Vous êtes chanteurs ou instrumentistes et vous souhaitez vous engager au service de la liturgie traditionnelle, n’hésitez pas à nous rejoindre !

La Schola Sainte Cécile chante dans la basilique Saint-Pierre de Rome au Vatican

Nous offrons des cours de chant gratuits chaque samedi de 16h30 à 17h30 : travail du souffle, pose de voix, vocalises, découverte du chant grégorien et du chant polyphonique.

Les Petits Chantres de Sainte Cécile - maîtrise d'enfants

Votre enfant a entre 8 et 15 ans et souhaite chanter ? Inscrivez-le aux Petits Chantres de Sainte Cécile (filles et garçons). Répétitions le mercredi à 18h30 et le dimanche à 10h30.

Retrouvez les partitions que nous éditons, classées par temps liturgique ou par compositeur. Elles sont téléchargeables gracieusement.

Programme du Jeudi Saint

La Cène - gravure tirée d'un canon pontifical
Saint-Eugène, le jeudi 2 avril 2015, messe solennelle de 21h00, suivie de la procession au reposoir, du dépouillement des autels & de l’office des Ténèbres.
Répétition à 19h30 pour les choristes.

La messe du Jeudi Saint a une importance toute particulière, c’est la solennité commémorative de la dernière Cène qui est aussi la première messe. A Rome, la station est aujourd’hui en l’Archibasilique du Très-Saint-Sauveur (Saint-Jean de Latran), l’église cathédrale du Pape, père de la chrétienté.

Procession du Très-Saint Sacrement au tombeau, après la messe du Jeudi Saint - gravure de PicardLa liturgie de cette messe est tout à fait saisissante et touchante, elle présente en effet une double impression, une impression de joie et une impression de tristesse. C’est d’abord une impression de joie. L’autel est orné ; la croix du maître-autel est voilée de blanc ; le prêtre monte à l’autel en ornements blancs ; on chante le joyeux Gloria qu’on n’a pas entendu depuis longtemps ; pendant le Gloria, on sonne, pour la dernière fois, les cloches. Ensuite, les cloches se taisent. Sur cette fête joyeuse, qui est consacrée à l’institution du Sacrement de l’autel, s’étend soudain alors un voile de profonde tristesse : l’Eglise participe alors à la déréliction & à l’agonie de son Maître au Jardin des Oliviers.

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Enregistrement & photos : sainte messe du dimanche des Rameaux

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Téléchargez les partitions chantées au cours de cette messe & présentes dans cet enregistrement :

Vidéo YouTube de ce dimanche :

Les fichiers MP3 sont téléchargeables ici.

La Schola Sainte Cécile après la messe des Rameaux.
La Schola Sainte Cécile après la messe des Rameaux.

Programme du dimanche des Rameaux

Saint-Eugène, le dimanche 29 mars 2015, grand’messe de 11h.

> Catéchisme sur la Semaine Sainte

“Le dimanche des Rameaux est la porte d’entrée monumentale qui nous introduit dans les saints mystères de Pâques.” (Dom Pius Parsch).

“Le diable fut donc trompé par sa propre malignité ; il fit souffrir au Fils de Dieu un supplice qui est devenu le remède de tous les enfants des hommes. Il répandit le sang innocent qui devait être le prix de la réconciliation du monde, et notre breuvage. Le Seigneur souffrit le genre de mort qu’il avait librement choisi, conformément à ses desseins. Il permit à des hommes furieux de porter sur lui leurs mains impies, et, en accomplissant un crime énorme, elles ont servi à l’exécution des desseins du Rédempteur. La tendresse de son amour était si grande, même envers ses meurtriers, que, suppliant son Père du haut de la croix, il lui demanda non pas de le venger, mais de leur pardonner.”
Homélie de saint Léon, pape, VIème leçon des vigiles nocturnes de ce dimanche, au second nocturne.

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Programme du Vème dimanche de Carême – Sainte Marie l’Egyptienne – ton 1

Paroisse catholique russe de la Très-Sainte Trinité, le dimanche 29 mars 2015 du calendrier grégorien – 16 mars 2015 du calendrier julien, divine liturgie de saint Basile le Grand de 9h15.

Dimanche du ton I de l’Octoèque. En ce jour, Vème dimanche de Carême, le rit byzantin fait mémoire de sainte Marie l’Egyptienne, modèle de la pénitence.

Marie est née en Égypte dans les premiers siècles de la chrétienté, et vécut à Alexandrie où elle arriva alors qu’elle avait 12 ans. Elle vivait dans la luxure, se prostituant dans tous les lieux de débauche de la ville. Un jour, alors qu’elle allait avoir 29 ans, elle rencontra des pèlerins qui partaient pour Jérusalem sur un bateau. Elle décida de les suivre en payant son passage de ses charmes. Ils arrivèrent tous devant la Basilique de la Résurrection, le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix. Tous y entrèrent pour faire leurs dévotions. Mais Marie ne put en franchir le seuil, une force invisible la repoussait chaque fois qu’elle voulait entrer dans le Saint-Sépulchre. Désespérée, elle se tourna alors vers une icône de la Vierge Marie qui gardait la porte et la supplia d’intercéder en sa faveur. Elle put alors enfin entrer dans la basilique, tandis qu’une voix lui disait : « Si tu passes le Jourdain, tu y trouveras le repos ». Elle communia saintement, et partit au-delà du Jourdain, dans le désert. Elle vécut là 47 ans, sans rencontrer âme qui vive, n’ayant pour seule ressource que quelques pains rapportés de Jérusalem, aux prises à de pénibles et intenses tentations. Au bout de cette longue pénitence, elle croise dans le désert l’anachorète saint Zosime qui, après avoir entendu son récit, lui donna la Communion. Marie lui demanda de revenir l’année suivante, au même endroit, afin de lui apporter de nouveau ce sacrement. Saint Zosime revint, et découvrit la sainte couchée sur le sol, morte, la tête tournée vers Jérusalem. Près d’elle se trouvait un message lui demandant de l’ensevelir à la place où elle était. Mais le sol du désert était trop sec et trop dur, et Zosime ne put creuser la tombe. Un lion s’approcha, le saint lui demanda de l’aide, et tous deux purent creuser une fosse et enterrer Marie.

La fête de sainte Marie l’Egyptienne est fixée au 1er avril, mais à partir du XIème siècle, on tint à la commémorer également en ce 5ème dimanche de Carême, afin d’exhorter, par son exemple, les pécheurs à la pénitence.

Il y avait à Paris, jusqu’à la révolution française, une église dédiée à sainte Marie l’Egyptienne (rue de La Jussienne, dont le nom est une déformation de “L’Egyptienne”). La dévotion des parisiens envers cette sainte orientale, sans doute née au moment des Croisades, était grande, aussi le rit parisien contenait-il un office complet de sainte Marie l’Egyptienne. Il reste quelques souvenirs de cette église dont deux magnifiques statues de la sainte déposées à Saint-Germain-L’Auxerrois et une évocation romantique par une fresque de Chasseriau à Saint-Merry.

Aux heures
A tierce : Tropaire du dimanche. Gloire au Père. Tropaire du Triode (Vénérable Marie l’Egyptienne). Et maintenant. Theotokion de tierce. Kondakion : du dimanche.
A sexte : Tropaire du dimanche. Gloire au Père. Tropaire du Triode (Vénérable Marie l’Egyptienne). Et maintenant. Theotokion de sexte. Kondakion : du Triode (Vénérable Marie l’Egyptienne).

Divine liturgie de saint Basile le Grand
Tropaires des Béatitudes : huit tropaires du ton dominical occurrent :
1. Du Paradis l’Ennemi fit chasser Adam * lorsqu’il eut mangé le fruit défendu, * mais par la croix le Christ y fit entrer le bon Larron qui lui criait : Souviens-toi de moi, Seigneur, ** quand tu entreras dans ton royaume.
2. Je me prosterne devant ta Passion * et je glorifie ta sainte Résurrection ; * avec Adam & le bon Larron * je te crie : Souviens-toi de moi, Seigneur, ** quand tu entreras dans ton royaume.
3. Librement, Seigneur sans péché, * tu as souffert la croix & la mise au tombeau ; * mais, comme Dieu, tu es ressuscité, * faisant surgir avec toi * Adam qui s’écrie : Souviens-toi de moi, Seigneur, ** quand tu entreras dans ton royaume.
4. Le temple de ton corps, tu l’as relevé * du tombeau le troisième jour ; * avec Adam, ô Christ notre Dieu, * tu as ressuscité le genre humain, * qui chante : Souviens-toi de moi, Seigneur, ** quand tu entreras dans ton royaume.
5. A ton sépulchre se rendirent de bon matin * les Myrrophores tout en larmes, ô Christ notre Dieu : * elles y trouvèrent un Ange vêtu de blanc, * assis sur la pierre et disant : Que cherchez-vous ? ** Le Christ est ressuscité, ne pleurez plus.
6. Sur la montagne que tu leur avais indiquée * tes Apôtres arrivèrent, Seigneur ; * et, lorsqu’ils te virent, Sauveur, * ils se prosternèrent devant toi ; * vers les nations tu les envoyas ** pour les instruire et baptiser.
7. Devant le Père prosternons-nous, * glorifions le Fils & l’Esprit Saint ; * ensemble chantons d’une même voix : ** Trinité sainte, sauve-nous.
8. Ton peuple te présente, ô Christ, * ta Mère pour intercéder devant toi ; * par ses prières, Dieu de bonté, * montre-nous ta compassion ; * ainsi nous pourrons glorifier, ** Seigneur, ta sainte résurrection.

A la petite entrée :
1. Tropaire du dimanche, ton 1 : La pierre scellée par les Juifs, * et ton corps très pur gardé par les soldats, * Tu ressuscites le troisième jour, ô Sauveur, * donnant la vie au monde. * C’est pourquoi les vertus célestes te crient, ô Donateur de vie : * “Gloire à ta résurrection, Christ, * Gloire à ton royaume ! ** Gloire à ton économie, seul Ami de l’Homme !”
2. Tropaire de la Vénérable Marie l’Egyptienne, ton 8 : En toi, vénérable Mère, la divine image se reflète exactement ; * afin de lui ressembler, tu as pris ta croix & tu as suivi le Christ ; * et par ta vie tu nous apprends à mépriser la chair, qui passe et disparaît, * pour s’occuper plutôt de l’âme, qui vit jusqu’en la mort & par-delà ; * c’est ainsi que ton esprit se réjouit, * vénérable Marie, avec les Anges dans le ciel.
3. Gloire au Père, & au Fils, & au Saint-Esprit.
4. Kondakion de la Vénérable Marie l’Egyptienne, ton 3 : Celle qui s’adonna au vice & aux passions * par la pénitence devient en ce jour une épouse du Christ, * émule des Anges par son genre de vie, * destructrice des démons par les armes de la Croix ; * c’est pourquoi tu apparus, ô Marie, * comme une épouse glorieuse au royaume des Cieux.
5. Et maintenant, & toujours, & dans les siècles des siècles. Amen.
6. Kondakion du dimanche, ton 1 : Ressuscité du tombeau dans la gloire divine, * tu as ressuscité le monde avec toi ; * la nature humaine te chante comme Dieu, * la mort s’évanouit, * Adam jubile, Seigneur, * & Eve, désormais libérée de ses liens, * proclame dans l’allégresse : ** O Christ, c’est toi qui accordes à tous la résurrection.

Prokimen
1. Du dimanche, ton 1 :
℟. Que ta miséricorde soit sur nous, Seigneur, * selon l’espérance que nous avons mise en toi. (Psaume 32, 22).
℣. Justes, exultez dans le Seigneur, aux cœurs droits convient la louange (Psaume 32, 1).
De la Vénérable Marie l’Egyptienne, ton 4 :
℟. Dieu est admirable dans ses saints, lui le Dieu d’Israël (Psaume 67, 36).

Epîtres
Du cinquième dimanche de Carême : Hébreux (§ 3211) IX, 13–20.
Et il y est entré, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle.
De la Vénérable Marie l’Egyptienne : Galates (§ 208) III, 23-29.
Il n’y a plus maintenant ni de Juif, ni de gentil: ni d’esclave, ni de libre ; ni d’homme, ni de femme ; mais vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ.

Alleluia
Du dimanche, ton 1 :
℣. C’est Dieu qui me donne les vengeances & prosterne les peuples sous moi (Psaume 17, 48).
℣. Il multiplie pour son roi les délivrances et montre de l’amour pour son Christ (Psaume 17, 51).
De sainte Marie l’Egyptienne

Evangiles
Du cinquième dimanche de Carême : Marc (§ 47) X, 32-45.
Mais Jésus leur répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire, et être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ?
De la Vénérable Marie l’Egyptienne: Luc (§ 33) VIII, 36-50.
Cette femme se voyant ainsi découverte, s’en vint toute tremblante, se jeta à ses pieds, et déclara devant tout le peuple ce qui l’avait portée à le toucher, et comment elle avait été guérie à l’instant. Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie ; allez en paix.

Mégalinaire de la liturgie de saint Basile le Grand :
En toi se réjouissent, * ô Pleine de grâce, * toute la création, * la hiérarchie des anges * et la race des hommes. * Ô Temple sanctifié, * ô Jardin spirituel, * ô Gloire virginale, * c’est en toi que Dieu s’est incarné, * en toi qu’est devenu petit enfant * Celui qui est notre Dieu avant tous les siècles. * De ton sein il a fait un trône, * il l’a rendu plus vaste que les cieux. * Ô Pleine de grâce, * toute la création se réjouit en toi, ** gloire à toi.

Verset de communion
Du dimanche : Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le au plus haut des cieux. (Psaume 148, 1).
De sainte Marie l’Egyptienne : La mémoire du juste sera éternelle (Psaume 111, 6). Alleluia, alleluia, alleluia.

La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 6ème partie – La Messe des Présanctifiés le Vendredi Saint

La Messe des Présanctifiés du Vendredi Saint forme le 6ème article de notre étude sur la Semaine Sainte et sa réforme opérée en 1955.

Articles précédents :

Dans notre article précédent, nous analysions les modifications apportées au Jeudi Saint traditionnel décidées en 1955 par la Commission pour la Réforme liturgique. Celles apportées au Vendredi Saint sont à la fois plus nombreuses et parfois plus complexes à analyser, leur portée est aussi bien plus lourde de conséquences. Aussi croyons-nous devoir nous excuser par avance auprès de nos lecteurs de la longueur substantielle de cet article.

La Descente de Croix - d'après Charles Le Brun - XVIIème siècle - Messe des Présanctifiés

Synopsis de la messe des Présanctifiés du Vendredi Saint dans les livres liturgiques tridentins

Dans le Missel de saint Pie V, le terme officiel pour qualifier la fonction du Vendredi Saint est Feria Sexta in Parasceve. En grec, le mot Parascève signifie Préparation, terme employé déjà avant les Chrétiens par les Juifs pour désigner la veille du grand jour de Pâques, au cours duquel doivent se faire tous les préparatifs de la fête. Ce terme apparait dans les quatre évangiles (Matthieu XXVII, 62Marc XV, 42Luc 23, 54Jean XIX, 31). Au lieu de le rendre par un équivalent latin, les traducteurs de la Vetus Latina puis saint Jérôme dans la Vulgate ont choisi de garder le terme grec. Les différents rits latins (romain, ambrosien, mozarabe) ont conservé ce terme pour désigner le Vendredi Saint. Le terme de Parascève est attesté en français depuis la fin du XIIIème siècle.[1]

La messe de ce jour est une Messe des Présanctifiés, c’est-à-dire une liturgie des dons présanctifiés : liturgie originale où l’on ne consacre pas de nouveaux oblats, mais où l’on emploie ceux précédemment consacrés à une autre messe. C’est l’unique liturgie de présanctifiés du rit romain. Dans le rit byzantin, une liturgie similaire des présanctifiés existe pendant le Grand Carême.[2] Les livres liturgiques byzantins la placent du reste sous le patronage de saint Grégoire le Grand, pape de Rome. Il se trouve que cette liturgie semble en effet avoir été organisée et réglée à Byzance au VIème siècle, moment où saint Grégoire fut diacre apocrisiaire auprès du patriarche de Constantinople.[3]

A Rome, le Pape célébrait la Messe des Présanctifiés en la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem, l’antique palais du Sessorium que l’impératrice sainte Hélène avait converti en église, en y étendant de la terre du Golgotha et en y déposant des reliques de la passion du Christ. Le Missel romain de saint Pie V indique encore que la station papale se fait en ce jour à Sainte-Croix de Jérusalem. Lorsqu’en 628 l’empereur Héraclius repris aux Perses qui l’avaient volé le bois de la vraie Croix, il en fit trois parties, une pour Jérusalem, la seconde pour Constantinople et la troisième fut envoyée à Rome et déposée dans la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem. Il faut donc se figurer que toute la cérémonie de l’adoration de la Croix de la Messe des Présanctifiés – cérémonie qui reprend des éléments de la liturgie byzantine – fut faite à Rome par le Pape avec le bois même de la Vraie Croix ! Cela devait être particulièrement poignant de dévoiler ce bois sacré en chantant, comme on le verra : Ecce lignum Crucis, in quo salus mundi pependit – Voici le bois de la Croix, sur lequel fut pendu le salut du monde.

Si la Messe des Présanctifiés n’a pas de canon et donc de récit de l’Institution et de consécration, elle n’en demeure pas moins une messe, une liturgie eucharistique, tant dans l’esprit des livres liturgiques romains que byzantins, arméniens ou syriaques.  Aussi, dans le rit romain traditionnel, les cérémonies qui y sont accomplies le sont comme elles l’auraient été dans n’importe quel autre messe. Ce point doit être retenu avec attention car nous verrons que la réforme de 1955 cherchera à le modifier dans les plus infimes détails.

