décidée exactement au sein de la Commission, aucun détail n’existe sur les motivations de cette suppression ni sur le moment précis de sa décision.

Face à une telle coupure réalisée systématiquement, on est en droit de s’interroger sur les réelles intentions des réformateurs. A titre personnel, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard ou d’un manque de réflexion de la part d’une commission par ailleurs souvent brouillonne dans la rédaction des nouvelles rubriques. N’y avait pas plutôt dès cette époque la volonté de supprimer le sublime lien organique que la liturgie traditionnelle depuis toujours soulignait entre le sacrifice de l’Eucharistie et le sacrifice de la Croix, lien qui, on le sait, n’est guère en faveur dans la théologie protestante ?

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Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

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14 réflexions au sujet de “La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 2ème partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & Mercredi Saint”

  1. Passionnant !
    Les mots sont plus heureux et mieux choisis que dans la diatribe que l’on trouve sur le site Salve Regina.
    De cette façon la critique reste bienveillante et le temps (ainsi que le ordo 69) apporte donc un débat plus serein sur les rites liturgiques.
    A quand une version pre-55 à Saint-Eugène ?
    (Et qui nous le reprocherait, d’ailleurs ?)

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