La diffusion du culte des mises au tombeau

Abbeville, église du Saint-Sépulcre, mise au tombeau du XVIème siècle.
Nous allons aborder pendant ce Carême les mises au tombeau et la diffusion du culte autour de ces ensembles sculptés monumentaux dès la fin du XVème siècle et pour environ un siècle et demi. Des édifices dédiés et consacrés au Saint Sépulcre aux églises de villages en passant par les abbatiales et les cathédrales, la France et une partie de l’Europe vont se couvrir de représentations de l’ensevelissement du Christ. Cette large diffusion traduit l’ampleur du cute de la Passion au Moyen-Age, les villes se disputaient le privilège de détenir une mise au tombeau qui pouvait devenir un lieu de pèlerinage.

Certaines villes s’en doteront de plusieurs comme dans une forme de rivalité et la multiplication explique la variété des modèles adoptés. En france on dénombre 381 mises au tombeau dont environ 220 intactes. Les ateliers des sculpteurs bourguignons, troyens, tourangeaux, flamands… ont mis leur talent au service de l’illustration de l’ensevelissement du Christ et nous ont laissé des témoignages qui suscitent encore notre admiration et notre dévotion. Le propos de l’artiste est d’émouvoir et porter à la prière, la représentation de la scène de la mise au tombeau correspond au XVème siècle à une sensibilité d’expression populaire. La formulation doit être simple, lisible et compréhensible pour susciter le recueillement.

Les origines et le développement du culte de la Passion

Eglise Saint-Sauveur in Chora – Constantinople – Thrène
Le récit nous vient des évangiles : Joseph d’Arimathie membre du Sanhédrin obtient de Pilate l’autorisation d’inhumer le Christ. Aidé de Nicodème il le dépose dans un tombeau taillé dans le roc situé dans un jardin proche du Golgotha qui lui appartenait. Auparavant le corps du Christ avait été déposé de la Croix, on avait procédé au lavement des plaies et à l’onction d’huile et d’aromates avant d’être enseveli dans un linceul. Dans les plus anciennes représentations on remarque l’absence de le Vierge Marie et de Saint Jean conformément au silence des évangiles : leur présence apparait après la diffusion à partir de la fin du IVème siècle de l’évangile apocryphe dit de Nicodème qui mentionne leur participation à la cérémonie funèbre. Le premier ordonnancement est fixé par les artistes byzantins selon le thrène antique : ils figurent autour du corps du Christ une assemblée de fidèles désolés témoignant de leur douleur par des pleurs et des lamentations. Ils nous livrent l’image d’une séparation imposée par la la mort sans perspective de consolation  : la Vierge venant exprimer cette rupture imminente en étreignant son fils et en l’embrassant dans un ultime adieu. La liberté d’interprétation prise par les artistes en s’éloignant du respect littéral des textes des évangiles entretient une certaine confusion entre la scène de l’ensevelissement proprement dit et celle de la déploration et de l’onction.

La crise des iconoclastes des VIIIème et IXème entraveront la représentation figurative religieuse dans la peinture byzantine et de même dans la sculpture. La conquête ottomane jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 restreint et met fin à l’épanouissement de l’art byzantin proprement dit. Cet héritage échoira à la Russie Moscovite, les Slaves s’attacheront de préférence à la peinture murale et surtout aux icônes en reprenant assez docilement les modèles byzantins. A l’exception des oeuvres grecques qui se trouvaient dans les régions de l’Adriatique et donc proches de Venise, les représentations artistiques slaves resteront plutôt inconnues en Occident jusqu’à la fin du Haut Moyen-Age, la portée de leur art s’en trouvera d’autant limité.

Le IXème siècle voit la représentation de la Crucifixion se répandre Occident. C’est dans le domaine pictural que se révèlera en premier lieu la représentation gothique de l’ensevelissement du Christ ; les miniaturistes et les peintres à fresque à partir du XIIIème siècle offrent une illustration renouvelée de cet épisode de la vie du Christ en se référant aux textes sacrés : toujours avec le souci prioritaire d’instruire. Tailleurs d’ivoire, verriers, émailleurs apportent leur concours dans ces illustrations. Giotto dans la chapelle des Scrovegni respecte une certaine fidélité à l’ordonnance grecque du thrène avec un paysage animé, la foule des assistants éplorés, les gestes de désolation mais avec une volonté d’unité dans les comportement : tous les regards convergent vers le corps du Christ et surtout une plus grande sensibilité d’expression dans les physionomies. Les artistes du trecento introduisent des modifications dans le cadre et environnement de l’ensevelissement du Christ : la grotte et son décor végétal disparaitra pour être remplacée par un sarcophage. La corps n’est plus emmailloté (les usages funèbres ont évolués) et repose nu ceint d’un perizonium. Le nombre d’assistants se réduit et se personnalise. Sans renoncer à son aspect narratif, on introduit matière à réflexion en proposant à travers la mort humaine du Christ une espérance dans une autre vie, cette même espérance incite le chrétien à la persévérance et à la consolation face aux difficultés du monde terrestre.