Voici comment se déroule la Messe des Présanctifiés, au jour de la Parascève, dans le rit romain traditionnel :

I. Messe des catéchumènes

Le clergé entre entre en procession sans encens ni chandeliers d’acolyte. Les ornements que portent le prêtre et ses ministres sont noirs, comme à une messe des morts (puisqu’on célèbre la mort du Christ). Le prêtre porte une chasuble (comme à toute messe) ; le diacre porte lui une étole diaconale et une chasuble pliée, et le sous diacre une chasuble pliée, comme à toutes les messes de Carême et de pénitence.[4] Arrivé au chœur, les clercs génuflectent vers la croix qui est restée voilée sur l’autel[5] et vont s’agenouiller à leurs places dans les stalles. Le sous-diacre, le diacre et le célébrant font aussi la génuflexion à la croix en arrivant dans le sanctuaire puis se prosternent de tout leur long par terre pendant quelques minutes (traditionnellement, le temps de réciter mentalement le psaume 50 Miserere mei Deus).

La Messe des Présanctifés - 01 - Les acolytes déploient la nappe sur l'autel pendant que le célébrant et ses ministres sont prosternés.
01 – Les acolytes déploient la nappe sur l’autel pendant que le célébrant et ses ministres sont prosternés.

Les acolytes se lèvent, vont prendre une seule nappe à la crédence et l’étendent sur l’autel. Cette nappe unique symbolise le suaire dont on a enveloppé le corps de Notre Seigneur après sa mort, l’autel en liturgie figurant toujours le Christ, qui est à la fois Prêtre, Autel & Victime.

Cette nappe est placée au début de la Messe des Présanctifiés sur l’autel afin de signifier que tout ce qui va être accompli sera la représentation de la mort du Christ. Le Missel est placé également sur l’autel, côté évangile, comme au début de n’importe quelle messe.

La Messe des Présanctifés - 02 - Un lecteur lit la prophétie d'Osée que le célébrant lit au missel à l'autel.
02 – Un lecteur lit la prophétie d’Osée que le célébrant lit au missel à l’autel.

Le célébrant et ses ministres se lèvent alors, génuflectent et montent à l’autel. Le célébrant baise l’autel en son milieu puis va au missel, comme à n’importe quelle autre messe, tandis que le lecteur commence la prophétie (ou première lecture), tirée du prophète Osée (VI, 1-6). Il n’y a donc pas d’introït, de Kyrie ni de première oraison, la messe commence de façon très dépouillée, comme cela se pratiquait encore à la fin du IVème siècle à Rome[6].

Un trait suit, qui est tiré du cantique du prophète Habacuc (III, 1-3). Puis vient une oraison, selon le schéma classique du rit romain – Lecture prophétique / Psalmodie (graduel ou trait) / Oraison – qui s’observe aux Quatre-Temps, aux vigiles de Pâques et de Pentecôte et à plusieurs messes fériales importantes du Carême.

Pour cette oraison, comme à une messe quadragésimale, le célébrant – qui est resté à l’autel avec ses ministres en ligne derrière lui – chante Oremus, le diacre invite les fidèles à s’agenouiller en chantant Flectamus genua puis – après un temps de silence et de recueillement – le sous-diacre chante Levate. L’oraison est la même qu’à la messe de la Cène du Seigneur de la veille – Deus, a quo et Judas – et met en parallèle la trahison de Judas le Jeudi Saint et la confession de foi du Bon Larron le Vendredi Saint, et se termine sur la perspective de la résurrection.

Deus, a quo et Judas reátus sui pœnam, et confessiónis suæ latro præmium sumpsit, concéde nobis tuæ propitiatiónis efféctum : ut, sicut in passióne sua Jesus Christus, Dóminus noster divérsa utrísque íntulit stipéndia meritórum ; ita nobis, abláto vetustátis erróre, resurrectiónis suæ grátiam largiátur.

Dieu de qui Judas a reçu le châtiment de son crime, et le Larron la récompense de sa confession, accorde-nous l’effet de ta propitiation ; de sorte que Jésus-Christ, notre Seigneur, – qui dans sa passion a rendu à l’un et à l’autre selon leurs mérites, nous ôte l’antique erreur et nous dispense la grâce de sa résurrection.

Cette oraison commune aux deux messe du Jeudi et du Vendredi Saint affirme magnifiquement l’unité théologique du Mystère pascal. La façon de chanter cette oraison est absolument commune (on s’incline vers la croix de l’autel à Oremus et au nom de Jésus, la conclusion longue est employée).

Puis pour l’épître, le sous-diacre chante sur le ton commun le passage de l’Exode où la première Pâque – la sortie d’Egypte – fut instituée (Exode XII, 1-11). Ce passage de l’Exode sera lu une seconde fois à la Vigile pascale, comme 9ème prophétie. La suite du texte de l’Exode décrit minutieusement la préparation de l’agneau pascal. Saint Jean – dont la Passion sera chantée juste après – citera le 46ème verset de ce chapitre de l’Exode – Pas un de ses os ne sera brisé – pour marquer que le Christ est bien le nouvel Agneau pascal. Cette lecture de l’Exode est à nouveau suivie d’un trait (Psaume CXXXIX, 2-10 & 14).

La Messe des Présanctifés - 03 - Les trois diacres chantent la Passion tournés vers le Nord comme pour tout évangile.
03 – Les trois diacres chantent la Passion tournés vers le Nord comme pour tout évangile.

Trois diacres chantent alors la Passion selon saint Jean (du chapitre XVIII 1 au chapitre XIX, 37), exactement de la même façon que furent chantées celle de saint Matthieu le dimanche des Rameaux, celle de saint Marc le Mardi Saint et celle de saint Luc le Mercredi Saint. Après le chant de la Passion, comme nous l’avons décrit pour les Rameaux, le diacre de la messe chante comme évangile la suite de la passion de Jean qui raconte l’ensevelissement du Christ (Jean XIX, 38-42). Le diacre, le sous-diacre et les acolytes suivent alors le rite habituel de toute messe pour le chant de l’évangile, que le diacre chante à l’emplacement habituel. Toutefois, à la différence du dimanche des Rameaux et des messes des Mardi et Mercredi Saint, le rite suivi ici est précisément celui d’une messe de Requiem : le diacre récite le Munda cor mais n’est pas béni par le prêtre, on n’encense pas et les acolytes ne prennent pas leurs chandeliers. Après l’évangile, l’évangéliaire n’est pas apporté à baiser au célébrant, lequel n’est pas encensé par le diacre.[7]

II. Les oraisons

La Messe des Présanctifés - 04 - Pendant le chant des 9 oraisons - le diacre porte le stolon - les ministres sont rangés derrière le célébrant côté épître.
04 – Pendant le chant des 9 oraisons – le diacre porte le stolon – les ministres sont rangés derrière le célébrant côté épître.

Après l’évangile, le célébrant se place côté épître devant le missel, avec le diacre et le sous-diacre en ligne derrière lui – comme pour une oraison chantée d’une messe donc -, et commence le chant de neuf oraisons.

Celles-ci sont vraiment très anciennes et représentent peut-être la prière ordinaire de l’Eglise de Rome des IVème et Vème siècle. Chaque oraison se compose d’une sorte d’invitatoire à la prière, où est présentée l’intention de celle-ci, que chante le prêtre les mains jointes, suivi d’un Oremus, d’un Flectamus genua du diacre et d’un Levate du sous-diacre. Puis vient l’oraison proprement dite, que le prêtre chante sur le ton férial les mains étendues.

La Messe des Présanctifés - 05 - Chant des 9 oraisons - le sous diacre porte la chasuble pliée.
05 – Chant des 9 oraisons – le sous diacre porte la chasuble pliée.

III. Adoration de la croix

Après les oraisons, le célébrant et ses deux ministres vont à la banquette, retirent leurs manipules. Le célébrant dépose sa chasuble noire, le sous-diacre sa chasuble pliée noire. Le diacre avait déjà déposé sa chasuble pliée noire pour le chant de l’évangile de la messe, pour lequel il avait pris le stolon ou étole large (originalement, une chasuble roulée en travers sur ses épaules), qu’il conserve.

Le diacre va alors chercher la croix voilée du maître-autel et l’apporte au prêtre. On procède au dévoilement de la croix en trois étapes :

1. Le célébrant, qui s’est placé au coin postérieur de l’autel, côté épître (en ligne avec les chandeliers), reçoit la croix du diacre. Le célébrant découvre la partie haute de la croix, jusqu’à la traverse, de sorte qu’on ne puisse voir la tête du Christ. Il l’élève des deux mains, tournée vers le peuple, le diacre et le sous-diacre à ses côtés, à demi tournés vers la croix. Le célébrant chante une première fois Ecce lignum Crucis & ses ministres continuent avec lui pour chanter la suite : In quo salus mundi pependit. Le chœur répond Venite, adoremus. Tous s’agenouillent alors pour adorer le Christ, sauf le célébrant qui tient la croix.

La Messe des Présanctifés - 06 - Avant la seconde étape du dévoilement de la croix de l'autel.
06 – Avant la seconde étape du dévoilement de la croix de l’autel.

2. La même cérémonie se reproduit une seconde fois, cette fois au coin antérieur de l’autel, côté épître. Le prêtre dévoile cette fois le bras droit & la tête du Christ, et entonne un ton plus haut Ecce lignum Crucis qui est poursuivi par les ministres et auquel on répond comme précédemment.

La Messe des Présanctifés - 07 - La croix de l'autel est dévoilée et présentée au centre du marchepied de l'autel.
07 – La croix de l’autel est dévoilée et présentée au centre du marchepied de l’autel.

3. La même cérémonie est effectuée une troisième fois devant le milieu de l’autel, le célébrant découvre complètement le crucifix cette fois et entonne l’Ecce lignum Crucis un ton plus haut. Après le 3ème Venite, adoremus, tous demeurent à genoux cette fois, tandis que le célébrant va seul au lieu que les acolytes ont préparé pendant le chant des oraisons.

Ce lieu est en général au milieu du sanctuaire. Les acolytes y ont disposé un tapis violet, sur lequel ils ont posé un coussin violet. Sur le coussin, ils ont disposé un large voile blanc qui figure le Saint Suaire. Le célébrant ayant déposé le crucifix sur ce suaire, tous se lèvent. Le célébrant et ses deux ministres génuflectent devant la croix et vont à la banquette retirer leurs chaussures, ce que font aussi tous les clercs dans le chœur. En effet l’adoration de la croix est faite pieds nus, en signe de pénitence. Le chœur commence à chanter les pièces que prévoient le Missel pour l’adoration de la Croix :

  • Les impropères – ou reproches -, en deux parties. Dans la première partie, se répète le Trisaghion en grec et en latin. Dans la seconde partie, le verset Popule meus sert de refrain.
  • L’antienne Crucem tuam adoramus, dont le texte est aussi employé par le rit byzantin pour l’adoration de la Croix que fait ce rit au milieu du Carême.
  • L’hymne Pange lingua / Crux fidelis composée au VIème siècle par saint Venance Fortunat, évêque de Poitiers, lors de la susception dans cette ville des reliques de la vraie Croix par la reine de France sainte Radegonde.
La Messe des Présanctifés - 08 - Adoration de la Croix à la manière traditionnelle par le diacre et le sous-diacre - la croix est posée sur le suaire.
08 – Adoration de la Croix à la manière traditionnelle par le diacre et le sous-diacre – la croix est posée sur le suaire.

Le célébrant, le diacre, le sous-diacre, les deux acolytes puis le clergé présent dans le chœur va adorer deux par deux le Christ en croix de la façon suivante : chacun va faire trois génuflexions à deux genoux tout en s’inclinant profondément. La troisième se fait juste devant le crucifix, dont on embrasse les pieds.[8] On se relève, génuflecte une dernière fois et on retourne à sa place se chausser. Le célébrant, le diacre et le sous-diacre retournent à la banquette quand ils ont adoré la croix, et reprennent leurs vêtements liturgiques : chasuble pour le prêtre et chasubles pliées pour ses ministres.

Le premier acolyte, ayant fini son adoration, prend le missel sur l’autel et vient s’agenouiller en le tenant ouvert devant le prêtre, le diacre et le sous-diacre, qui lisent alors en secret le texte des impropères que chante le chœur, comme ils liraient en commun certaines parties d’une messe le reste du temps (le Credo par exemple).

Une fois que tout le clergé a adoré la croix, on déplace celle-ci sur son suaire, supportée par son coussin, à l’entrée du chœur, et les fidèles viennent deux à deux adorer la croix, pieds nus, de la même façon que les clercs viennent de le faire.

Dès que le célébrant & ses ministres ont fini de lire les impropères, on allume les cierges de l’autel. Le diacre, comme à une messe ordinaire, va à la crédence, prend la bourse et le corporal, ainsi qu’un purificatoire, et monte à l’autel, où il ouvre la bourse, déploie le corporal et place le purificatoire à côté.

Une fois que tout le peuple a adoré la croix, les acolytes la rapportent vers l’autel. Tous génuflectent sur le passage de la croix lorsqu’elle traverse le chœur. Les acolytes remettent la croix au diacre qui la replace avec révérence au centre de l’autel.

IV. Procession du Très-Saint Sacrement

Le Saint Sacrement est alors ramené du reposoir, au cours d’une procession solennelle totalement symétrique de celle qui eut lieu la veille à l’issue de la messe du Jeudi Saint.

La Messe des Présanctifés - 09 - Encensement du Très-Saint Sacrement au reposoir - l'urne est ouverte et l'on aperçoit le voile du calice qui recouvre et est attaché au calice.
09 – Encensement du Très-Saint Sacrement au reposoir – l’urne est ouverte et l’on aperçoit le voile du calice qui le recouvre et est attaché au nœud du calice.

Tout le clergé, prêtre y compris, va au reposoir par le plus court chemin. Le sous-diacre marche en tête en portant la croix, encadré par deux acolytes tenant leurs chandeliers allumés. Parvenus au reposoir, tout le clergé allume des torches qu’on n’éteindra qu’après la communion. Le célébrant et ses ministres se mettent à genoux devant le reposoir, pour adorer le Seigneur quelques instants. Le diacre se lève et va ouvrir l’urne qui contient le calice et la patène renfermant la grande hostie consacrée la veille. Le célébrant se lève, et comme la veille, impose l’encens sans le bénir dans deux encensoirs. Se mettant à genoux, il encense le Très-Saint Sacrement. Le diacre retire alors le calice avec le Corps du Christ de l’urne du reposoir, le donne au célébrant et pose sur ses épaules le voile huméral blanc.

La Messe des Présanctifés - 10 - Procession ramenant le Très-Saint Sacrement depuis le reposoir.
10 – Procession ramenant le Très-Saint Sacrement depuis le reposoir.

On déploie le dais au dessus du célébrant portant le corps du Seigneur et on retourne avec solennité au chœur en procession, tandis qu’on chante la fameuse hymne composée par saint Venance Fortunat au VIème siècle pour la sainte Croix : Vexilla Regis prodeunt – Les étendards du Roi s’avancent. Pendant toute la durée de cette procession glorieuse, deux acolytes encensent à tour de rôle sans discontinuer le Corps du Christ.

Cette procession solennelle avec le Corps du Christ n’est pas sans rappeler la procession de la grande entrée, à l’offertoire de la liturgie byzantine des présanctifiés : le célébrant fait de même une entrée solennelle au sanctuaire avec le Corps du Christ porté dans un calice.

La Messe des Présanctifés - 11 - Fin de la procession - dans le chœur on emploie l'ombrellino en place du dais.
11 – Fin de la procession – dans le chœur on emploie l’ombrellino en place du dais.

Lorsque la procession arrive à l’autel, le diacre reçoit le Saint Sacrement des mains du prêtre, pose le calice sur le corporal au centre de l’autel, et défait le ruban qui retient le voile au calice. Il dispose du reste alors ce voile de la même manière qu’un voile de calice comme pour une messe ordinaire. Il retourne s’agenouiller avec le prêtre et le sous diacre devant l’autel et le prêtre encense encore le Très-Saint Sacrement posé sur l’autel. Commence alors la partie originale du rite des présanctifiés.

La Messe des Présanctifés - 12. - Le diacre arrange le voile sur le calice.
12. – Le diacre arrange le voile sur le calice.
La Messe des Présanctifés - 13 - Le Très-Saint Sacrement est encensé par le célébrant.
13 – Le Très-Saint Sacrement est encensé par le célébrant.

V. La messe des présanctifiés

La Messe des Présanctifés - 14 - Le Très-Sacrement est retiré du calice et posé sur le corporal.
14 – Le Très-Sacrement est retiré du calice et posé sur le corporal. Le calice est rempli de vin et d’un peu d’eau.

Le célébrant et ses ministres montent à l’autel et génuflectent. Le diacre retire le voile du calice, la patène et la pale, puis tient des deux mains la patène au dessus du corporal. Le prêtre prend alors le calice et fais glisser la grande hostie qu’il contient sur la patène, puis pose le calice sur le corporal. Il reçoit du diacre la patène et dépose l’hostie consacrée sur le corporal. Le diacre verse ensuite le vin dans le calice, et le sous-diacre un peu d’eau, comme à l’offertoire d’une messe. Le diacre donne le calice au prêtre, qui le replace sur le corporal et le couvre de la pale. Toutes les prières habituelles de l’offertoire – offrande du pain et du vin en vue du sacrifice, invocation de l’Esprit Saint sur les offrandes – sont ici totalement omises. Cette omission est intéressante car significative : on n’offre pas le pain, puisqu’il est déjà le Corps du Christ, on n’offre pas le vin, car il ne deviendra pas le Sang du Christ.

Cependant, le célébrant procède à l’encensement des oblats, de la croix et de l’autel, comme à l’offertoire ordinaire, avec les prières usuelles, mais il n’est pas encensé et on n’encense personne. Il génuflecte avec ses ministres à chaque fois qu’il passe devant le Corps du Seigneur. Il se lave les mains à l’ordinaire côté épître, mais sans accompagner ce lavabo du psaume habituel. Il revient au centre de l’autel pour dire la prière d’offertoire habituelle In spiritu humilitatis, laquelle indique bien qu’on accomplit un sacrifice (& sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie). Puis il baise l’autel et il se tourne à moitié, côté évangile, afin de ne pas tourner le dos au Saint Sacrement et dit : Orate fratres, invitation qui indique bien la réalisation d’un sacrifice : ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem.

La réponse habituelle Suscipiat n’est pas faite par les ministres, mais le célébrant passe directement au Pater, en omettant tout le canon de la messe (puisque l’hostie est déjà présanctifiée). Le Pater noster est chanté comme à l’ordinaire par le célébrant, sur le ton férial. A la suite du Pater, le célébrant chante les mains étendues le Libera nos, quæsumus Domine sur le ton férial des oraisons (là où d’ordinaire, il le récite en secret), en omettant du coup tous les gestes de la fraction de l’hostie qu’il accomplit à cet endroit en temps normal.

