La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum

Articles précédents :

On continuité avec notre précédent article sur les modifications opérées dans l’office des Ténèbres, nous poursuivons notre série d’articles sur les réformes de la Semaine Sainte décidées en 1955 avec le traitement réservé aux autres heures de l’office divin pendant le Triduum pascal et les premières vêpres de Pâques. Cet aspect pourra sembler secondaire de nos jours puisqu’il semble n’intéresser qu’assez peu le commun des fidèles. Pourtant, on constatera là encore, au travers des mutations opérées à ces petits offices, la création d’anomalies liturgiques surprenantes.

L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

Synopsis des offices divins dans le bréviaire de saint Pie V & dans celui de saint Pie X

L’office divin du Triduum pascal avait préservé un caractère antique marqué. Si l’office de nuit (les Ténèbres, composé de trois nocturnes joints à l’office du matin) était célébré avec un certain faste, les autres heures de l’office divin par contraste revêtaient une forme d’extrême simplicité :

  • aux petites heures (prime, tierce, sexte, none, complies) les psaumes habituels y étaient simplement psalmodiés sans antiennes, recto tono.

Début de l'office de prime durant le Triduum pascal - L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

  • à vêpres, les cinq psaumes étaient chantés avec antiennes, le Magnificat recevait une antienne propre tirée de l’évangile du jour. Toutefois l’usage s’était établi de réciter aussi recto tono les offices de vêpres au soir du Jeudi saint & du Vendredi saint.
  • comme aux Ténèbres, ces offices sont extrèmement dépouillés : mis à part les psaumes, ils ne comportent plus les autres éléments que l’on rencontre pendant l’année : versets d’ouverture, Gloria Patri, capitules, hymnes, répons, versicules, preces, leçons brèves, lecture du Martyrologe (à prime).
  • on terminait chacun de ces offices à genoux exactement comme aux Ténèbres :
    • Christus factus est (récité mais non chanté),
    • Pater noster en secret,
    • psaume 50 Miserere mei Deus psalmodié recto tono,
    • et l’oraison Respice, quæsumus Domine, (dont la conclusion était dite en secret par l’officiant).

Fin des offices durant le Triduum pascal - L'office de la Semaine Sainte selon le Missel & Bréviaire Romain - Paris, Clopejau 1659

Comme nous l’avons déjà noté pour les Ténèbres, l’oraison Respice est la seule dite à tous les offices du Triduum, depuis vêpres du Mercredi Saint jusqu’à none du Samedi Saint. Cette oraison contribue à l’unité & à l’identité liturgique forte de ces trois jours, c’est en quelque sorte un leitmotiv de tout le Triduum pascal. En voici son texte & sa traduction :

Réspice, quæsumus Dómine, super hanc famíliam tuam, pro qua Dóminus noster Jesus Christus non dubitávit mánibus tradi nocéntium, et crucis subíre torméntum.
Nous vous prions, Seigneur, de regarder en pitié votre famille, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ n’a point refusé de se livrer entre les mains des méchants, & de souffrir le supplice de la croix.

Ce contraste entre l’office de nuit chanté avec faste et les autres heures simplement récitées pourrait préserver une structuration tout à fait antique : la prière de nuit était universellement célébrée dans les toutes premières communautés chrétiennes, l’heure de vêpres ne commença ensuite à être célébrée dans les offices des cathédrales qu’à partir de la paix constantinienne au IVème, tandis que les petites heures (tierce, sexte, none dans un premier temps, puis prime & complies) s’ajoutèrent ensuite, d’abord comme prières pour des groupes de pieux fidèles puis au sein des premières communautés monastiques. Encore aujourd’hui dans le rit éthiopien, par exemple, seul l’office nocturne est célébré et chanté en paroisse tous les jours, les autres heures, même les vêpres, ne sont que récitées.

Dans la liturgie traditionnelle, le Triduum pascal se terminait à l’office de none du Samedi saint, après lequel on commençait la célébration de la vigile pascale (comme du reste les autres messes de vigiles durant l’année qui se célèbrent après none et avant vêpres, en particulier celles du samedi des Quatre-Temps).

Cette vigile pascale pouvait durer plusieurs longues heures dans l’antiquité, car on y célébrait non seulement les baptêmes des catéchumènes, mais on y procédait également aux ordinations dans les sept ordres ecclésiastiques (y compris le sacre des évêques).

Les premières vêpres de Pâques étaient comme enchâssées dans la vigile pascale : on les célébrait après la communion et avant l’Ite missa est.

