Qui procedis ab utroque : une séquence parisienne d’Adam de Saint-Victor pour le jeudi de l’octave de la Pentecôte

Alors que dans l’usage de Rome, la prose (ou séquence) Veni, Sancte Spiritus sert pour le jour de la Pentecôte & pour toutes les messes de son octave, l’ancien usage de Paris voyait chacune des messes de l’octave de la Pentecôte s’orner d’une prose différente chaque jour.

Voici comment Paris chantait les proses durant l’octave de la Pentecôte :

  1. Le dimanche de la Pentecôte : Fulgens præclara Paraclyti Sancti,
    subdivision d’une ancienne prose française de Pâques, antérieure à l’an 1000.
  2. Le lundi de la Pentecôte : Sancti Spiritus adsit nobis gratia,
    de Notker le Bègue (c. 840 † 912).
  3. Le mardi de la Pentecôte : Lux jucunda, lux insignis,
    d’Adam de Saint-Victor († 1146).
  4. Le mercredi de la Pentecôte : Simplex in essentia,
    d’Adam de Saint-Victor.
  5. Le jeudi de la Pentecôte : Qui procedis ab utroque,
    d’Adam de Saint-Victor.
  6. Le vendredi de la Pentecôte : Alma chorus Domini,
    composition anonyme française antérieure à l’an 1000.
  7. Le samedi de la Pentecôte : Veni, Sancte Spiritus,
    d’Etienne Langton (c. 1150 † 1228).

Il est notable que trois de ces proses soient des compositions de l’illustre hymnographe Adam, qui avant de finir ses jours dans l’abbaye de Saint-Victor, au pied de la Montagne Sainte-Geneviève, avait surtout été le préchantre de la cathédrale de Paris dès 1107 et jusque vers 1134. Les compositions d’Adam franchirent tôt les frontières du diocèse de Paris et se répandirent très vite dans toute l’Europe latine. Elles présentent toutes un ambitus vocal important, typique de l’école cathédrale de Paris, indice du très haut art vocal qui devait alors régner dans notre cité. De nombreuses proses furent par la suite modelés sur les rythmes & chants d’Adam, celle qui est parvenue jusqu’à nous est bien sûr le Lauda Sion de la Fête-Dieu, modulé par saint Thomas d’Aquin sur le Laudes crucis d’Adam de Saint-Victor.

La prose dont nous choisissons de présenter ici le texte et le chant est celle du jeudi dans l’octave de la Pentecôte : Qui procedis ab utroque, d’Adam de Saint-Victor. Les textes liturgiques à l’Esprit Saint sont devenus au fil du temps relativement rares dans l’Eglise latine. A ce titre il peut être intéressant de redonner vie à cet ancien répertoire hymnographique médiéval de haute qualité tant spirituelle que musicale. Voici du reste ce qu’écrit dom Guéranger, qui cite notre prose dans son Année liturgique :

Ce prince de la poésie liturgique dans l’Occident s’est surpassé lui-même sur les louanges du divin Esprit ; et plus d’une fois dans le cours de l’Octave, nous aurons recours à son magnifique répertoire. Mais ce n’est pas seulement une œuvre de génie que nous allons reproduire ici ; c’est une prière sublime et ardente adressée au Paraclet que Jésus nous a promis et dont nous attendons la venue. Efforçons-nous de faire passer dans nos âmes les sentiments du pieux docteur du XIIe siècle, et aspirons comme lui à la descente du Consolateur qui vient renouveler la face de la terre et habiter en nous.

Voici une restauration du chant et du rythme de la prose Qui procedis ab utroque d’après les plus anciens manuscrits liturgiques parisiens :

Prose Qui procedis ab utroque au Saint-Esprit d'Adam de Saint-Victor

Prose Qui procedis ab utroque au Saint-Esprit d'Adam de Saint-Victor

Prose Qui procedis ab utroque au Saint-Esprit d'Adam de Saint-Victor

Prose Qui procedis ab utroque au Saint-Esprit d'Adam de Saint-Victor

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Texte & traduction par dom Guéranger :