A ce moment-là, le célébrant procède à l’élévation de l’hostie, qui est faite comme à une messe ordinaire et qui symbolise plus particulièrement en ce jour l’élévation du Corps du Christ sur la Croix, qui offre son sacrifice parfait au Père éternel : le diacre et le sous-diacre s’agenouillent un peu derrière le célébrant pour soulever sa chasuble. On utilise les crécelles à la place des clochettes, mais on n’encense pas.

Les ministres s’étant levés, le diacre découvre le calice. Le célébrant fait ensuite en silence la fraction de l’hostie, il la rompt en trois parts de la manière habituelle et laisse tomber la petite parcelle dans le calice comme à l’ordinaire. Puis il omet tout (Pax Domini, baiser de paix, Agnus Dei, etc…) jusqu’à la troisième oraison secrète avant la communion du célébrant (Perceptio Corporis tui). Notons que la seconde de ces oraisons secrètes – Domine Jesu Christe -, ici omise, fait référence au Corps et au Sang du Seigneur, ce qui n’est pas le cas de Perceptio Corporis tui qui elle ne parle que du Corps.

La Messe des Présanctifés - 15 - Communion du célébrant.
15 – Communion du célébrant.

Le célébrant communie au Corps du Christ de la manière habituelle avec les oraisons communes. Puis il communie à la parcelle dans le calice et consomme le vin de celui-ci, mais en silence, sans les prières habituelles pour la communion au Sang du Christ.

Le célébrant est seul à communier en ce jour, selon un usage fort ancien. (A noter que seul le rit latin fait communier le célébrant le Vendredi Saint lors de la Messe des Présanctifiés. En Orient, le Vendredi Saint est un jour a-liturgique, sans célébration eucharistique ni communion, dans certains rits comme le rit byzantin, c’est même le seul jour de l’année où l’on ne peut pas communier).

Le célébrant purifie ses doigts et celle du calice comme à l’ordinaire, et dit incliné à voix basse devant l’autel l’oraison habituelle Quod ore sumpsimus, mais omet la seconde, Corpus tuum, Domine, quod sumpsi, & Sanguis quem potavi, pour la même raison que précédemment : il communie bien au Corps du Christ mais pas au Sang du Christ.

Le sous-diacre redispose le calice avec son voile comme à une messe puis le porte à la crédence, le diacre dépose son stolon pour reprendre sa chasuble pliée, comme à une messe de Carême. Tout le reste de la messe (antienne de communion, Postcommunion, Benedicamus Domino, Placeat, bénédiction, dernier évangile) est omis, le célébrant & ses ministres génuflectent devant l’autel et regagnent en silence la sacristie puis, après qu’on a dépouillé l’autel et n’y avoir laissé que la croix – désormais dévoilée – et ses chandeliers, on commence les vêpres.

Comme l’autel du reposoir a été ôté, et que tous les tabernacles sont vides et laissés ouverts[9], l’église – où domine la croix du Seigneur – semble alors comme vide de la présence divine, sentiment qui marque puissamment la mort du Christ et représente symboliquement ce moment si particulier du Samedi Saint qui commence dès les vêpres : la mise au tombeau et la descente de Notre Seigneur aux Enfers.[10]

VI. Conclusion sur le rit traditionnel de la Messe des Présanctifiés

La Messe des Présanctifiés du Vendredi Saint romain présente certains aspects qui pourraient surprendre une mentalité moderne. Pourtant la logique d’ensemble est clairement là : il s’agit bien d’une messe, d’une liturgie eucharistique, dont l’ordonnancement suit celle d’une messe de funérailles. Si le canon est omis, la fraction de l’hostie – qui pour les premières communautés chrétiennes apostoliques et post-apostoliques était la dénomination commune de la messe – y est en revanche bien présente[10].

La Messe des Présanctifiés n’est pas un simple service de communion mais bien une messe, afin d’exprimer le lien théologique profond entre l’Eucharistie et le Calvaire et souligner qu’il s’agit bien du même & unique sacrifice du Christ.

Pourquoi, comme en Orient, usait-on de vin qu’on versait dans le calice ? Ce vin n’était pas présanctifié, contrairement au Corps eucharistique consacré la veille.  Certes, l’Eglise n’a jamais professé que ce vin devenait automatiquement le Sang du Christ par intinction avec le Corps et nous avons vu que la Messe des Présanctifiés du Vendredi Saint omet très soigneusement toutes les prières habituelles où il est question du Sang du Christ. Pourquoi donc cet usage du vin dans le calice, usage que nous partagions avec les Orientaux ? La réponse principale ce me semble est qu’il faut que les deux matières du sacrifice soient réunies pour qu’il y ait sacrifice. Si on n’utilisait dans cette messe que le pain eucharistique, ce ne serait plus une messe, un sacrifice, mais une simple communion en dehors de la messe.

Il y a aussi un avantage pratique à l’usage d’un calice rempli de vin : le prêtre pourra faire ses ablutions comme à l’ordinaire après avoir communié.

Ce rite d’une noble simplicité est porteur d’un sens profond car il proclame de façon visible l’unicité du sacrifice du Christ, liant indéfectiblement le Jeudi Saint et le Vendredi Saint, le sacrifice de la Cène et le sacrifice de la Croix. Le sacrifice accompli le Jeudi à la Cène est consommé le Vendredi sur la Croix.

Vendredi Saint Passion

Synopsis de la nouvelle célébration du Vendredi Saint dans la réforme de 1955 – la fin de la messe des Présanctifiés

La réforme de 1955 s’est attachée à supprimer jusque dans les moindres détails tout ce qui marquait le caractère d’une messe dans les Présanctifiés traditionnels.

Un premier changement significatif est opéré par celui des titres officiels de ce jour, qui ne s’appelle plus Feria Sexta in Parasceve – Vendredi de la Parascève mais désormais Feria Sexta in Passione et Morte Domini. Comme Mgr Gromier l’a rappelé, en latin chrétien, le mot de Passion inclut nécessairement la mort du Seigneur. Il y a donc ici un pléonasme. La Missa Præsanctificatorum – Messe des Présanctifiés  disparait et à sa place on invente le titre suivant : Solemnis actio liturgica postmeridiana in Passione et Morte Domini – Solennelle action liturgique de l’après-midi de la Passion et de la Mort du Seigneur, titre aussi long que vague !

Cette appellation, peu compréhensible, a souvent été rendue autrement en français dans les missels de fidèles édités à partir de 1956. On y trouve en général Mémorial de la Passion et de la Mort du Seigneur, qui, si elle se trouve moins alambiquée, ne désigne pas non plus une réalité liturgique bien claire.

Cette nouvelle action liturgique a été découpé en quatre parties dont nous reprendrons les intitulés.

I. Lectures & passion

L’autel est désormais complètement nu, y compris de sa croix et de ses chandeliers. Les inclinaisons liturgiques habituelles qu’on doit faire en se tournant vers la croix de l’autel (à Oremus, ou encore au nom de Jésus par exemple) se font désormais vers le vide.[12]

Au début de l’action, le célébrant et ses ministres sont justes vêtus d’aubes, d’amicts et de cordons, avec étoles noires pour le célébrant et le diacre. La rubrique ne précise pas si on doit prendre les manipules ou pas.[13] En tout cas aucun ne doit porter de chasuble, chasuble pliée ni même de dalmatique ou tunique. Pendant le cours de la nouvelle action, il y aura pas moins de trois changements de vêtements liturgiques.

L’arrivée devant l’autel et la prostration du célébrant et de ses ministres se déroule comme dans le rit traditionnel. Cependant, on ne déploie plus de nappe sur l’autel à ce moment-là.

Seul le prêtre se met ensuite debout à la fin de la prostration, le diacre et le sous-diacre se mettent désormais à genoux à ses côtés. Le prêtre ne monte pas à l’autel pour dire la nouvelle première oraison que la commission ajoute à cet endroit, au lieu de commencer directement par la première leçon comme précédemment.

Cette oraison, Deus qui peccati veteris hereditariam mortem, est tiré du Sacramentaire gélasien où elle figure comme seconde et non première oraison du Vendredi Saint, la première oraison du Gélasien étant Deus, a quo & Judas comme dans le Sacramentaire grégorien et le Missel de saint Pie V. Dans le Sacramentaire gélasien, cette prière est dite à l’autel, précédée du dialogue habituel qui introduit ce type d’oraison quadragésimale : Oremus – Flectamus genua – Levate et elle suit la première lecture. Cette oraison gélasienne était restée en usage en France comme seconde oraison du Vendredi Saint dans certains rits diocésains jusqu’au XVIIIème siècle.[14]

Ce qui est tout de même très étrange mais très significatifs, c’est que le célébrant ne doit pas dire cette oraison à l’autel mais in plano, au milieu du chœur. On l’ampute également de son dialogue introductif, devenu inutile puisque tout le monde est resté à genoux. Mais c’est toutefois bien étrange de commencer une oraison ex abrupto sans la moindre invitation faite au peuple à prier. La prière se termine par la conclusion courte – Per Christum Dominum nostrum. ℟. Amen. -, comme une mémoire de vêpres, alors que cette conclusion brève n’est jamais utilisée à la messe.

Les trois ministres se rendent alors à leur siège, la rubrique précise que le célébrant ne salue alors l’autel – débarrassé de la croix – que par une inclination profonde (le diacre et le sous-diacre continuent de génuflecter).

La prophétie d’Osée est chantée, ainsi que le trait d’Habacuc, comme dans le Missel de saint Pie V. Toutefois, le célébrant n’a plus à la lire mais doit désormais l’écouter à la banquette. Il s’agit là d’une constante dans tous les offices réformés de la Semaine Sainte : la suppression du système des doublures, systèmes pourtant ancien et pratiqué déjà entre l’hébreu et l’araméen dans les synagogues du temps du Christ.

L’oraison Deus, a quo et Judas du Missel traditionnel est maintenue, mais le célébrant ne monte pas à l’autel pour la chanter. Il reste à la banquette, le premier acolyte est allé à la crédence prendre le livre de la nouvelle Semaine Sainte et vient se placer face au célébrant pour tenir le livre ouvert. Le sous-diacre ne chante plus Levate, son rôle est attribué au diacre.[15]

Le sous-diacre chante l’épître et le chœur le même trait que dans le Missel traditionnel.

Autrefois, les trois diacres passionnaires allaient chanter directement la passion tournés vers le Nord. Désormais, ils doivent venir devant le célébrant à la banquette, non pour demander sa bénédiction – comme la commission l’a instauré pour le dimanche des Rameaux : ils s’inclinent cette fois profondément, sans dire Munda cor ni Jube, domne, benedicere, mais le célébrant récite quand même sur eux et à voix haute (!) Dominus sit in cordibus vestris. Il est assez déroutant que deux fonctions absolument similaires – la passion selon Matthieu des Rameaux et la passion selon Jean du Vendredi Saint – ne reçoivent pas les mêmes innovations.

Comme nous l’avons indiqué au cours de notre article sur les Rameaux, la fin de la Passion n’est plus lu à la manière de l’évangile par le diacre de la messe. Cette dernière partie (Jean XIX, 38-42) est dite par le chroniste sans transition et sur la même cantilène que le reste de la Passion. Le magnifique chant propre à cet évangile disparait donc de l’usage liturgique.

En complément de tout ce que nous avons déjà dit sur le chant des 4 passions dans la nouvelle Semaine Sainte, ajoutons que les trois diacres sont désormais assistés de deux clercs, dont on ne voit vraiment pas l’utilité (et pourquoi pas trois, si ils avaient une tâche vraiment utile d’assistance ?). Les nouvelles rubriques ne précisent pas si la Passion doit être lue face au Nord, comme les autres lectures évangéliques durant l’année.

II. Les grandes oraisons

Après la passion a lieu un premier changement vestimentaire : le prêtre prend une chape noire, le diacre et le sous-diacre une dalmatique & une tunique noires. Cette combinaison d’ornements n’est jamais employée dans le rit romain pour une messe, mais uniquement pour les processions et les saluts du Très-Saint Sacrement (et encore, jamais en noir), ou alors pour l’absoute qui suit une messe de Requiem (mais ce serait un contresens théologique grave de vouloir faire l’absoute du Christ…). Il n’est pas fait mention là encore des manipules.

Entretemps, les acolytes ont étendu une nappe sur l’autel. Le premier acolyte apporte le livre de la nouvelle Semaine Sainte avec un pupitre et les place au centre de l’autel – là où l’on place ordinairement le corporal – et non sur le côté de l’épître. Le célébrant et ses ministres montent à l’autel. Ils vont chanter les oraisons – désormais appelées grandes oraisons ou oraisons solennelles – d’une façon totalement inédite dans le rit romain : au centre de l’autel, avec le diacre et le sous-diacre de part et d’autre – alors que d’ordinaire toute oraison ou collecte est toujours chantée par le célébrant du côté épître, avec ses ministres en ligne derrière lui. Là encore, le rôle liturgique du sous-diacre est diminué, puisque c’est le diacre qui chante désormais les Levate. Comme il n’y a plus de croix sur l’autel, la rubrique ne précise pas comment doivent se faire les inclinaisons liturgiques habituelles à Oremus ou au nom de Jésus.

III. L’adoration de la Croix

Une fois les oraisons solennelles achevées, le célébrant et ses ministres procèdent à un second changement de vêtements liturgiques en retournant à la banquette. Ils déposent la chape, la dalmatique et la tunique noire.

Comme il n’y a plus de croix sur l’autel avec les nouvelles rubriques, le diacre va en chercher une à la sacristie. Il revient avec quatre acolytes portant des chandeliers. Les rubriques conseillent de les faire passer en procession dans toute l’église avec la croix voilée, plutôt que d’aller au cœur par le plus court chemin.

01 - Dévoilement de la Croix dans le nouveau rit de 1955 - six officiants sont désormais requis.
Dévoilement de la Croix dans le nouveau rit de 1955. Six officiants sont désormais requis.

Le dévoilement de la croix a lieu à peu près comme dans la cérémonie traditionnelle, mais des rubriques nouvelles viennent le compliquer en pratique. Au lieu que les deux étapes du dévoilement se déroulent au coin postérieur puis au coin antérieur de l’autel côté épître, on fait monter une marche de l’autel à chaque étape désormais. Or les nouvelles rubriques demandent que les deux clercs faisant fonction d’acolytes surnuméraires se tiennent aussi devant la croix, ce qui, avec le premier acolyte qui doit désormais tenir le livre de la nouvelle Semaine Sainte devant le célébrant fait maintenant 6 personnes autour de la croix : difficile de garder un ensemble harmonieux en se positionnant sur la seconde marche de l’autel… Les deux acolytes surnuméraires ne s’agenouillent pas pendant le Venite, adoremus.

Quand la croix est dévoilée, le rite de l’adoration subi des changements importants. Le célébrant remet la Croix aux deux acolytes qui la tiennent debout, en faisant reposer le pied par terre et en tenant chacun un montant. On précise qu’ils doivent se tourner vers le peuple. Les deux acolytes surnuméraires déposent leurs chandeliers de part et d’autre de la Croix puis vont s’agenouiller de part et d’autre sur le degré supérieur du marchepied, tournés vers la croix et joignant les mains.

02 - Adoration de la Croix dans le nouveau rit de 1955.
Adoration de la Croix dans le nouveau rit de 1955.

Le célébrant et ses ministres sont allés à la banquette ôter leurs chaussures. L’adoration de la croix est précédée de trois génuflexions simples et non plus double. La quatrième  génuflexion double, après l’adoration, devient aussi une simple génuflexion.

Lorsque tous le clergé a adoré la Croix, les deux acolytes surnuméraires agenouillés de part et d’autre se relèvent et vont prendre leurs chandeliers qui étaient posés par terre. Les deux acolytes qui soutenaient la croix la soulèvent : d’une main – celle qui est à l’intérieur – ils tiennent la partie inférieure, de l’autre le croisillon. Puis, avec les porte-chandeliers à leurs côtés, ils se rendent à la table de communion sur laquelle ils posent le bas de la croix, continuant à la maintenir droite. Les porte-chandeliers posent les chandeliers sur la table de communion de part et d’autre de la croix et se tiennent à genoux jusqu’au moment où les fidèles ont terminé de vénérer la Croix. Si la table de communion est trop étroite, les deux clercs s’agenouillent, avec les chandeliers, aux côtés des acolytes. “Ceux-ci, pour éviter que la croix ne glisse, feront bien de la maintenir des deux mains” (sic).

Les impropères et les autres chants prévus pour l’adoration de la Croix n’ont pas été modifiés mais une nouvelle rubrique précise qu’on doit toujours chanter la doxologie finale de l’hymne  Pange lingua Sempiterna sit beatæ Trinitati gloria.

Notons qu’on ne prévoit pas que les deux pauvres acolytes ni les deux clercs qu’on leur adjoint puissent à un moment ou un autre avoir envie d’aller eux aussi adorer la croix…

Une fois l’adoration du peuple terminée, les acolytes, toujours accompagnés des deux porte-chandeliers surnuméraires, reportent la croix à l’autel. Le célébrant et ses ministres s’agenouillent devant la banquette sur leur passage. Arrivés sur le marchepied, les acolytes – et non plus le diacre – déposent la croix sur l’autel. Les deux acolytes surnuméraires posent leurs chandeliers sur l’autel, les disposant de manière qu’on puisse ajouter par la suite les deux autres chandeliers. Quand la croix est en place, les acolytes et les clercs font la génuflexion sur le marchepied : les acolytes retournent à la crédence et les clercs au choeur. Le célébrant et ses ministres se relèvent alors.

IV. Communion

Débute alors le troisième changement d’ornements. Le célébrant et le diacre déposent leurs étoles noires. Le célébrant revêt une étole et une chasuble violettes, le diacre une étole et une dalmatique violettes, et le sous-diacre une tunique violette. Les rubriques, une fois de plus, ne mentionnent pas – sciemment à notre avis – les manipules. Le stolon et les chasubles pliées, encore en usage pendant tout le Carême en 1956, ne sont plus utilisées par le diacre et le sous-diacre à qui l’on donne maintenant des vêtements que la liturgie associe symboliquement à la joie et à la fête.