En France, les sculptures  de moyenne ou grande dimension ayant pour sujet un épisode de la passion ne sont apparues qu’à la fin du XIVème siècle. Le retard pris pour transcrire en relief le thème de la mise au tombeau peut être imputé à plusieurs causes : difficultés techniques des hésitations en face de l’expression d’un concept iconographique nouveau…

Pourquoi un tel attachement au culte de la Passion et à son illustration ?

Les croisades : à partir de la fin du XIème siècle, les pèlerinages en Terre Sainte rendent plus concrets les éléments de la vie terrestre du Christ et permettent de “matérialiser” les récits évangéliques de la Passion. Les pèlerins pourront suivre l’itinéraire reconstitué de la Voie Sacré : la montée au Calvaire, se rendre au Jardin des Oliviers, au Saint Sépulcre édifié par l’Empereur Constantin en 326 même si il a été ravagé par les Perses, le calife Al-Hakim et les Turcs et restauré par la suite.

Cette connaissance donna un accent renouvelé à l’évocation des souffrances du Christ pour le salut du monde. Le désir sera grand de commémorer ces épisodes et d’en perpétuer le souvenir par une dévotion spécifique, une dévotion encouragée par des ordres religieux, surtout celui des Frères Mineurs. On peut ainsi mesurer la portée de cet élan autour de la mort et de l’ensevelissement du Christ par la quantité de nouveaux sanctuaires construits sous une forme architecturale inspirée du Saint Sépulcre de Jérusalem. A coté des édifices de grandes dimensions dans lesquels des offices sont célébrés, on rencontre aussi de petites chapelles ou des édicules réduits aux seules mesures du tombeau de Jérusalem. Certaine de ces constructions se verront à l’intérieur d’édifices plus importants. Tous ces édifices vont participer à la notoriété du Saint Sépulcre et furent perçus après la perte de Jérusalem comme des lieux de pèlerinage de substitution pour les fidèles ayant fait vœux de pèlerinage en Terre sainte mais se retrouvaient dans l’incapacité de s’y rendre.

Faire pénitence et méditer sur les fins dernières.

Les grandes calamités qui se sont abattues sur le royaume de France ont plongé les populations dans un profond désarroi et entrainé un renforcement de la piété et des pèlerinages. Disettes et famines répétées atteignent durement les populations, la sous-alimentation favorise la propagation des épidémies et maladies : variole, lèpre, peste. Ces maladies dépeuplent les villes et par la contagion sèment l’épouvante ; s’ajoutent à tous ces malheurs les conséquences de la guerre de Cent ans. La mort est partout, il faut éviter que la mort ne devienne un thème d’épouvante et de désespoir. L’Eglise va donc insister sur le modèle chrétien des fins dernières en instruisant les croyants sur la résurrection des morts selon la proclamation du symbole de Nicée. Cette préoccupation sera servie par les ordres monastiques voués à l’assistance qui développent les oeuvres charitables, une prédication destinée à tous.

Dans le domaine de la figuration de l’art sacré, l’histoire de la Passion appartient à cette « rechristianisation » de la mort. Avec la dureté des temps, le drame sanglant du sacrifice du Christ devenait plus sensible, compréhensible à condition de ne pas y voir le terme d’une simple épreuve humaine.

La mise au tombeau ou sépulcre donne à contempler aux fidèles, en suivant les Saintes Ecritures, une vision des souffrances endurées par le Sauveur et une annonce du triomphe surnaturel qui en découle. Illustrer l’ensevelissement du Christ permettait de présenter simultanément le martyre, la mort et l’annonce du salut ainsi que l’enseignait l’Eglise. Le caractère inéluctable de la mort pour tout être humain accompagné de son cortège obligé de douleurs ; douleurs physiques évoquées par les stigmates, mais aussi les douleurs morales avec le chagrin indicible de la Vierge et des autres participants représentés et enfin l’attente de la Résurrection promise. Pour aider le croyant à exclure toute révolte ou désespérance, on introduit une atmosphère de calme et d’apaisement propice au recueillement. On propose au fidèle la méditation sur une Eglise souffrante, la résignation et le détachement des biens matériels, thèmes prêchés par les Frères mineurs. Le rôle des confréries, qui se multiplient durant la Peste Noire, sera loin d’être négligeable : leur objet sera d’assister les mourants et de leur assurer une sépulture décente surtout en période d’épidémie, s’y ajoutaient des célébrations de messes pour le repos de l’âme de leurs membres. L’influence des confréries a pu se traduire par la présence des mises au tombeau dans les chapelles funéraires.

Les Franciscains avaient reçus la garde des lieux saints et en quelque sorte reçu l’héritage spirituel des croisades et du saint Sépulcre. Ils vont favoriser la piété populaire liée à cette dévotion comme les chemins de croix dont la structure en quatorze stations est fixée en 1517. Les Sacri monti qui se sont développés en Italie du Nord à partir du XVème siècle en sont une émanation.

Nous aborderons dans les articles prochains des mises au tombeau qui se sont multipliées en France particulièrement au XVème et XVIème siècles.

Série sur les mises au tombeau

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