En raison de la durée de la vigile pascale, ces vêpres pascales étaient les plus brèves qui soient : elles consistaient dans le chant du psaume 116 Laudate Dominum omnes gentes, le plus court du psautier (2 versets seulement, 4 avec le Gloria Patri), chanté avec antienne (un triple alleluia) et le Magnificat chanté avec une superbe antienne tirée du texte de l’évangile de la messe de la vigile : Vespere autem Sabbati, tandis que le célébrant & ses ministres encensent l’autel[1]. Il est à noter que cette antienne se retrouve universellement dans tous les antiphonaires manuscrits du rit romain à cette place, même les plus anciens (comme dans l’Antiphonaire de Compiègne, du IXème siècle, le plus ancien manuscrit complet de l’antiphonaire grégorien). En raison de son importance, elle est très souvent ornée de miniatures dans les manuscrits médiévaux :

Premières vêpres des Pâques dans l'antiphonaire de Kosterneubourg 1013 datant du XIIème siècle - Antiennes Alleluia pour le psaume 116 et Vespere autem Sabbati pour le Magnificat.
Premières vêpres des Pâques dans l’antiphonaire de Kosterneubourg 1013 datant du XIIème siècle.
Antiennes Alleluia pour le psaume 116 et Vespere autem Sabbati pour le Magnificat.
Antienne Vespere autem Sabbati dans l'antiphonaire de Saint-Gall 388 du XIIème siècle.
Antienne Vespere autem Sabbati dans l’antiphonaire de Saint-Gall 388 du XIIème siècle.

La postcommunion de la messe tient aussi lieu d’oraison de vêpres et on terminait ensuite la messe comme à l’ordinaire.

Même si la cérémonie de la vigile pascale pouvait être très longue, elle ne supprimait donc pas les premières vêpres de Pâques.

L’enchâssement de cet office des premières vêpres de Pâques à la fin de la communion de la vigile pascale était le seul reliquat dans le missel de saint Pie V d’une pratique beaucoup plus fréquente autrefois qui consistait à chanter un office après la communion et de conclure la messe ensuite. Ainsi, dans l’ancien usage de Paris, on chantait de même les laudes de Noël après la communion de la messe de Minuit, les vêpres du Jeudi Saint après la communion de la messe de la Cène et les vêpres du Vendredi Saint après la communion de la messe des Présanctifiés. On note aussi que souvent, dans beaucoup de bréviaires médiévaux, l’oraison des premières vêpres d’une fête correspond à la postcommunion de la messe de sa vigile.[2]

La profonde réforme du bréviaire romain opérée sous Pie X ne toucha pas radicalement à la structure des heures du Triduum Pascal. Les seules simplifications consistent en la suppression du second psaume de prime du Jeudi Saint (Psaume 22 – Dominus regit me, psaume eucharistique) et du Vendredi Saint (Psaume 21 – Deus, Deus meus, respice in me, psaume de la Passion par excellence). L’office des Complies voit aussi la suppression des versets 1 à 6 du psaume 30[3].

Synopsis de ces offices dans la réforme de 1955

Comme aux Ténèbres, la réforme de 1955 s’attacha à supprimer le psaume 50 Miserere qui se récitait recto tono à la fin de toutes les heures du Triduum pascal.

Les réformateurs décident aussi que les vêpres du Jeudi Saint et du Vendredi Saint ne doivent plus être célébrées au chœur. On estime désormais que la messe de la Cène et la nouvelle action liturgique du Vendredi Saint tiennent lieu de vêpres (!). Leur récitation privée reste possible mais devient facultative si le clerc a assisté aux deux cérémonies susdites. Comme on le verra plus en détail pour le jour de Pâques, les réformateurs créent donc des jours liturgiques qui ne sont pas pourvus de l’intégralité des offices divins, chose assez inouïe dans l’histoire de la liturgie de l’Eglise. Or nous l’avions vu, l’extrême longueur de la vigile pascale antique ne dispensait pas de la célébration des vêpres, même si celles-ci étaient plus courtes qu’à l’ordinaire.

Justement, ces premières vêpres de Pâques sont supprimées de la vigile pascale, où elles sont désormais remplacées par des laudes de Pâques, comme on le verra à l’article sur la vigile pascale. Les réformateurs composent des vêpres du samedi saint en utilisant les psaumes des anciennes vêpres du Jeudi Saint et du Vendredi Saint, revêtues de nouvelles antiennes qui ne chantent pas la résurrection mais restent dans la tonalité du Samedi Saint (quand elles ne sont pas de simples antiennes fériales qui pourraient convenir à n’importe quel jour de l’année).