Le diacre étant revêtu reçoit la bourse des mains du cérémoniaire et, sans saluer le célébrant, va faire la génuflexion au bas des degrés, puis il étend le corporal sur l’autel. Le premier acolyte prend le livre avec le pupitre, le deuxième le vase d’eau avec le purificatoire : ils vont faire ensemble la génuflexion au bas des degrés, puis montent à l’autel. Le premier va à la gauche du diacre et dispose le livre obliquement à côté du corporal, le second pose le vase avec le purificatoire à la droite du corporal. Ils font une inclination de tête vers la croix en même temps que le diacre et descendent avec lui au bas des degrés, où le clerc chargé de porter l‘ombrellino est venu se placer entre temps. Ils font ensemble la génuflexion et vont à l’autel du reposoir, le diacre étant précédé des trois clercs.

Arrivé au reposoir, le diacre fait la génuflexion à deux genoux. Il monte à l’autel, ouvre la porte du tabernacle, fait une génuflexion, prend le ciboire – et non plus le calice, comme nous l’avons vu au Jeudi Saint – et le dépose sur le corporal, fait une nouvelle génuflexion et va s’agenouiller sur le marchepied. Le premier acolyte lui met le voile huméral, acte liturgiquement bien étrange. Le diacre remonte jusqu’au ciboire et le prend après avoir fait une nouvelle génuflexion : les acolytes qui ont pris les chandeliers préparés sur les marches du reposoir font la génuflexion en même temps que lui. Puis ce qu’on n’appelle plus une procession se met en marche.

Au lieu de la magnifique et brillante procession du rit traditionnel, sous le dais, où le Saint Sacrement est porté par le célébrant accompagné de tout le clergé portant des torches, au chant victorieux du Vexilla Regis, on a donc ici une procession pour ramener le corps du Seigneur à l’autel majeur dont il parait superflus de souligner le caractère volontairement minimaliste : un diacre sous un ombrellino précédé de deux chandeliers. Cette procession en catimini se déroule en silence jusqu’à ce que le diacre parvienne au chœur : le célébrant et le sous-diacre s’agenouillent alors en restant à la banquette et l’on chante trois courtes antiennes, nouvelles & sans grand intérêt si on les compare à la poésie élevée de saint Venance Fortunat du Vexilla Regis traditionnel.

Arrivés à l’autel, le diacre et les deux acolytes en gravissent les degrés : le diacre dépose le ciboire sur le corporal et les acolytes disposent les deux nouveaux chandeliers sur l’autel, à côté des deux chandeliers qui s’y trouvent déjà depuis la fin de l’adoration de la croix. Le clerc portant l’ombrellino se retire. Puis le diacre fait la génuflexion avec les acolytes, remet le voile huméral au premier acolyte et il se retire du côté de l’épître. Les deux acolytes descendent s’agenouiller sur le plus bas degré, le premier ayant déposé auparavant le voile huméral à la crédence pour revenir aussitôt faire ce mouvement avec le second acolyte (!).

Tout ce qui pouvait rappeler une messe est ici impitoyablement supprimé : plus de préparation de l’hostie sur le corporal, plus de calice, plus de vin, plus d’encensement d’offertoire, plus de lavement de mains du célébrant, plus d’évocation de l’offrande d’un sacrifice par la prière In spiritu humilitatis, ni par l’Orate fratres.

On passe directement à l’Oraison dominicale. Son invitatoire Oremus. Præceptis salutaris est récité et non plus chanté par le prêtre. Le Pater lui-même est récité[17] et non pas chanté, par toute l’assistance et non plus par le prêtre seul, comme cela se faisait pourtant depuis la plus haute antiquité, ainsi que l’attestent des lettres de saint Augustin & de saint Grégoire le Grand. Etrange mélange de parlé dans une cérémonie chantée.

Une nouvelle rubrique spécifie que ce Pater doit être dit par tous en latin. La précision de la langue liturgique que fait cette rubrique parait à première vue superflue. Pourtant, quand on y réfléchit, cela ne parait pas si inutile : le sérieux abaissement du caractère liturgique de toute la nouvelle fonction du Vendredi Saint tend bien à transformer l’antique Messe des Présanctifiés en exercice de dévotion en commun.

Même dans les moindres détails, on doit s’écarter de ce qui ressemblerait à une messe : le prêtre n’étend plus les mains vers le ciel pendant ce Pater, mais doit désormais les tenir jointe devant lui.

Le Libera me n’est plus chanté comme dans l’ancien rit, mais récité par le prêtre, les mains étendues cette fois.

Les nouvelles rubriques décrivent le Pater comme une préparation à la communion (dans la conception liturgique traditionnelle, depuis saint Grégoire le Grand, le Pater était envisagé comme la dernière oraison du canon de la messe). Le célébrant continue en disant à voix basse la prière Perceptio Corporis tui puis communie de la façon ordinaire.

Toutefois, la rubrique a été ici fautivement rédigée, ce qui permet de juger du manque de soin général avec lequel toute cette réforme a été conduite. En effet, on demande au prêtre de prendre une petite hostie dans la main droite et de se frapper trois fois la poitrine en disant Domine, non sum dignus

Le Confiteor avant la communion, qui avait été inexplicablement supprimé de la messe du Jeudi Saint, fait ici son apparition. Il est récité et non plus chanté par le diacre, et la communion se donne comme d’habitude, précédée de l’Ecce, Agnus Dei.

Pendant la communion des fidèles, on suggère qu’on puisse chanter le psaume XXI ou bien tel ou tel répons des matines du Vendredi Saint.

Tout le rite de la communion est de fait quasiment identique à celui d’une communion en dehors de la messe. La seule divergence est la chasuble violette du célébrant (on ne comprend du reste pas pourquoi la commission a gardé une chasuble ici).

Après la communion, dans la mesure où il n’a pas été fait usage d’un calice, le célébrant ne peut faire ses ablutions de la façon habituelle. Il doit se purifier les doigts – sans rien dire – au dessus du plateau des burettes et ne pourra pas consommer cette ablution…

Après avoir remis le ciboire dans le tabernacle, le diacre replie le corporal et le met dans la bourse qu’il pose contre le gradin. Puis le sous-diacre place le livre entre le célébrant et le tabernacle – position vraiment étrange déjà expérimentée un peu plus tôt pour les grandes oraisons. Le célébrant chante sur le ton férial trois nouvelles “oraisons d’action de grâces”. Ces oraisons sont composées à partir d’oraisons des sacramentaires antiques piochées à d’autres messes de l’année liturgique, dont on modifie substantiellement le texte afin de le faire cadrer avec le Vendredi Saint. Là encore, pour ces oraisons, le célébrant garde les mains jointes et ne les étends pas comme il ferait pour une postcommunion d’une messe. Les ministres sacrés restent à ses côtés et non en ligne derrière lui comme il le feraient à une messe. La rubrique précise aussi que l’assistance sera ici debout alors que traditionnellement elle devrait être à genoux, comme pour toute oraison d’une férie de pénitence qui n’est pas précédée d’un Flectamus genua. Comme au tout début avec la nouvelle oraison d’introduction, ces trois oraisons se concluent avec la conclusion brève, Per eumdem Christum Dominum nostrum, qui n’est jamais employée à la messe mais à certaines oraisons mineures de l’office divin.

Le célébrant et ses ministres font l’inclination vers la croix et descendent au bas des degrés, tandis que le cérémoniaire apporte les barrettes et que les acolytes se lèvent. Tous font ensemble la génuflexion simple sur le pavé et rentrent à la sacristie comme à l’ordinaire, mais sans saluer le choeur.

En temps opportun, on reporte le Saint Sacrement en un lieu discret (ordinairement la sacristie), pour d’éventuels viatiques aux mourrants. On dépouille l’autel où on ne laisse que la croix et les chandeliers. Vêpres étant supprimées, on se rassemblera pour dire complies, avec les cierges de l’autel éteint.

IV. Conclusion

L’ampleur et la profondeur des modifications  faites à la liturgie du Vendredi Sainte dépasse de loin ce que nous avons déjà pu examiner pour les Rameaux et les premiers jours de la Semaine Sainte. Sous couvert d’un retour à une tradition antique – en fait, juste une oraison du Sacramentaire gélasien maladroitement reprise au début et vidée de tout ce qui en fait une oraison de messe -, on a fait passer des dizaines de modifications qui sont d’absolues nouveautés jamais rencontrées dans l’histoire liturgique occidentale.

Il est clair que le principal projet de la commission en instituant cette Solennelle action liturgique de l’après-midi de la Passion et de la Mort du Seigneur  a été de faire disparaître la Messe des Présanctifiés et elle y est totalement parvenu.

L’action liturgique a été dépouillée de tout ce qui pouvait correspondre à une messe, même dans le plus menu détail, comme – par exemple – le changement dans la façon de dire les oraisons.

Du reste, à partir du moment où il n’était plus fait usage du calice et de la matière du vin, l’action liturgique cessait d’être un sacrifice, une divine liturgie des dons présanctifiés, pour se transformer en service de lectures, de prières et de communion.

Ce faisant, l’unité théologique consubstantielle entre la Cène eucharistique et le Calvaire est rompue. C’était alors un pas important, une victoire majeure dans un combat global et de longue haleine visant à diminuer le caractère sacrificiel de la messe dans la pratique puis dans la doctrine catholique.

Saint Jean XXIII adore la Croix selon le rite traditionnel lors de la Semaine Sainte 1959 en la basilique Sainte-Croix de Jérusalem.
Saint Jean XXIII adore la croix selon le rite traditionnel lors de la Semaine Sainte 1959
en la basilique Sainte-Croix de Jérusalem.

La profondeur des manipulations apportées à la liturgie du Vendredi Saint par Pie XII a très vraisemblablement été clairement perçue par son successeur saint Jean XXIII, qui refusa de faire la nouvelle cérémonie. Comme la photographie ci-dessus prise en 1959 le montre, on voit bien le Pape adorer le Christ sur la croix selon le rit traditionnel : la croix est bien posée sur le suaire, sur un coussin sur les marches de l’autel, et non tenue par deux acolytes. On sait par Mgr Bartolucci, alors maître de la Chapelle Sixtine, que saint Jean XXIII avait personnellement exigé de lui cette année-là le chant du Vexilla Regis pendant la procession eucharistique du Vendredi Saint, chant supprimé trois ans auparavant par les livres de Pie XII, publiés pour la Semaine Sainte 1956.

Bien sûr, il y avait alors un nombre non négligeable de prêtres qui continuaient à cette époque à paisiblement célébrer l’ancienne Semaine Sainte comme ils l’avaient toujours fait, ignorant superbement les nouvelles bizarreries romaines. Mais tout de même, le Pape lui-même refusait de célébrer la Semaine Sainte avec les livres de son prédécesseur mort à peine quelques mois auparavant…

*
Voici pour finir les passages de la conférence de Mgr Gromier touchant à la réforme du Jeudi saint, dans le style croustillant qui était le sien. Au delà du style, la portée de l’argumentation fait toujours mouche, il est vrai que le vieux cérémoniaire papal avait du métier…

Mgr Gromier, chanoine de Saint-Pierre, consulteur à la S.C. des Rites et protonotaire apostolique
Mgr Gromier

“Il y aura bientôt 2000 ans qu’on l’appelle in Paravesce ; le nom seul en démontre l’antiquité. Alors pourquoi le remplacer par Passion ou Mort du Seigneur ; locution inutile, non traditionnelle, inconnue au canon de la messe ? En style ecclésiastique passion signifie souffrances jusqu’à la mort inclusivement. Si le substantif mort était si nécessaire, le bon sens voulait surtout qu’il fut ajouté au mot passion dans le titre de l’Evangile : Passio D.N.J.C. appelé maintenant histoire de la Passion. (…)

Le culte du vendredi saint comporte communion […] tout en ayant les grandes lignes extérieures d’une messe. Ce culte appris […] fut de bonne heure emprunté par le rite romain aux orientaux, qui en font large emploi toujours en vigueur. La messe des présanctifiés avait ainsi de qui et de quoi s’autoriser, surtout si l’on observe que le rite romain eut pendant des siècles la messe sèche ; une véritable parodie. Malgré tout un cri d’alarme éclata parmi les pastoraux ; c’était un arrêt d’extermination. L’alarme fut donnée par un abbé bénédictin belge s’écriant :  “la cérémonie du vendredi saint a pris des allures de messe insupportables”. Il n’en fallait pas plus aux pastoraux. Avec un acharnement digne d’un meilleur but, ils ont rempli ce programme : retrancher des éléments foncièrement romains ; adopter des éléments étrangers ; reprendre des éléments romains inférieurs et désuets ; exclure tout ce qui peut, de près ou de loin, faire penser à une messe. Sur ce point leur idée fixe est un émule du refrain Delenda est Carthago. La messe des présanctifiés a succombée sous l’incompréhension, a été victime d’une cabale. Le dictionnaire de liturgie, édition Migne, disait en 1844 : “Le rite romain nous semble, quant à l’adoration de la croix, bien plus grave et plus édifiant que le rite de divers diocèses de France” . Avis aux pastoraux pour leur construction toute entière, qui est devenue un exercice de piété, sous le nom de  “Singulière et solennelle action liturgique pour la passion et la mort du Seigneur” ; action qui, malgré son qualificatif, n’ennoblit pas son objet.

Le Pontifical romain nous apprend qu’on ne salue pas un nouvel autel avant d’y avoir placé sa croix. Car on salue non pas l’autel lui-même, mais bien la croix qui le domine, et à laquelle s’adressent toutes les prières. Il fut un temps où l’on apportait la croix et les chandeliers à l’autel en y arrivant, et on les remportait en partant. Cela aujourd’hui, n’est pas plus permis que de tenir l’autel découvert en permanence. C’est pourquoi je m’adresse aux pastoraux : “Le dimanche des Rameaux vous avez découvert la croix de procession sous prétexte de la magnifier ; le vendredi saint où elle est couverte vous enlevez la croix de l’autel, l’envoyez à la sacristie, où vous l’enverrez chercher ensuite ; comment expliquez-vous pareille contradiction ?” Renions tout génie créateur ou organisateur. Notons enfin que la croix sur l’autel rappelle une messe.

Les pastoraux divisent la solennelle action en quatre parties sous-titrées, dont la deuxième et la troisième sont solennelles, mais la première et la quatrième non. Ces dosages sont aussi savants et admirables que leur auteurs.

De chasuble il n’en est pas question ; elles sentiraient la messe. Alors le pauvre célébrant doit se contenter d’être en aube, comme dans une église de campagne, malgré la solennité ultra proclamée ; c’est un affront que le rite romain lui épargnait.

L’autel sans croix, s’il mérite toujours d’être baisé, pour lui-même, n’a pas le droit d’être salué, et encore moins d’être prié ; car on n’invoque pas l’autel. Dans le rite romain lorsqu’on se trouve à genoux, ou qu’on fait la génuflexion à deux genoux, et que l’on s’incline, l’inclination doit être médiocre, non profonde. Cette règle ancienne a été confirmée il y aura un demi siècle environ. On s’effraye en voyant la liturgie entre deux pouvoirs, ou seulement deux conduites, qui s’ignorent réciproquement.

Les pastoraux enrichissent le Vendredi Saint d’une oraison d’introduction et de trois oraisons de conclusion ; ils abrègent d’une main et allongent de l’autre, ayant le monopole du juste milieu ; on verra qu’ils sont pris entre deux feux, […] , dans leur propre filet. Le célébrant chante l’oraison d’introduction au pied de l’autel parce qu’il n’y montera que pour les grandes oraisons. Puisque, à l’autel, le célébrant ne tient les mains écartées qu’étant en chasuble dans la messe et que Delenda est Carthago, les mains écartées devraient faire place aux mains jointes ; mais la pastorale abdique. On se demande pourquoi la deuxième leçon tenant lieu d’épître est chantée par le sous diacre, vu que le nom de messe est rejeté, et que le diacre ne chante pas l’évangile.

Avec les pastoraux les trois diacres disent le Munda cor meum et demandent la bénédiction, cela aux Rameaux ; le vendredi saint les trois ne disent pas Munda cor meum, et ne demandent pas la bénédiction, mais vont devant le célébrant, qui leur adresse à haute voix un souhait. Jusqu’à maintenant le Munda cor meum a toujours précédé l’évangile, aux quatre passions. Même les pastoraux l’ont conservé avant leur évangile histoire de la Passion ; mais, ils l’ont exclu le vendredi ; pourquoi ? Peut-être que ce jour là et pour eux, la Passion est moins un évangile qu’une histoire. A la perte du Munda cor meum supplée une acquisition : une formule de bonne augure où l’évangile n’est pas nommé. De plus, en donnant la bénédiction le célébrant parle media voce ; mais en disant la formule il parle clara voce ; la nouvelle formule est sans doute meilleure que l’ancienne. Enfin les trois diacres de la Passion qui s’agenouillent pour demander et recevoir la bénédiction, n’ont pas motif de s’incliner pour entendre le souhait du célébrant ; on ne s’incline pas pour répondre à Dominus vobiscum.

Ici commence la deuxième période vestimentaire, suivie de deux autres, quatre en tout. C’est la punition des puritains qui blâmaient le rite romain de faire trop souvent changer de vêtements. Les pastoraux mitigeant leurs préjugés contre-messe, ils font habiller le célébrant et le font monter à l’autel. Pourtant sans capituler, il lui mettent un pluvial ; le place au milieu de l’autel, non au coin de l’épître ; avec les ministres à ses côtés, non derrière lui ; lui font tenir les mains écartées malgré le pluvial.

On ne s’occupe plus des dimensions de la croix que de sa complexion ; une croix reliquaire, le bois de la vraie croix ne les intéresse pas ; en dépit de l’origine du rite. On connaît mal et on n’a pas compris le rite romain. On a copié ailleurs le transport de la croix depuis la sacristie jusqu’à l’autel, où elle manque, où elle a sa place fixe, aussi bien sans messe qu’avec messe. Tenir la croix voilée ne signifie pas la cacher, la reléguer à la sacristie, en priver l’autel où elle doit, plus que jamais trôner ce vendredi. Sache la pastorale que le voile doit couvrir toute la croix, non seulement le crucifix ; car on montre la croix principalement.

D’autres nouveautés nous attendent. Notions des pastoraux sur les processions : le diacre entre deux chandeliers ramène la croix exilée à la sacristie, c’est une procession ; les fidèles défilent pour adorer la croix, c’est une procession ; le diacre entre deux chandeliers apporte du reposoir le Saint Sacrement, ce n’est plus une procession. Comprenne qui pourra. On n’employait pas de lumière avant le transport du Saint Sacrement, dont la croix n’est pas jalouse ; maintenant les pastoraux emploient la lumière pour la croix. Il en résulte, entre autres, que le célébrant, en découvrant la croix, se trouve au milieu de quatre personnes ; beaucoup de monde pour peu de place ! La croix, apportée par le diacre puis découverte pas le célébrant, reste désormais livrée aux mains des acolytes dont ce n’est pas le rôle, surtout à l’autel où il n’ont jamais place.

Depuis des siècles et justement, on a voulu, en plus de la croix, adorer le corps du Christ mort, gisant sur sa croix couchée. Voilà pourquoi on l’étendait sur un tapis, un coussin, un voile blanc et violet en fonction de linceul. Cela dépassait la conception des pastoraux, qui font tenir debout un mort suspendu par les bras. Ils ont également écarté l’ostension-adoration de la croix, qui n’est qu’une exaltation, c’est sa mise à la portée d’adorateurs qui se prosternent. Non moins incomprise est l’adoration de la croix ; elle se faisait comme celle due au pape, par trois génuflexions espacées, avant le baiser de la croix ou du papier ; sauf que, ce vendredi, les trois génuflexions étaient changées en trois agenouillements d’adoration. C’est en passant par le pape que la génuflexion est entrée dans le rite romain.

Au découvrement de la croix, après chacun des trois Ecce lignum crucis, on joignait l’action à l’invitation, on s’agenouillait, et on adorait en répondant Venite adoremus. L’adoration en silence avait lieu durant les trois agenouillements préalables au baiser. Le génie pastoral déplace l’adoration silencieuse des trois agenouillements détruits, il le transporte après chaque Venite adoremus. De cette manière il fait plutôt perdre que gagner du temps ; ce qu’il réitère en envoyant les adorateurs un à un au lieu de deux à deux. Il croit probablement, et n’est pas le seul, que le chant nuit à l’adoration, à l’attention, au recueillement.

Le problème de l’adoration collective de la croix était depuis longtemps résolu par l’emploi de plusieurs croix, soit présentées au baiser des fidèles, soit exposées à leur adoration en plusieurs places. Après son adoration la croix de l’autel récupère sa place normale, d’où elle était partie à la sacristie. Son retour donne lieu à une rubrique étrange.

Alors on change de couleur. Le blanc et le noir sont les deux couleurs originaires du rite romain, mais les pastoraux préfèrent au noir le violet, couleur la plus récente. Eux qui renforcent le deuil du Vendredi Saint en l’appelant jour de la mort du Seigneur, ils rejettent le noir couleur de la mort. Eux qui exterminent la messe des présanctifiés, qui jusqu’à présent ont mis un pluvial noir au célébrant, ils lui mettent une chasuble violette, n’en mettent point à ses ministres, et les déguisent avec des dalmatiques ; peut-on se contredire plus grossièrement ? Si les pastoraux voyaient un désaccord entre la communion et la couleur noire, ils auraient du considérer que la messe des morts se dit en noir, qu’on y donne la communion, même avec des hosties consacrées précédemment, qu’on donne la communion en noir aussitôt après ou avant la messe en noir.

Je demande aux pastoraux : quel besoin, quelle opportunité sentez-vous de mettre une chasuble au célébrant seulement pour donner la communion ? La distribution de celle-ci n’a jamais comporté la chasuble hors de la messe. Vous exterminez la messe des présanctifiés, vous éliminez obstinément le moindre détail qui puisse la remémorer, et vous osez mettre une chasuble au célébrant quand vous la refusez à ses ministres. Rien n’autorise le célébrant à être vêtu pour l’acte numéro 4 de votre représentation puisque vous le laissez dévêtu, en aube, pour votre acte numéro 1. Vos pouvoirs discrétionnaires sont vastes ; l’abus ne l’est pas moins.

La procession du Jeudi Saint, instituée définitivement par Sixte IV (E 1484), et celle du Vendredi Saint, instituée par Jean XXII (E 1334), donc par la même autorité, ont même objet, même but, même solennité, sauf que la première a caractère de fête, la deuxième caractère de deuil. Pourquoi donc abolir l’une en conservant l’autre ? L’arrivée du Saint Sacrement est accompagnée par le chant des trois antiennes en l’honneur de la croix, à la place de l’hymne Vexilla regis ayant même objet, mais sans doute non pastorale.

Dans le rite romain le célébrant chante seul partout le Pater noster, soit en entier, soit au début et à la fin, avec le milieu à voix basse. La meilleure preuve en est que l’assistance n’ayant rien dit, répond sed libera nos a malo. Néanmoins la pastorale doit réformer, et voici le bilan de ses prouesses : le Pater noster récité au lieu de chanté ; récité par tout le monde ; récité dans un office chanté ; funeste mélange (…) ; récité solennellement (sic), mais dépouillé de la solennité du chant ; récité les mains jointes, tandis que le libera nos est récité les mains écartées. Pitoyable explication suivant laquelle le Pater, parce que prière pour la communion doit être récité par tout le monde à la fois. Deux demandes surgissent : ce vendredi, le Pater est-il plus pour la communion que les autres jours de l’année ? Le Pater est-il plus pour la communion que les autres prières avant la communion ?

La rédaction des rubriques se trouve naturellement à la même hauteur. Ainsi nous lisons que le célébrant prend une hostie avec la main droite ; alors se frappera-t-il la poitrine avec la main gauche ? On ignore si la main gauche s’appuie sur le corporal ou sur le ciboire. Nous lisons qu’en se frappant la poitrine, au lieu d’une inclination médiocre, parum inclinatus, le célébrant s’incline profondément ; posture empêchée par la hauteur de l’autel.

C’est manquer de respect à la liturgie et au célébrant de supprimer le calice et la grande hostie ; une petite le rapetisse. Le calice a servi de ciboire autrefois, et peut encore continuer. Il fut des temps et des lieux ou la communion du vendredi se faisait sous les deux espèces réservées, donc avec le calice ; précieux souvenir à conserver. Le calice servait à la purification du célébrant, et ouvrait la voie à celle du clergé ; rite vénérable non aboli ; on ne mangeait pas sans boire. Tout cela imitait convenablement une messe, ne trompait personne, ne s’opposait pas à la communion générale ; peu importe.

La pastorale introduit trois postcommunions, chantées par le célébrant les mains jointes, au milieu de l’autel, entre ses ministres, et pendant lesquelles on est debout. Autre curiosité : pendant complies les cierges sont éteints ; donc la croix après son découvrement peux se passer de lumière ; alors pourquoi lui en donner avant son découvrement et pendant son adoration ? Jeu de compensation ; on donne à la croix des lumières qu’elle n’avait pas ; on ôte au Saint Sacrement, à la Croix et à l’autel l’encensement qu’ils avaient.”

*
Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

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Notes

[[10]]Beaucoup d’usages occidentaux prévoyaient une mise au tombeau à vêpres après les Présanctifiés. Dans certains usages diocésains ou religieux, on mettait dans un cercueil l’évangéliaire ou une fraction de l’hostie non consommée par le célébrant, ou les deux ; puis on portait en procession funèbre ce cercueil jusqu’à un tombeau. Beaucoup des groupes sculptés appelés mises au tombeau de nos églises servait à cela : d’ordinaire dans la figure du corps du Christ était ménagée une cavité avec une trappe, dans laquelle on plaçait le Saint Sacrement. On venait au petit matin de Pâques avant les matines ressortir triomphalement le Corps du Christ et la procession pascale marquait le moment où se déclenchait la joie de la résurrection.
[[11]]Cognoverunt Dominum in fractione panis – Ils reconnurent le Seigneur dans la fraction du pain.[[11]]

[[16]]Plus exactement, deux acolytes accompagnés de deux autres clercs, mais les 4 portent des chandeliers d’acolytes.[[16]]

Notes :    (↵ reviens au texte)

  1. M. Von Orelli, Der altfranzösische Bibelwortschatz des Neuen Testamentes im Berner Cod. 28, p.299 [Jean, 19, 14]; jor de parascene [sic], ibid., p.251 [Luc 23, 54]. Le terme est aussi devenu un prénom féminin, rare en France, commun en Grèce et en Russie (sainte Parascève de Rome est une martyre du IInd siècle).
  2. De nos jours, la divine liturgie des dons présanctifiés de saint Grégoire le Grand est célébrée chaque mercredi et vendredi du Grand Carême, le Jeudi du Grand Canon, ainsi que les Lundi, Mardi et Mercredi Saint dans le rit byzantin. Autrefois, elle fut employée toutes les féries du Carême (le samedi on célèbre la liturgie de saint Jean Chrysostome et le dimanche celle de saint Basile).
    Les rits arméniens et syriaques connaissent eux aussi des liturgies de présanctifiés. L’usage a disparu chez les Syriaques, sauf chez les Malankares orthodoxes des Indes.
  3. On sait que la liturgie byzantine influença le pape saint Grégoire le Grand : il explique dans une de ses lettres comment il a changé la place du Pater dans le rit romain pour se conformer avec ce qu’il avait vu à Constantinople.
  4. La dalmatique & la tunique sont des symboles de la joie.
  5. La croix ni ses chandeliers ne doivent pas être retirés lors du dépouillement des autels (Voyez le Jeudi Saint). Le Memoriale rituum et plusieurs décisions de la Congrégations des rits condamnent la mauvaise habitude qui avait été prise en certains lieux de coucher la croix sur l’autel lors de son dépouillement au soir du Jeudi Saint.
  6. C’est le cas aussi dans le rit mozarabe réformé : la messe fériale commence directement par la première lecture, comme dans les livres purement mozarabes médiévaux, avant que les prières au bas de l’autel romano-franques ne s’y agrègent au fur & à mesure des progrès de la Reconquête.
  7. Notons toutefois deux particularités du Vendredi Saint :
    <ul><li>le Missel à l’autel reste du côté épître pendant le chant de cet évangile, on aura besoin de lui à cet emplacement immédiatement après pour le chant des grandes oraisons,</li>
    <li>le diacre retire sa chasuble pliée pour prendre le stolon ou étole large (qui est de fait une chasuble roulée sur l’épaule).</li>
  8. Le rit byzantin adore la croix de la même façon, au milieu du Carême et le Vendredi Saint : triple double génuflexion avant, une génuflexion après. L’inclination du buste va jusqu’au sol. La croix est posée sur un support, comme dans le rit romain traditionnel et non pas tenu par un ou plusieurs clercs.
  9. Quelques parcelles de l’hostie ont été conservées depuis le Jeudi Saint pour d’éventuels viatiques à donner aux malades en danger de mort. On les conserve d’ordinaire dans un tabernacle à la sacristie.
  10. Les rubriques de 1960-62 supprimeront ultérieurement l’indication qu’on doit faire les inclinaisons liturgiques en se tournant vers la croix de l’autel (elles ne prohibent pas pour autant de continuer de le faire !).
  11. Simple négligence ou au contraire  volonté dès à présent marquée de faire progressivement disparaître ce vêtement liturgique de l’usage ?
  12. Missel de Bayeux de 1501, de Cambrai de 1527, de Besançon de 1589. Elle se disait encore du temps du R.P. Lebrun à Soissons & à Lisieux où un bref de 1721 précisait encore qu’il fallait la dire, même si on se servait du Missel romain.
  13. Il s’agit, comme nous l’avons noté, de préparer subtilement la suppression de cet ordre ecclésiastique.
  14. y compris un Amen final.

Programme de l’Annonciation

Saint-Eugène, le mercredi 25 mars 2015, messe de 19h.

> Catéchisme sur l’Annonciation.

“Lors donc, bien-aimés frères, qu’arrivent les temps, marqués d’avance pour la rédemption des hommes, notre Seigneur Jésus-Christ descend du ciel et vient ici-bas, sans quitter la gloire de son Père : c’est un prodige nouveau que sa génération, un prodige nouveau que sa nativité. Prodige nouveau : lui qui est invisible de sa nature, il s’est rendu visible dans la nôtre ; lui qui est immense et insaisissable, il a voulu être saisi et limité ; lui qui subsiste ayant les siècles, il a commencé d’être au cours des siècles ; lui, souverain maître de l’univers, il a voilé l’éclat de sa majesté et revêtu la forme d’un esclave ; lui, Dieu impassible et immortel, il n’a point dédaigné de se faire homme passible, de s’assujettir aux lois de la mortalité !”
Homélie de saint Léon, pape, VIème leçon des vigiles nocturnes de cette fête, au troisième nocturne.

La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum

Articles précédents :

Lorsqu’on aborde les réformes faites en 1955 à la liturgie du Jeudi Saint, la première impression semble être que les modifications opérées y sont mineures en comparaison des changements bien plus radicaux qui vont affecter la messe des présanctifiés le Vendredi Saint et la vigile pascale le Samedi Saint. Pourtant, à y regarder de plus près, on observera que les modifications furent nombreuses, bien souvent surprenantes, parfois peu pratiques et rarement fondées historiquement.

La question des horaires des offices est souvent sous jacente dans les débats qui entourent les réformes du Jeudi Saint. Nous la traiterons ultérieurement dans un article spécial.

Ière partie : la (ou les) messe(s) du Jeudi saint

Synopsis de la messe du Jeudi Saint dans les livres liturgiques tridentins

Canon Pontifical - Jeudi SaintDans le rit romain traditionnel, la messe du Jeudi Saint est celle d’une fête du Seigneur, celle de la fête où le Christ institua deux sacrements : celui de l’Eucharistie et celui du sacerdoce. Aussi les ornements sont-ils blancs, on chante le Gloria & le Credo, et le célébrant renvoie le peuple avec l’Ite, missa est à la fin.

Toutefois trois particularités significatives contribuent à resituer cette messe dans le Triduum pascal :

  • On sonne toutes les cloches de l’église et on touche les orgues durant tout le chant du Gloria, après quoi celles-ci ne se feront plus entendre jusqu’au Gloria de la vigile pascale où elles marqueront la joie de la résurrection. Entre ces deux moments, on doit utiliser la crécelle toutes les fois où l’on sonne habituellement les cloches. Le son âpre des crécelles contribue à marquer le deuil que prend l’Eglise : c’est aussi en cette nuit qu’a lieu l’agonie du Christ, abandonné par les disciples, trahi par Juda et livré à ses bourreaux.
  • Au cours de cette messe, le baiser de paix n’est pas donné, rappelant que Juda avait livré son maître par un baiser. Néanmoins, le rite de la communion du célébrant reste identique à celui des autres messes.
  • Le célébrant consacre deux grandes hosties à la messe de ce jour : une pour la messe elle-même, avec laquelle il communiera, et une seconde qu’il va réserver pour la messe des Présanctifiés le lendemain. Cette seconde grande hostie est mise, après la communion du prêtre et avant les ablutions, dans un second calice (et non un ciboire), qu’on recouvre d’une patène tournée à l’envers et d’une pale. Un voile léger et blanc est placé sur le tout et attaché avec un ruban au nœud du calice. L’hostie ainsi enfermée dans le calice est posée au centre de l’autel sur le corporal jusqu’à la fin de la messe. Le prêtre donne alors la communion aux fidèles de la manière habituelle.
    Cet usage de mettre le Corps du Seigneur dans un calice rappelle symboliquement la prière que Notre Seigneur fait au Jardin des Oliviers dans la nuit de sa passion :
    “Mon Père ! s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi : néanmoins, non comme je le veux, mais comme vous le voulez.”
    (Matthieu XXVI, 39)
    Le calice, la patène et le voile dans lequel est enfermée cette grande hostie serviront le lendemain à la messe des Présanctifiés du Vendredi Saint. La liturgie marque par là le lien indéfectible qui existe entre la Cène du Seigneur et le sacrifice de la Croix.
    A partir du moment où la seconde grande hostie a été renfermée dans le calice, le reste de la messe est célébré avec les rubriques de la Missa coram Sanctissimo :

    • le célébrant et ses ministres font la génuflexion devant le Saint Sacrement chaque fois qu’ils s’approchent ou se retirent du milieu de l’autel,
    • lorsque le célébrant ou le diacre s’adressent au peuple (pour le Dominus vobiscum, l’Ite, missa est et la bénédiction finale), ils se placent de biais côté évangile afin de ne pas tourner le dos au Très-Saint Sacrement
    • au cours du dernier évangile, le célébrant génuflecte à Et Verbum caro factum est en se tournant vers le Corps du Seigneur.

A cette même messe du Jeudi Saint In Cena Domini, lorsqu’elle est célébrée par l’évêque, a lieu également la consécrations des saintes Huiles, selon les les dispositions du Pontificale Romanum de 1595, fascicule V. Ce texte du Pontifical de 1595 reprend celui du Sacramentaire grégorien diffusé dans tout l’Occident à partir de Charlemagne. C’est une cérémonie fastueuse à laquelle participent de nombreux ministres : outre les ministres ordinaires d’une messe pontificale, sont requis douze prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, assistés de nombreux acolytes. Un peu plus tôt, avant la messe, l’évêque aura procédé à la réconciliation des pénitents publics.

Il n’y avait pas d’autres messes en ce jour que la messe de la Cène : comme dans toutes les différentes liturgies de l’Orient, la consécration par l’évêque du saint Chrême (et des autres huiles saintes : huile des catéchumènes et huile des infirmes) a lieu au cours de l’unique messe de ce jour (il n’y a pas de messe chrismale à proprement parler, dont le texte serait différent de la messe de la Cène).

Synopsis de la messe du Jeudi Saint dans la réforme de 1955

Le baiser de Juda par Jean Bourdichon circa 1500D’assez nombreuses modifications sont mises en œuvre sur des fondements pas toujours clairs et avec des résultats parfois curieux.