Très bizarrement, Pâques devient de ce fait la seule fête double de l’année qui est désormais dépourvues de premières vêpres. Il s’agit là d’une profonde perte du sens chrétien du jour liturgique, lequel commence toujours la veille au soir par les vêpres (principe du nycthémère énoncé dès la première page de la Genèse : “Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour”).

Au passage, la fameuse antienne de Magnificat – Vespere autem Sabbati – tirée de l’évangile selon saint Matthieu, antienne qui a inspiré au cours des âges tant de compositeurs et qui a signé l’allégresse pascale pour des générations de chrétiens qui rendaient grâce à Dieu de la résurrection par le chant du Magnificat, disparaît complètement de l’office.

Citons sur cette question la fameuse conférence de Mgr Gromier sur les réformes de 1955 :

Que les vêpres du jeudi et du vendredi saint soient omises, supprimées, voilà qui atteint le comble de l’arbitraire, surtout quand on allègue ce motif : la messe tient lieu de vêpres, car elle est le principal. Or, entre messe et vêpres, il n’y a aucune rivalité ; les vêpres ont la même principalité que les autres fonctions liturgiques. Suivant les temps et les lieux, les vêpres ont été écourtées après la messe du samedi ; elles le furent aussi après la messe du jeudi et du vendredi ; jamais on ne pensa à les abolir. L’horaire rétabli par les pastoraux s’accorde en plein avec le fait historique, c’est à dire jeûne jusqu’aux vêpres, qui sont précédées de la messe et de la communion. (…) Quelle raison peut interdire les vêpres du jeudi et du vendredi, après la messe qui n’est pas nocturne par définition ? Le samedi saint sans complies est inexplicable ; le jeudi et vendredi saints, avec complies mais sans vêpres, défient le raisonnement ; car on a beau se coucher tard, le coucher n’en a pas moins lieu et exige sa prière.

Surtout, la réforme s’attacha à rompre l’unité liturgique organique des trois jours du Mystère pascal, marquée par la répétition de l’antique oraison du Triduum Respice, quæsumus, Domine :

  • A Complies, c’est désormais l’oraison quotidienne de tout le reste de l’année (Visita, quæsumus) qui est employée à la place de Respice, quæsumus, Domine ; bizarrement, l’oraison de prime, qui est aussi la même tout le restant de l’année (Domine Deus omnipotens) demeure quant à elle toujours remplacée par l’oraison du Triduum Respice Domine.
  • Pour tous les offices du Samedi Saint, une nouvelle oraison a été composée (Concede, quæsumus, omnipotens Deus), qui se substitue partout à Respice, quæsumus, Domine. Elle ne présente pas d’intérêt flagrant.

Ce point était souligné par Mgr Gromier :

L’Eglise pleure et gémit pendant les trois jours que le Seigneur resta au tombeau ; pendant ces trois jours de funérailles du Christ mort, toutes les heures de l’office se terminent par l’oraison Respice quaesumus, qui est justement l’oraison super populum à la messe du mercredi saint. Les pastoraux rompent cette continuité et unité par un remplacement ; à la fin des heures du samedi ils mettent une oraison qui leur donne l’aspect d’une banale vigile, qui jure avec le reste, surtout avec l’antienne Christus factus est. Si la pastorale était logique, elle verrait que son oraison, n’étant plus dans le ton des trois jours, n’a plus de motifs d’être dite à genoux et avec conclusion silencieuse. Sa manière de terminer les vêpres n’est pas moins étrange.

Cette volonté systématique de briser ce qui faisait l’unité de ces trois jours si particuliers de l’année liturgique a de quoi surprendre, alors même que l’ouvrage de Louis Bouyer sur le Mystère Pascal, qui avait connu sa première édition en 1945, avait eut un retentissement certain sur les acteurs du mouvement liturgique.

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Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

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Notes

Notes :    (↵ reviens au texte)
  1. A noter que l’encensement de l’autel ne se fait pas ni au Benedictus des laudes, ni au Magnificat des vêpres pendant le Triduum pascal.
  2. Nous parlerons plus en détail dans un huitième article de l’office divin de Pâques.
  3. Ces 6 versets du psaume 30 se disaient autrefois tous les jours de l’année à complies entre le psaume 4 et le psaume 90 en raison du texte du 6ème verset : In manus tuas comméndo spíritum meum.
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8 réflexions au sujet de “La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum”

  1. Je crois que vous faites erreur : il n’y avait pas le psaume 21 et 22 à Prime pendant le Triduum avant saint Pie X.

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