1. Les prêtres qui assistent dans les stalles à la messe du Jeudi Saint doivent désormais porter l’étole blanche sur leur habit de chœur depuis le début de la messe. L’usage commun jusqu’alors ne fait pas de l’étole un élément de l’habit de chœur : elle ne se prend qu’au moment de distribuer la communion aux fidèles. Pourquoi cette innovation ? De fait il s’agissait pour la Commission pour la Réforme liturgique d’une tentative d’introduire ce jour-là une concélébration, cérémonie qui n’a jamais existé dans le rit romain. Or cette proposition de concélébration à la messe du Jeudi Saint reçut la farouche opposition de plusieurs membres de la commission, en premier lieu de son président, le cardinal Cicognani, mais également de Mgr Dante, cérémoniaire papal. Pour faire progresser néanmoins dans les esprits l’idée de concélébration, on se contenta, comme pis aller, d’inventer le port de l’étole blanche sur l’habit de chœur pour tous les prêtres présents.

2. A la messe, le chant du Credo est supprimé sans que l’on sache bien pourquoi (sans doute pour abréger la cérémonie, allongée par ailleurs avec l’addition du Lavement des pieds, comme on le verra). Cela introduit une anomalie, puisque dans le rit romain, le Credo est chanté à toutes les fêtes du Seigneur.

3. La coutume de ne pas donner à cette messe le baiser de paix en raison du baiser de Juda est maintenue. Cependant, souhaitant vraisemblablement marquer davantage les esprits des fidèles sur cette suppression du baiser de paix, la commission introduit deux nouveautés étranges qui n’ont aucun fondement historique :

  • Au 3ème Agnus Dei, on ne doit plus chanter désormais dona nobis pacem mais miserere nobis (en pratique, inévitablement, on observe en paroisse qu’une bonne partie des fidèles continuera machinalement de chanter dona nobis pacem comme à l’ordinaire : il est bien difficile d’instiller un réflexe à une assemblée juste pour une unique occasion dans l’année !).
    On pourra discuter le fait de relier le chant de l’Agnus Dei au baiser de paix. L’Agnus Dei parait être surtout à l’origine l’antiphona ad confratorium du rit romain, un chant destiné à accompagner la fraction de l’Hostie, comme son texte l’indique, plus qu’un antiphona ad pacem.
    Si l’Agnus Dei n’est pas chanté à la Vigile pascale, où le baiser de paix ne se donne pas non plus, c’est surtout parce que cette vigile a conservé une structure très archaïque de la messe, d’avant le Vème siècle : aussi ne comporte-t-elle pas d’introït, de graduel, d’Alleluia (en tout cas sous la forme responsoriale usuelle des autres messes de l’année), de Credo, de répons d’offertoire, d’Agnus Dei ni d’antienne de communion – tous chants introduits entre la fin du IVème siècle et le IXème, mais uniquement des traits, forme la plus archaïque du chant liturgique romain, ainsi que le Gloria in excelsis Deo et le Sanctus, en usage à la messe depuis les premiers temps de l’Eglise de Rome (le Kyrie n’est que la dernière partie de la supplication litanique).
  • La commission supprime la  première des deux oraisons silencieuses que dit le prêtre pour se préparer à communier : Domine Jesu Christe, qui dixisti Apostolis tuis “Pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis”. C’est tout de même assez curieux d’introduire cette pratique, propre aux messes des morts, dans une fête solennelle du Seigneur chantée en ornements blancs. Mais surtout, il est bien étonnant de supprimer une prière qui reprend les termes même que le Seigneur a dit à ses Apôtres justement au cours de son dernier discours lors de la Cène du Jeudi Saint : “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix” (Jean XIV, 27). Notons aussi qu’à la Vigile pascale, où le baiser de paix ne se donne pas, cette oraison n’était pas supprimée.
  • Si la commission avait voulu faire œuvre d’archéologie, elle aurait pu supprimer le Pax Domini sit semper vobiscum qui est indiqué comme omis à la messe chrismale dans le Sacramentaire gélasien (mais pas à la messe de la Cène).

4. Désormais le diacre (ou à son défaut, le servant) ne doit plus dire le 3ème Confiteor avant la communion, comme il le fait le restant de l’année. La Commission, de fait, testait une fois de plus ici un projet qu’elle entendait généraliser par la suite. Ce 3ème Confiteor fut supprimé en effet dans le code des rubriques de 1960, seulement pour les messes chantées de toute l’année  (mais pas pour les messes pontificales ou solennelles). Pourtant la confession et l’absolution des péchés des fidèles immédiatement avant la communion existe dans tous les rits d’Orient & d’Occident (nous avons prévu de consacrer par la suite un article uniquement sur ce sujet, toujours en débat aujourd’hui). Dans le rit romain, la confession des péchés avant la communion est attestée au moins depuis le XIème siècle et ne constitue absolument pas un doublon avec les Confiteor du prêtre et de ses ministres au début de la messe : le clergé confesse alors son indignité de s’approcher de l’autel pour y célébrer, ce qui est très différent de la confession de l’indignité de tous d’accéder à la communion.

5. Le rite de la mise au tombeau de la seconde grande hostie dans le calice, recouvert de la patène et du voile blanc, est entièrement supprimé. Désormais, le célébrant ne consacre qu’une seule grande hostie et deux ciboires, l’un pour la communion des fidèles le Jeudi Saint, l’autre pour celle du Vendredi Saint. Le célébrant communiera donc le lendemain à une petite hostie, comme un simple fidèle.

6. On invente la pratique de ne communier les fidèles qu’avec des hosties consacrées qu’au cours de cette messe, à l’exclusion de toutes autres. Ce symbolisme nouvellement inventé se heurte à trois objections : théologique, historique & pratique.

  • Théologiquement, cela parait très discutable : en quoi les hosties consacrées précédemment seraient-elles inférieures aux nouvelles ? La présence réelle serait-elle liée au jour de la célébration ? Or, la présence du Christ est réelle et substantielle dans les hosties consacrées, elle continue lorsque l’assemblée se disperse, elle précède de même la réunion de celle-ci.
  • Historiquement, dans l’antiquité, l’Eglise romaine tenait au contraire tout particulièrement au rite du Fermentum : des parcelles consacrées par l’évêque à une messe étaient envoyées pour être consommées par ses prêtres à d’autres messes ou réservées pour être consommée par lui-même à la messe suivante. L’Eglise entendait manifester ainsi l’unité du sacrifice eucharistique du Christ, dans le temps & dans l’espace.
  • En pratique, les curés sont désormais tenus à vider le tabernacle de leurs églises de toute la réserve eucharistique avant le début de cette messe.

7. La fin de la messe connait enfin 3 changements, qui peuvent paraître anecdotiques mais qui témoignent d’un sens liturgique très étrange :

  • Le diacre ne doit plus chanter Ite, missa est mais à sa place Benedicamus Domino, sous le prétexte – rationalisant – qu’on ne doit pas quitter l’église en raison de la procession au reposoir. Jusqu’alors dans le rit romain, Benedicamus Domino remplaçait l’Ite, missa est aux messes de pénitence célébrées en violet (jamais pour une fête du Seigneur en blanc). L’une comme l’autre des deux formules constituent bien une formule de renvoi des fidèles (Benedicamus Domino renvoie les fidèles aussi à la fin des offices). Si la commission avait voulu suivre la logique qu’elle avançait, elle aurait dû supprimer toute formule, Ite, missa est aussi bien que Benedicamus Domino. Ceci dit, un sain rationalisme en liturgie consiste bien à terminer la messe par une formule qui la clôture, car la procession au reposoir ne fait pas partie de la messe et ne possède pas de formule de fin propre. Les formules usitées dans les différents rits latins ou orientaux pour renvoyer les fidèles sont nombreuses et bien différentes (aucun rit n’a du reste l’équivalent d’Ite, missa est, alors que d’autres formules se rapprochent plutôt de Benedicamus Domino), mais lorsque plusieurs offices sont chantés à la suite bout à bout, chacun continue d’avoir sa propre formule de clôture. Il n’y avait donc rien de choquant, bien au contraire, de continuer à marquer la fin de la messe comme à l’ordinaire.
    Là encore, la commission testait une nouveauté qu’elle entendait généraliser. Dans le code des rubriques ultérieur de 1960, la règle traditionnelle (on chante Benedicamus Domino aux messes de pénitence dépourvu de Gloria, à la place d’Ite, missa est) est modifiée ainsi : on doit dire désormais Ite, missa est à toutes les messes, même de pénitence, mais l’on doit dire Benedicamus Domino lorsque la messe est suivie d’une procession.
    Notons que dans l’ordo traditionnel édité cette année 2015 par la Commission Ecclesia Dei rétabli désormais la possibilité de revenir à l’usage antérieur à 1960, usage traditionnel et plus logique : Benedicamus Domino en Carême et jours de pénitence en violet au lieu d’Ite, missa est (car Benedicamus Domino EST aussi une formule de renvoi !).
  • Poursuivant selon la même logique, la commission supprime aussi la bénédiction des fidèles à la fin de la messe du Jeudi Saint. Comme la suppression de la première oraison du prêtre avant la communion, on introduit là encore une spécificité d’une messe des morts célébrée en noir dans la messe d’une fête du Seigneur célébrée en blanc. On ne voit pas très bien sur quels fondements les fidèles ne doivent plus être bénis le Jeudi Saint. S’ils ne le sont pas aux messes de Requiem, c’est pour bien signifier que la messe est appliquée au défunt et non aux vivants qui y assistent (c’est pour cette même raison qu’aux messes de Requiem on ne trace pas sur soi le signe de la croix ni qu’on se frappe la poitrine).
  • Enfin le dernier évangile est supprimé. Le prétexte avancé est là encore que la procession au reposoir suit. Pourtant, il semble évident qu’on posait là une première étape pour sa suppression à toutes les messes du rit romain, ce qui sera acté partiellement en 1960 et complètement en 1965.

Chrémeaux pour les saintes huiles lors de Sacres Royaux de Louis XIII à Charles X8. Dernier point et non des moindres : l’instauration d’une seconde messe le Jeudi Saint, la messe chrismale de l’évêque.

La commission s’est félicitée d’avoir réinstauré une pratique antique. Pour le coup, l’objectif premier de la réforme – rétablir la Semaine Sainte dans sa primitive forme – semble pour une fois avoir été suivi. Car depuis les Rameaux, toutes les réformes que nous avons examinées jusqu’alors se présentent comme des nouveautés non fondées historiquement. Examinons plus en détail cette messe chrismale réinstaurée, dont le titre qui lui est donné est :

FERIA QUINTA IN CENA DOMINI
DE MISSA CHRISMATIS IN QUA BENEDICITUR OLEUM CATECHUMENORUM ET INFIRMORUM, ET CONFICITUR SACRUM CHRISMA.

Il est vrai que le Sacramentaire gélasien (livre présentant la liturgie romaine dans son état du Vème siècle, du temps du pape Gélase et diffusé dans la Gaule mérovingienne tout en présentant des mélanges avec l’ancien rit gallican) donne les oraisons pour trois messes le Jeudi Saint :

  • une messe pour la réconciliation des pénitents, célébrée le matin après tierce,
  • une messe pour la consécration des saintes huiles, célébrée le midi après sexte,
  • une messe de la Cène du Seigneur, célébrée le soir après none.

La commission a travaillé en reprenant les textes de la messe chrismale du Sacramentarium Gelasianum Vetus, manuscrit vraisemblablement copié vers l’an 750 au monastère de Chelles près de Paris et l’un des témoins les plus purs du Sacramentaire gélasien. Elle a repris la première oraison de ce manuscrit en guise de collecte, la secrète, & la préface, mais n’en retient pas la seconde oraison (qui est de fait la vraie collecte ; la présence de deux oraisons au début de la messe indique qu’il y avait donc 2 lectures avant l’évangile : la première oraison était précédée d’un Flectamus genua, la seconde oraison était la véritable collecte – ce système se rencontre à plusieurs messes du Carême et des Quatre-Temps). N’est pas non plus retenu le très bel Hanc igitur propre dans le canon que donne ce manuscrit. La messe chrismale du  Sacramentarium Gelasianum Vetus étant dépourvue de postcommunion, la commission utilise l’oraison sur le peuple de la messe de la Cène du Seigneur de ce même manuscrit en guise de postcommunion, sans y ajouter d’oraison sur le peuple[1].

Par ailleurs, le rite de la consécration des saintes huiles est intégralement repris tel qu’il est dans le Pontifical Romain de 1595, lui-même héritier du Sacramentaire grégorien. Toutefois, dans la préface consécratoire du saint chrême, on a supprimé ensuite en 1962, lors de la réforme du Pontificale Romanum, le passage suivant qui est en fait la préface de la messe qu’on venait de reprendre du Sacramentaire gélasien, et qui de ce fait formait doublon :

Ut spiritualis lavacri Baptismo renovandis creaturam Chrismatis in Sacramentum perfectae salutis vitaeque confirmes; ut sanctificatione unctionis infusa, corruption primae nativitatis absorpta, sanctum uniuscujusque templum acceptabilis vitae innocentiae odore redolescat; ut secundum constitutionis tuae Sacramentum, regio, et sacerdotali, propheticoque honore perfusi, vestimento incorrupti muneris induantur.

Le Sacramentaire gélasien, comme tout sacramentaire ancien, ne donne que les oraisons du prêtre mais aucune indication ni sur les lectures ni sur les chants ; aussi la commission dû-t-elle composer ceux-ci (et demander à Solesmes de créer le nouveau plain-chant sur les textes retenus pour l’introït, le graduel, l’offertoire & la communion).

Deux critiques peuvent être apportées ici sur ce travail proprement d’invention :

  • La première des deux critiques a été rapportée à postériori par Mgr Bugnini lui-même : les textes choisis pour la nouvelle messe chrismale – c’est le cas de l’épître tirée de saint Jacques (V, 13-16), de l’évangile de Marc (VI, 7-13) et de l’antienne de communion (qui reprend Marc VI, 12-13) –  ont surtout mis l’accent sur l’huile des malades, huile bien moins digne que le saint chrême, huile que pouvait bénir un simple prêtre pendant des siècles. Rien n’évoque précisément dans les textes choisis le saint chrême, si ce n’est le nouvel introït, et encore assez indirectement. Pourtant les textes bibliques parlant de l’onction royale qui faisait un “christ”, un “oint”, un “messie” (ces termes sont équivalents) ne manquent pas !
  • Plus techniquement, puisque l’on voulait restaurer une messe tirée du Sacramentaire gélasien, il aurait été heureux de garder complètement le schéma dessiné par ce manuscrit et que l’on retrouve dans beaucoup de messes quadragésimales : introït – Kyrie – 1ère oraison avec Flectamus genua – prophétie – 1er graduel – [eventuellement Gloria, comme aux Quatre-Temps de Pentecôte ou aux vigiles de Pâques et de la Pentecôte] – collecte – épître – 2nd graduel – évangile. Cette messe aurait dû aussi être célébrée après sexte, la commission décide qu’elle devra l’être le matin après tierce.

Enfin, les nouveautés instaurées à la messe de la Cène du Seigneur sont répétées dans la nouvelle messe chrismale :

  • On y chante le Gloria mais pas le Credo, ce qui est tout de même étrange pour une messe pontificale célébrée en blanc réclamant une trentaine de ministres parés.
  • Le baiser de paix y est aussi supprimé, avec comme corollaire la même suppression de la première oraison secrète du prêtre avant la communion : Domine Jesu Christe, qui dixisti Apostolis tuis “Pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis”. Pourtant, cette fois, inexplicablement et sans logique d’ensemble, le dona nobis pacem du 3ème Agnus Dei n’est pas remplacé par miserere nobis.

Autres points à signaler :

  • De façon étrange, la préface de cette messe, reprise du Sacramentaire gélasien, doit être chantée sur le ton férial (dans une messe qu’on veut entourer par ailleurs de tous les aspects de la solennité liturgique).
  • On décide que le pontife seul communie à cette messe, alors que le Sacramentaire gélasien y indiquait qu’on y faisait une communion générale et qu’on y procédait à la réserve eucharistique dans le calice pour la messe des Présanctifiés du Vendredi Saint.
  • Plus cocasse, deux rubriques proprement inutiles sont insérées qui ne peuvent être comprises que par les évêques qui ont en permanence le Sacramentaire gélasien sur leur table de chevet ! (et ils ne doivent pas être bien nombreux…) 🙂
    • Et dicitur haec tantum oratio est inséré après la collecte (qui semble mettre en garde contre la tentation de dire la seconde oraison du Sacramentarium Gelasianum Vetus).
    • Dans le canon, on indique : Communicantes, et quae sequuntur usque ad consecrationem, dicuntur ut in canone missae, nihil addendo vel immutando (pour décourager ceux qui voudraient user de l’Hanc igitur de la messe gélasienne ?) Pourtant, aucune incertitude n’avait lieu d’être ici puisque le Missel romain ne contient pas de Communicantes ou d’Hanc igitur propres au Jeudi Saint.

Finissons cette présentation de la nouvelle messe des saintes huiles en nous interrogeant sur l’opportunité qu’il y avait de recréer une messe chrismale différente de la messe de la Cène. A supposer que le Sacramentaire gélasien donne un état plus ancien de la liturgie romaine (certains textes, en particulier les préfaces, présentent plutôt des traits gallicans), le Sacrementaire grégorien avait bien réduit les trois messes du Jeudi Saint à une seule, ce dont témoignent aussi tous les Ordines Romani qui indiquent que cette messe était célébrée à Rome par le Pape vers 1 heure de l’après-midi. Pourquoi cette réduction ? Une hypothèse pourrait être que saint Grégoire a voulu reproduire ce qu’il avait vu à Constantinople lorsqu’il y était diacre apocrisiaire : dans le rit byzantin comme dans les autres rits orientaux, le saint Chrême est consacré à l’unique messe de la Cène le jeudi Saint. Une autre explication plus réaliste consiste à envisager la réelle difficulté pratique qu’il y a à organiser trois messes pontificales dans une même journée, sans compter la célébration des Ténèbres et des autres heures de l’office divin, le dépouillement des autels et la cérémonie du Mandatum. Il était plus raisonnable de ne garder qu’une messe, celle de la Cène, qui, lorsqu’elle était pontificale, comportait la consécration du saint chrême et la bénédiction des saintes huiles et de faire la cérémonie de la réconciliation des pénitents le matin en dehors d’une messe.

Du reste qu’observe-t-on hélas universellement de nos jours ? que, pour des raisons pratiques, la messe chrismale est anticipée quasiment partout à un autre jour que le Jeudi Saint et se trouve dès lors déconnectée de la célébration du Mystère pascal. C’est une grande perte pour le sens liturgique traditionnel : tous les rits ont toujours consacré le saint chrême le Jeudi Saint, cet usage universel est sans doute très ancien et remonte sinon aux Apôtres, du moins à l’âge post-apostolique. Il y avait un intérêt symbolique fort à réunir le même jour la réconciliation des pénitents (le pardon des péchés), la bénédiction de l’huile qui fait de tout chrétien un christ, un oint, et la célébration du Sacrement de l’Eucharistie, mystère de notre salut.


IInde partie : 
la procession au reposoir & le dépouillement des autels

Synopsis de ces cérémonies dans les livres liturgiques tridentins

Procession du Très-Saint Sacrement au tombeau, après la messe du Jeudi Saint - gravure de PicardAvant les réformes de 1955, après la messe de la Cène, le Très-Saint Sacrement est porté en procession jusqu’à un autel de l’église décoré de fleurs, de tentures et orné de nombreux cierges, où il est déposé dans une urne spéciale (parfois appelée tombeau) ou à défaut un tabernacle. Beaucoup d’églises possédaient une telle urne, propre à cet usage.

Voici les détails de cette procession : après la messe, le célébrant dépose sa chasuble pour prendre la chape blanche. Il impose l’encens dans deux encensoirs et encense avec l’un des deux le Saint Sacrement qui est resté sur l’autel dans le calice recouvert de la patène et du voile blanc. Il reçoit le voile huméral tandis que le diacre va chercher le calice contenant la grande hostie sur l’autel et le remet au célébrant. Le clergé prend des torches et forme alors une procession semblable à celle de la Fête-Dieu, tandis que le chœur chante l’hymne Pange lingua. Pendant la procession deux acolytes alternent pour encenser en permanence le Saint Sacrement sous le dais, tenu par le célébrant sous le voile huméral, comme à la Fête-Dieu.[2] Arrivé au reposoir, le Saint Sacrement est encensé puis placé dans l’urne, tandis que le chœur chante les deux dernières strophes de l’hymne : Tantum ergo et Genitori Genitoque. Puis le clergé retournait au chœur pour y dire vêpres.

Le reposoir du Jeudi saint chez les pères du Très-St-Sacrement de Montréal en 1947.
Le reposoir du Jeudi saint chez les pères du Très-St-Sacrement de Montréal en 1947.

Après vêpres, on procédait au dépouillement des autels. Le célébrant en étole violette entonne l’antienne Diviserunt sibi, qui est poursuivie par le chœur, lequel psalmodie ensuite le psaume XXI, le psaume prophétisant la Passion du Christ et dont le 19ème verset (Ils ont partagé entre eux mes habits, et ils ont jeté le sort sur mon vêtement) donne le sens symbolique de cette cérémonie. L’autel chrétien a toujours symbolisé le Christ, le dépouillement des autels représente donc la façon dont Notre Seigneur fut ignominieusement dépouillé et maltraité lors de sa Passion.[3]

Lors du dépouillement, on ôtait les nappes, tapis, tentures, ornements divers, reliquaires, canons des autels, mais ni la croix – qui restait voilée jusqu’à son dévoilement le lendemain, ni les chandeliers.

Synopsis de ces cérémonies dans la réforme de 1955

La commission n’a pas modifié les cérémonies antérieures sauf sur deux points :

  • Le chant des vêpres est supprimé (ce point a été développé précédemment dans notre article sur les autres offices divins pendant le Triduum).
  • Il semblerait qu’on doive aussi désormais retirer la croix d’autel et les chandeliers. Rien n’est spécifié lors du dépouillement des autels, cependant les nouvelles rubriques du Vendredi Saint précisent qu’on commence la cérémonie du lendemain devant un autel sans croix ni chandelier (à moins qu’il faille les transporter en privée pendant la nuit !).
    Comme le note Don Stefano Carusi : “C’est sans doute sur la base d’un certain archéologisme liturgique qu’on a voulu ainsi préparer les esprits au spectacle, dénué de sens théologique, d’une table nue au centre du chœur”.

IIIème partie : le Mandatum, ou Lavement des pieds

Synopsis du Mandatum dans les livres liturgiques tridentins

Lavement des pieds par l'évêque - Mandatum - Cérémonial des évêquesAvant les réformes de 1955, le Lavement des pieds, communément appelé Mandatum ou en vieux français Mandé[4], du premier mot de la première antienne qui s’y chante (Mandatum novum do vobis – Je vous donne un commandement nouveau) a lieu au cours d’une cérémonie à part, après le dépouillement des autels, et d’ordinaire après un temps de repos[5].

En principe, la cérémonie du Mandatum ne se déroule pas dans le chœur ni devant l’autel majeur, mais dans une salle capitulaire, une sacristie ou une salle annexe de l’église. Le décret In una Urbis du 22 mars 1817 précise qu’on ne pourrait faire cette cérémonie dans l’église que si celle-ci était très vaste et pouvait offrir un endroit approprié qui fut hors de la vue de la chapelle du reposoir. Le célébrant est en chape violette mais ses ministres ont repris les ornements blancs comme à la messe, car le diacre va commencer par chanter l’évangile Ante diem festum Paschæ (Jean XIII, 1-15) de la messe de la Cène, avec toutes les cérémonies ordinaires, l’évangéliaire étant tenu par le sous-diacre. Puis le célébrant dépose sa chape, se ceint d’un linge comme fit Notre Seigneur la veille de sa Passion et lave les pieds de cette façon : le célébrant se met à genoux devant celui dont il va laver le pied, comme fit le Christ, le sous-diacre tient le pied droit que le célébrant lave puis embrasse, ensuite le diacre essuie le pied avec une serviette. Notons que seul le célébrant – qui figure le Christ – se met à genoux devant celui dont il lave les pieds – qui représente un apôtre. Pendant toute la durée du lavement des pieds, le chœur chante 9 magnifiques antiennes. Après quoi le célébrant reprend la chape pour le Pater noster qui est dit tout bas et après 4 versets, une oraison termine la cérémonie. On dit peu après les complies au chœur.[6]

Saint Louis lavant les pieds des pauvresLe nombre ni la qualité de ceux dont on lave le pied n’est pas précisé par les rubriques du Missel Romain. Très curieusement, on lavait ordinairement les pieds de 13 individus et non de 12, à la suite d’un miracle arrivé au pape saint Grégoire le Grand qui avait lavé les pieds d’un treizième pauvre qui s’était révélé être un ange, mais on note des endroits où on lava jusqu’aux pieds de 100 pauvres.  A Notre-Dame de Paris, Eudes de Sully (évêque de Paris de 1197 à 1208) avait institué qu’on laverait les pieds de 50 pauvres le Jeudi Saint. Cette cérémonie n’était pas proprement ecclésiastique, car en ce jour les supérieurs lavaient les pieds aux inférieurs, en particulier les rois et les princes. Ainsi, à la cour de France, le Roi, la Reine et le Dauphin lavaient chacun les pieds de 13 pauvres chaque Jeudi Saint, Louis XIV avait commencé à pratiquer cette cérémonie à l’âge de 4 ans et le fit jusqu’à sa mort.

Synopsis du Mandatum dans la réforme de 1955

La principale innovation est le déplacement de la cérémonie du Mandatum à l’intérieur de la messe de la Cène, après l’évangile et avant l’offertoire. Une brève homélie doit aussi avoir lieu entre l’évangile et le Mandatum.

Il est assez piquant de constater que les réformateurs, si à cheval sur la réalité des horaires des offices (la veritas horarum) et partisans d’un déroulement chronologique strict des offices de la Semaine Sainte, ne se sont pas aperçus qu’en déplaçant le lavement des pieds à l’intérieur de la Cène, ils inversaient de fait l’ordre des évènements tels que décrits par les évangiles :  Notre-Seigneur a lavé les pieds des Apôtres après la Cène – « et cena facta » (Jean XIII, 2).

A noter que ce déplacement du Mandatum à l’intérieur de la messe n’est pas devenu strictement obligatoire même si très vivement conseillé (une église pourrait donc vouloir continuer de le faire de la façon traditionnelle, les nouvelles rubriques indiquent qu’il faut alors reprendre l’évangile de la messe, comme dans le Missel de saint Pie V).

Le célébrant doit laver les pieds de 12 hommes (et non plus 13), qui sont introduits par le diacre et le sous-diacre au milieu de l’espace sacré du chœur où se déroule désormais la cérémonie. Il n’est plus précisé que le célébrant baise chacun des pieds qu’il lave. La cérémonie est désormais sérieusement plus compliquée car, en plus du célébrant, du diacre et du sous-diacre, les rubriques nécessitent désormais la présence du 1er et du 2nd acolyte, du cérémoniaire mais aussi la présence d’un, voire de deux autres clercs assistants, soit 8 personnes pour laver un pied ![7]

Les réformateurs n’ont pas vu le symbolisme fort de l’agenouillement du seul célébrant – figurant le Christ – devant celui à qui il doit laver les pieds : désormais les 8 clercs doivent s’agenouiller simultanément devant l’individu dont on lave le pied !

Ce qui aurait paru incongru à nos pères – introduire des laïcs dans le chœur d’une église et les voir se déchausser -, ne l’est plus. Comme le note Don Stefano Carusi, il y a là une perte certaine du sens du sacré :

Or pour un motif tout à fait inconnu, les réformateurs choisissent arbitrairement de placer le lavement des pieds au milieu de la Messe, ce qui a pour conséquence que des laïcs accèdent au chœur, où ils doivent ôter chaussures et chaussettes. C’est là une volonté claire de repenser la sacralité de l’espace presbytéral et de remettre en cause son interdiction aux laïcs durant les offices. Le lavement des pieds est donc déplacé au moment de l’Offertoire, en abusant de la pratique de couper en morceaux la célébration de la Messe en y insérant d’autres rites, pratique qui se fonde sur la très discutable division entre liturgie de la parole et liturgie eucharistique.

Les 9 antiennes du Missel de saint Pie V dont le chant accompagne le lavement des pieds sont maintenues, sauf la 8ème qui est supprimée. Une nouvelle rubrique précise que la 9ème antienne (Ubi caritas et amor), pourtant la moins ancienne pièce de cette série, ne devra jamais être omise (il y avait eut dans les années 1950 un certain engouement pour cette pièce, qui entrait alors dans l’air du temps).

Enfin, à l’instar de l’oraison nouvelle qui conclut la nouvelle procession des Rameaux, l’oraison conclusive du Mandatum doit désormais se dire face aux fidèles. Il s’agissait là encore, comme aux Rameaux, d’introduire l’idée d’une célébration face au peuple.

Conclusion partielle

Comme nous l’avons observé dans les précédents articles de cette série, tout cela laisse une impression de réforme plutôt brouillonne, des modifications faites sans harmonie avec le reste du rit romain, où déjà se dessinent des projets mis en œuvre ultérieurement, parmi lesquels la concélébration et la célébration face au peuple.

Toutefois, pour la première fois, nous avons pu observer une réelle tentative de retourner à des formes antiques, avec la reprise des éléments euchologiques du Sacramentaire gélasien pour la recréation d’une messe chrismale propre. L’opportunité du rétablissement de celle-ci (vraisemblablement supprimée par saint Grégoire le Grand lui-même, ce qui n’est pas rien !) ne résiste pas à l’examen de la pratique qui s’en est suivi jusqu’à nos jours, où l’on a fini par devoir déconnecter la messe chrismale du Triduum pascal pour des raisons de commodité.

*
Voici pour finir les passages de la conférence de Mgr Gromier touchant à la réforme du Jeudi saint, dans le style croustillant qui était le sien. Au delà du style, la portée de l’argumentation fait toujours mouche, il est vrai que le vieux cérémoniaire papal avait du métier…

“Pour ne rien oublier, on nous apprend qu’est solennel même le reposoir du jeudi saint ; ce que n’a jamais dit le Missel, mieux rédigé que certaines rubriques. (…)

Bon gré ou mal gré, la communion du clergé, souhaitée à la messe du jeudi saint, sera toujours en lutte avec les permission données de célébrer la messe privée. (…)

La Missa Chrismatis, messe pontificale célébrée avec 26 parés rappelant la concélébration, célébrée sans aucun rapport avec le jeûne, dans laquelle il n’est pas permis de donner la communion, forme un curieux problème difficile à résoudre. Sa préface propre sur le ton férial, se range parmi d’autres curiosités.

Dans le rite romain l’emploie de l’étole est limité par des règles ; personne ne peut la porter sans motif ; elle se met au moment voulu, ni avant ni après ; elle est un vêtement sacré, n’a aucun rapport avec le vêtement choral, soit pour les individus, soit pour un corps du clergé. Les prêtres n’ont pas plus le droit de porter l’étole pendant une messe, où ils communieront, que pendant une messe d’ordination, où ils imposeront les mains. En disant l’inverse les pastoraux abusent de leur latitude imméritée.

A la messe du jeudi saint le célébrant commence solennellement le Gloria in excelsis ; comment ferait-il pour le commencer autrement ? Ici nous trouvons une transposition, sinon de grande importance, du moins de haute signification pastorale. Jusqu’à présent après le chant de la passion du vendredi saint, la liturgie donnait place à un sermon sur la Passion ; on s’apitoyait sur le Christ mort en croix, avant d’adorer l’un et l’autre. Maintenant il n’est plus question de cela, on n’en parle plus. En revanche après l’évangile du jeudi saint une homélie est fort conseillée pour qu’on s’émerveille du Christ lavant les pieds.

Des documents anciens il ressort que la messe ne fut jamais ni le lieu ni le temps du Mandatum. Celui-ci en était séparé, était généralement suivi d’une réfection du clergé. Le roi ou empereur participait au Mandatum, non pas à la messe. Le Ceremoniale Episcoporum situe le Mandatum dans un local convenable, ou dans la salle capitulaire, ou dans l’église mais pas dans le chœur. Le missel ne spécifie aucun lieu, ne suppose ni chœur ni autel. Du moment que la réconciliation des pénitents se faisait dans la nef, le bon sens ne pouvait admettre dans le chœur des hommes du laïcat. Les pastoraux veulent le Mandatum dans la messe, ne font que le tolérer en dehors ; ils s’aperçoivent à peine qu’on peut laver les pieds à des clercs, véritables ou tenus pour tels.

Une remarque s’impose sur la distribution des rôles. Le diacre et le sous-diacre sont chargés d’introduire les douze hommes choisis (non plus treize) dans le chœur, puis de les reconduire à leur place d’auparavant. Ce service est celui d’un bedeau ou d’un sacristain ; mais il exprime bien la mentalité pastorale imprégnée de démagogie peu avantageuse au clergé. Il fut un temps où chaque candidat au pédiluve était porté, à force de bras, par des hommes idoines, devant le pape assis pour laver les pieds. Les pastoraux, n’osant pas pousser à ce point la “charité fraternelle”, se contentent d’employer le diacre et le sous-diacre à introduire les candidats, puis à les reconduire dehors. Certains regretteront l’antique usage signalé, car non seulement le sport mais aussi l’activité sociale et pastorale du clergé en aurait profité.

Nous rencontrons un gros obstacle sans dissimulation possible. Par décret du 4 décembre 1952 la Sacré Congrégation des Rites censurait l’incongruité du fait que l’évêque se chausse et se déchausse, prend et quitte chausse et sandales dans l’église ; par suite elle prohibait un tel emploi des chaussures liturgiques, lequel devait toujours se faire hors de l’église, malgré les règles jusqu’alors en vigueur. Ce décret est excessivement discutable, car il se base sur l’inexactitude, en attribuant au Ceremoniale Episcoparum des choses qu’il n’a jamais dites. Ne le discutons pas, et limitons nous à sa prohibition. L’évêque, hors de la messe, reçoit chausse et sandales sur jambes et pieds non dénudés, puisque couverts des bas. Ces chaussures sont des vêtements sacrés, autant qu’une mitre et une paire de gants, bénits, reçus simultanément avec l’épiscopat, accompagnés d’une prière, mis en œuvre avec toute la bienséance possible ; la pratique existant depuis des siècles. Au contraire 12 hommes dans le chœur, pendant la messe, se déchaussent, mettent à nu leur pied droit, et se rechaussent avant de se retirer ; la pratique étant d’invention moderne. En résumé douze pieds nus sont moins incongrus que les deux de l’évêque chaussés, sans compter les autres différences.

Le souci d’éliminer le mot pax de la messe du jeudi saint, parce que le baiser de la paix ne se donne pas, s’étend à une oraison, au Confiteor, etc…, au baiser de la main de l’évêque, a l’Ite missa est, à la bénédiction et au dernier évangile. Mais on ne sait pas si ils tolèrent les autres baisers, de main et d’objet ; car ils pourraient les proscrire aussi machinalement. La science des pastoraux en est encore au point de prendre le baiser de la main pour le baiser de l’anneau.

L’épargne d’un Confiteor à la communion du jeudi saint, c’est à dire un échange qui prend le Confiteor inaperçu dit privatim par le célébrant au début de la messe, pour qu’il tienne lieu du Confiteor collectif, chanté par le diacre avant la communion, est peut-on dire, tirée par les cheveux. La subtilité du troc ne suffit pas à masquer l’énorme dissemblance de deux emplois du Confiteor. Trop de finesse peut nuire.

Le départ et l’arrivée de la procession au reposoir donnent une preuve patente de la dextérité cérémoniale des pastoraux. Au départ le célébrant prend le ciboire avec l’aide du diacre, et maladroitement ; à l’arrivée il le dépose avec ou sans l’aide du diacre, et mal également. Les réformes exigent de ceux qui les font une formation que beaucoup n’ont pas. Depuis le Dimanche des Rameaux, nous sommes sans nouvelles tant de la croix de procession que celle de l’autel. Furent-elles découvertes ou voilées, et de quelle couleur ? Personne n’en sait rien.”

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Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

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Notes

Notes :    (↵ reviens au texte)

  1. Cette oraison était déjà présente dans le Sacramentaire léonien comme postcommunion de la IIIème messe de la Nativité de saint Jean-Baptiste le 24 juin.
  2. Certaines des premières éditions du Missel Romain de saint Pie V comportaient une rubrique indiquant qu’on sonnait les cloches pendant cette procession.
  3. En France, non seulement on dépouillait les autels mais on les lavait ensuite avec un mélange d’eau et de vin, en chantant l’antienne du saint patron auquel il était dédié. Les fidèles venaient ensuite baiser les pierres d’autels et les reliques des saints qui y sont enchâssées.
  4. D’où provient aussi l’anglais Maundy Thursday pour désigner le Jeudi Saint.
  5. Comme le rappelait la rubrique du Missel de saint Pie V, on appelait les fidèles au moyen de la simandre (planche de bois frappée par un maillet), l’usage des cloches n’étant plus possible.
  6. En France, l’usage était que le peuple restât dans l’église. Des diacres distribuaient du pain et du vin pendant qu’on lisait le dernier discours de Notre Seigneur à ses disciples dans l’évangile de saint Jean.
  7. Voici la description de cette cérémonie bien compliquée par les nouvelles rubriques :

    Pendant ce temps, les acolytes se rendent près de la table : le premier prend l’aiguière avec l’eau, le second le plateau. Un clerc vient prendre le plateau avec les serviettes et, s’il y a lieu, un second clerc portera les aumônes. Ils viennent se ranger au bas des degrés laissant la place pour le célébrant et les ministres sacrés.

    Le célébrant et ses ministres viennent devant l’autel et tous font la génuflexion. Puis les deux acolytes se dirigent vers le premier élu, c’est-à-dire celui qui est le plus près de l’autel, du côté de l’épître. Le célébrant et ses ministres marchent à leur suite et enfin les autres clercs. Ils s’agenouillent tous : le sous-diacre soulève légèrement le pied droit du premier homme ; le premier acolyte verse de l’eau, le deuxièmesoutenant le plateau, tandis que le prêtre lave le pied puis l’essuie avec la serviette que le diacre lui a donnée. Le célébrant rend la serviette au cérémoniaire, reçoit l’aumône des mains du diacre et la remet au pauvre. (Le baisement du pied n’est plus prescrit.) Tous se relèvent et vont s’agenouiller devant le suivant, tandis que le premier se rechausse.

La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum

Articles précédents :

On continuité avec notre précédent article sur les modifications opérées dans l’office des Ténèbres, nous poursuivons notre série d’articles sur les réformes de la Semaine Sainte décidées en 1955 avec le traitement réservé aux autres heures de l’office divin pendant le Triduum pascal et les premières vêpres de Pâques. Cet aspect pourra sembler secondaire de nos jours puisqu’il semble n’intéresser qu’assez peu le commun des fidèles. Pourtant, on constatera là encore, au travers des mutations opérées à ces petits offices, la création d’anomalies liturgiques surprenantes.

L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

Synopsis des offices divins dans le bréviaire de saint Pie V & dans celui de saint Pie X

L’office divin du Triduum pascal avait préservé un caractère antique marqué. Si l’office de nuit (les Ténèbres, composé de trois nocturnes joints à l’office du matin) était célébré avec un certain faste, les autres heures de l’office divin par contraste revêtaient une forme d’extrême simplicité :

  • aux petites heures (prime, tierce, sexte, none, complies) les psaumes habituels y étaient simplement psalmodiés sans antiennes, recto tono.

Début de l'office de prime durant le Triduum pascal - L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

  • à vêpres, les cinq psaumes étaient chantés avec antiennes, le Magnificat recevait une antienne propre tirée de l’évangile du jour. Toutefois l’usage s’était établi de réciter aussi recto tono les offices de vêpres au soir du Jeudi saint & du Vendredi saint.
  • comme aux Ténèbres, ces offices sont extrèmement dépouillés : mis à part les psaumes, ils ne comportent plus les autres éléments que l’on rencontre pendant l’année : versets d’ouverture, Gloria Patri, capitules, hymnes, répons, versicules, preces, leçons brèves, lecture du Martyrologe (à prime).
  • on terminait chacun de ces offices à genoux exactement comme aux Ténèbres :
    • Christus factus est (récité mais non chanté),
    • Pater noster en secret,
    • psaume 50 Miserere mei Deus psalmodié recto tono,
    • et l’oraison Respice, quæsumus Domine, (dont la conclusion était dite en secret par l’officiant).

Fin des offices durant le Triduum pascal - L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

Comme nous l’avons déjà noté pour les Ténèbres, l’oraison Respice est la seule dite à tous les offices du Triduum, depuis vêpres du Mercredi Saint jusqu’à none du Samedi Saint. Cette oraison contribue à l’unité & à l’identité liturgique forte de ces trois jours, c’est en quelque sorte un leitmotiv de tout le Triduum pascal. En voici son texte & sa traduction :

Réspice, quæsumus Dómine, super hanc famíliam tuam, pro qua Dóminus noster Jesus Christus non dubitávit mánibus tradi nocéntium, et crucis subíre torméntum.
Nous vous prions, Seigneur, de regarder en pitié votre famille, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ n’a point refusé de se livrer entre les mains des méchants, & de souffrir le supplice de la croix.

Ce contraste entre l’office de nuit chanté avec faste et les autres heures simplement récitées pourrait préserver une structuration tout à fait antique : la prière de nuit était universellement célébrée dans les toutes premières communautés chrétiennes, l’heure de vêpres ne commença ensuite à être célébrée dans les offices des cathédrales qu’à partir de la paix constantinienne au IVème, tandis que les petites heures (tierce, sexte, none dans un premier temps, puis prime & complies) s’ajoutèrent ensuite, d’abord comme prières pour des groupes de pieux fidèles puis au sein des premières communautés monastiques. Encore aujourd’hui dans le rit éthiopien, par exemple, seul l’office nocturne est célébré et chanté en paroisse tous les jours, les autres heures, même les vêpres, ne sont que récitées.

Dans la liturgie traditionnelle, le Triduum pascal se terminait à l’office de none du Samedi saint, après lequel on commençait la célébration de la vigile pascale (comme du reste les autres messes de vigiles durant l’année qui se célèbrent après none et avant vêpres, en particulier celles du samedi des Quatre-Temps).

Cette vigile pascale pouvait durer plusieurs longues heures dans l’antiquité, car on y célébrait non seulement les baptêmes des catéchumènes, mais on y procédait également aux ordinations dans les sept ordres ecclésiastiques (y compris le sacre des évêques).

Les premières vêpres de Pâques étaient comme enchâssées dans la vigile pascale : on les célébrait après la communion et avant l’Ite missa est.

En raison de la durée de la vigile pascale, ces vêpres pascales étaient les plus brèves qui soient : elles consistaient dans le chant du psaume 116 Laudate Dominum omnes gentes, le plus court du psautier (2 versets seulement, 4 avec le Gloria Patri), chanté avec antienne (un triple alleluia) et le Magnificat chanté avec une superbe antienne tirée du texte de l’évangile de la messe de la vigile : Vespere autem Sabbati, tandis que le célébrant & ses ministres encensent l’autel[1]. Il est à noter que cette antienne se retrouve universellement dans tous les antiphonaires manuscrits du rit romain à cette place, même les plus anciens (comme dans l’Antiphonaire de Compiègne, du IXème siècle, le plus ancien manuscrit complet de l’antiphonaire grégorien). En raison de son importance, elle est très souvent ornée de miniatures dans les manuscrits médiévaux :

Premières vêpres des Pâques dans l'antiphonaire de Kosterneubourg 1013 datant du XIIème siècle - Antiennes Alleluia pour le psaume 116 et Vespere autem Sabbati pour le Magnificat.
Premières vêpres des Pâques dans l’antiphonaire de Kosterneubourg 1013 datant du XIIème siècle.
Antiennes Alleluia pour le psaume 116 et Vespere autem Sabbati pour le Magnificat.
Antienne Vespere autem Sabbati dans l'antiphonaire de Saint-Gall 388 du XIIème siècle.
Antienne Vespere autem Sabbati dans l’antiphonaire de Saint-Gall 388 du XIIème siècle.

La postcommunion de la messe tient aussi lieu d’oraison de vêpres et on terminait ensuite la messe comme à l’ordinaire.

Même si la cérémonie de la vigile pascale pouvait être très longue, elle ne supprimait donc pas les premières vêpres de Pâques.

L’enchâssement de cet office des premières vêpres de Pâques à la fin de la communion de la vigile pascale était le seul reliquat dans le missel de saint Pie V d’une pratique beaucoup plus fréquente autrefois qui consistait à chanter un office après la communion et de conclure la messe ensuite. Ainsi, dans l’ancien usage de Paris, on chantait de même les laudes de Noël après la communion de la messe de Minuit, les vêpres du Jeudi Saint après la communion de la messe de la Cène et les vêpres du Vendredi Saint après la communion de la messe des Présanctifiés. On note aussi que souvent, dans beaucoup de bréviaires médiévaux, l’oraison des premières vêpres d’une fête correspond à la postcommunion de la messe de sa vigile.[2]

La profonde réforme du bréviaire romain opérée sous Pie X ne toucha pas radicalement à la structure des heures du Triduum Pascal. Les seules simplifications consistent en la suppression du second psaume de prime du Jeudi Saint (Psaume 22 – Dominus regit me, psaume eucharistique) et du Vendredi Saint (Psaume 21 – Deus, Deus meus, respice in me, psaume de la Passion par excellence). L’office des Complies voit aussi la suppression des versets 1 à 6 du psaume 30[3].

Synopsis de ces offices dans la réforme de 1955

Comme aux Ténèbres, la réforme de 1955 s’attacha à supprimer le psaume 50 Miserere qui se récitait recto tono à la fin de toutes les heures du Triduum pascal.

Les réformateurs décident aussi que les vêpres du Jeudi Saint et du Vendredi Saint ne doivent plus être célébrées au chœur. On estime désormais que la messe de la Cène et la nouvelle action liturgique du Vendredi Saint tiennent lieu de vêpres (!). Leur récitation privée reste possible mais devient facultative si le clerc a assisté aux deux cérémonies susdites. Comme on le verra plus en détail pour le jour de Pâques, les réformateurs créent donc des jours liturgiques qui ne sont pas pourvus de l’intégralité des offices divins, chose assez inouïe dans l’histoire de la liturgie de l’Eglise. Or nous l’avions vu, l’extrême longueur de la vigile pascale antique ne dispensait pas de la célébration des vêpres, même si celles-ci étaient plus courtes qu’à l’ordinaire.

Justement, ces premières vêpres de Pâques sont supprimées de la vigile pascale, où elles sont désormais remplacées par des laudes de Pâques, comme on le verra à l’article sur la vigile pascale. Les réformateurs composent des vêpres du samedi saint en utilisant les psaumes des anciennes vêpres du Jeudi Saint et du Vendredi Saint, revêtues de nouvelles antiennes qui ne chantent pas la résurrection mais restent dans la tonalité du Samedi Saint (quand elles ne sont pas de simples antiennes fériales qui pourraient convenir à n’importe quel jour de l’année).

Très bizarrement, Pâques devient de ce fait la seule fête double de l’année qui est désormais dépourvues de premières vêpres. Il s’agit là d’une profonde perte du sens chrétien du jour liturgique, lequel commence toujours la veille au soir par les vêpres (principe du nycthémère énoncé dès la première page de la Genèse : “Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour”).

Au passage, la fameuse antienne de Magnificat – Vespere autem Sabbati – tirée de l’évangile selon saint Matthieu, antienne qui a inspiré au cours des âges tant de compositeurs et qui a signé l’allégresse pascale pour des générations de chrétiens qui rendaient grâce à Dieu de la résurrection par le chant du Magnificat, disparaît complètement de l’office.

Citons sur cette question la fameuse conférence de Mgr Gromier sur les réformes de 1955 :

Que les vêpres du jeudi et du vendredi saint soient omises, supprimées, voilà qui atteint le comble de l’arbitraire, surtout quand on allègue ce motif : la messe tient lieu de vêpres, car elle est le principal. Or, entre messe et vêpres, il n’y a aucune rivalité ; les vêpres ont la même principalité que les autres fonctions liturgiques. Suivant les temps et les lieux, les vêpres ont été écourtées après la messe du samedi ; elles le furent aussi après la messe du jeudi et du vendredi ; jamais on ne pensa à les abolir. L’horaire rétabli par les pastoraux s’accorde en plein avec le fait historique, c’est à dire jeûne jusqu’aux vêpres, qui sont précédées de la messe et de la communion. (…) Quelle raison peut interdire les vêpres du jeudi et du vendredi, après la messe qui n’est pas nocturne par définition ? Le samedi saint sans complies est inexplicable ; le jeudi et vendredi saints, avec complies mais sans vêpres, défient le raisonnement ; car on a beau se coucher tard, le coucher n’en a pas moins lieu et exige sa prière.

Surtout, la réforme s’attacha à rompre l’unité liturgique organique des trois jours du Mystère pascal, marquée par la répétition de l’antique oraison du Triduum Respice, quæsumus, Domine :

  • A Complies, c’est désormais l’oraison quotidienne de tout le reste de l’année (Visita, quæsumus) qui est employée à la place de Respice, quæsumus, Domine ; bizarrement, l’oraison de prime, qui est aussi la même tout le restant de l’année (Domine Deus omnipotens) demeure quant à elle toujours remplacée par l’oraison du Triduum Respice Domine.
  • Pour tous les offices du Samedi Saint, une nouvelle oraison a été composée (Concede, quæsumus, omnipotens Deus), qui se substitue partout à Respice, quæsumus, Domine. Elle ne présente pas d’intérêt flagrant.

Ce point était souligné par Mgr Gromier :

L’Eglise pleure et gémit pendant les trois jours que le Seigneur resta au tombeau ; pendant ces trois jours de funérailles du Christ mort, toutes les heures de l’office se terminent par l’oraison Respice quaesumus, qui est justement l’oraison super populum à la messe du mercredi saint. Les pastoraux rompent cette continuité et unité par un remplacement ; à la fin des heures du samedi ils mettent une oraison qui leur donne l’aspect d’une banale vigile, qui jure avec le reste, surtout avec l’antienne Christus factus est. Si la pastorale était logique, elle verrait que son oraison, n’étant plus dans le ton des trois jours, n’a plus de motifs d’être dite à genoux et avec conclusion silencieuse. Sa manière de terminer les vêpres n’est pas moins étrange.

Cette volonté systématique de briser ce qui faisait l’unité de ces trois jours si particuliers de l’année liturgique a de quoi surprendre, alors même que l’ouvrage de Louis Bouyer sur le Mystère Pascal, qui avait connu sa première édition en 1945, avait eut un retentissement certain sur les acteurs du mouvement liturgique.

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Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

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Notes

Notes :    (↵ reviens au texte)

  1. A noter que l’encensement de l’autel ne se fait pas ni au Benedictus des laudes, ni au Magnificat des vêpres pendant le Triduum pascal.
  2. Nous parlerons plus en détail dans un huitième article de l’office divin de Pâques.
  3. Ces 6 versets du psaume 30 se disaient autrefois tous les jours de l’année à complies entre le psaume 4 et le psaume 90 en raison du texte du 6ème verset : In manus tuas comméndo spíritum meum.

Enregistrement : sainte messe du dimanche de la Passion

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Téléchargez les partitions chantées au cours de cette messe & présentes dans cet enregistrement :

Les fichiers MP3 sont téléchargeables ici.

La Descente de Croix - d'après Charles Le Brun - XVIIème siècle

Programme du dimanche de la Passion

Dimanche de la PassionSaint-Eugène, le dimanche 22 mars 2015, grand’messe de 11h.

Avec les premières vêpres de ce dimanche, nous entrons dans le temps de la Passion. La première partie du Carême avait jusqu’alors été surtout consacrée à notre ascèse personnelle, à la contrition de nos péchés. Désormais, le rit romain nous fait méditer sur la Passion & sur la Croix de notre Seigneur. Ce deuil où nous pleurons l’Epoux divin est marqué par un symbole très fort : à compter des premières vêpres de ce dimanche, les saintes images et les croix sont désormais voilées de violet, en signe de deuil. Les derniers chants joyeux de la messe cessent de se faire entendre : le Gloria Patri disparaît à l’Introït, au Lavabo et dans les répons de l’Office divin. De même, le psaume 42 des prières au bas de l’autel n’est plus récité jusqu’à Pâques. Dans les leçons des vigiles nocturnes, on quitte la lecture des livres de Moïse pour prendre celle du prophète Jérémie, l’une des plus importantes figures du Messie souffrant. L’admirable texte du chapitre IX de l’épître aux Hébreux qui est lu à la messe de ce dimanche est commun au rits romain & byzantin : il s’agit d’une parfaite préface au temps de la Passion.

A Rome, la station se fait en la basilique Saint-Pierre : l’importance de ce dimanche, qui ne cède la place à aucune fête, quelque solennelle qu’elle soit, demandait que la réunion des fidèles eût lieu dans l’un des plus augustes sanctuaires de la ville sainte.

“Nous n’ignorons pas, mes bien-aimés, que le mystère pascal occupe le premier rang parmi toutes les solennités chrétiennes. Notre manière de vivre durant l’année tout entière doit, il est vrai, par la réforme de nos mœurs, nous disposer à le célébrer d’une manière digne et convenable ; mais les jours présents exigent au plus haut degré notre dévotion, car nous savons qu’ils sont proches de celui où nous célébrons le mystère très sublime de la divine miséricorde. C’est avec raison et par l’inspiration de l’Esprit-Saint, que les saints Apôtres ont ordonné pour ces jours des jeûnes plus austères, afin que par une participation commune à la croix du Christ, nous fassions, nous aussi, quelque chose qui nous unisse à ce qu’il a fait pour nous. Comme le dit l’Apôtre : “Si nous souffrons avec lui, nous serons glorifiés avec lui.” Là où il y a participation à la passion du Seigneur, on peut regarder comme certaine et assurée l’attente du bonheur qu’il a promis.”
Homélie de saint Léon, pape, IVème leçon des vigiles nocturnes de ce dimanche, au second nocturne.

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Crucifixion tirée d'un canon pontifical du XVIIème siècle