Qui procédis ab utróque,
Genitóre Genitóque
Páriter, Paraclíte,
O toi qui procèdes
du Père et du Fils,
divin Paraclet,
Redde linguas eloquéntes,
Fac fervéntes in te mentes
Flamma tua divite.
Par ta flamme féconde,
viens rendre éloquent notre organe,
et embraser nos cœurs de tes feux.
Amor Patris Filiíque,
Par ambórum, et utríque
Compar et consímilis,
Amour du Père et du Fils,
l’égal des deux et
leur semblable en essence,
Cuncta reples, cuncta foves :
Astra regis, cœlum moves,
Pérmanens immóbilis.
Tu remplis tout, tu donnes la vie à tout ;
dans ton repos, tu conduis les astres,
tu règles le mouvement des cieux.
Lumen carum, lumen clarum,
Internárum tenebrárum
Effúgas calíginem.
Lumière éblouissante et chérie,
tu dissipes nos ténèbres intérieures ;
ceux qui sont purs,
Per te mundi sunt mundáti :
Tu peccátum, et peccáti
Déstruis rubíginem.
Tu les rends plus purs encore ;
c’est toi qui fais disparaître le péché
et la rouille qu’il apporte avec lui.
Veritátem notam facis :
Et osténdis viam pacis,
Et iter justítiæ.
Tu manifestes la vérité,
tu montres la voie de la paix
et celle de la justice ;
Perversórum corda vitas,
Et bonórum corda ditas
Múnere sciéntiæ.
Tu fuis les cœurs pervers,
et tu combles des trésors de ta science
ceux qui sont droits.
Te docénte nil obscúrum,
Te præsénte nil impúrum :
Sub tua præséntia.
Si tu enseignes, rien ne demeure obscur ;
si tu es présent à l’âme,
rien ne reste impur en elle ;
Gloriátur mens jocúnda :
Per te læta, per te munda
Gaudet consciéntia.
Tu lui apportes la joie et l’allégresse,
et la conscience que tu as purifiée
goûte enfin le bonheur.
Tu commútas eleménta :
Per te suam sacraménta
Habent efficaciam.
Ton pouvoir transforme les éléments ;
par toi les sacrements
obtiennent leur efficacité ;
Tu nocívam vim repéllis :
Tu confútas et reféllis
Hóstium nequítiam.
Tu fais obstacle à la puissance mauvaise,
tu repousses les embûches
de nos ennemis.
Quando venis, corda lenis :
Quando subis, atræ nubis
Effúgit obscúritas.
A ta venue, nos cœurs sont dans le calme ;
à ton entrée, le sombre nuage
se dissipe ;
Sacer ignis, pectus ignis
Non combúris, sed a curis
Purgas quando vísitas.
Feu sacré, tu embrases le cœur
sans le consumer, et ta visite
l’affranchit de ses angoisses.
Mentes prius imperítas,
Et sopítas et oblítas,
Erúdis et éxcitas.
Des âmes jusqu’alors ignorantes,
engourdies et insensibles,
tu les instruis et les ranimes.
Foves linguas, formas sonum :
Cor ad bonum facit pronum,
A te data cháritas.
Inspirée par toi, la langue fait entendre
des accents que tu lui donnes ; la charité que tu apportes avec toi dispose le cœur à tout bien.
O juvámen oppressórum,
O solámen miserórum,
Páuperum refúgium,
Secours des opprimés,
consolation des malheureux,
refuge des pauvres,
Da contémptum terrenórum,
Ad amórem supernórum
Trahe desidérium.
Donne-nous de mépriser les objets terrestres ;
entraîne notre désir
à l’amour des choses célestes.
Consolátor et fundátor,
Habitátor et amátor
Córdium humílium.
Tu consoles et tu affermis
les cœurs humbles ;
tu les habites et tu les aimes ;
Pelle mala, terge sordes :
Et discórdes fac concórdes,
Et affer præsídium.
Expulse tout mal, efface toute souillure,
rétablis la concorde entre ceux qui sont divisés
et apporte-nous ton secours.
Tu qui quondam visitásti,
Docuísti, confortásti
Timéntes discípulos :
Tu visitas un jour
les disciples timides :
par toi ils furent instruits et fortifiés ;
Visitáre nos dignéris :
Nos, si placet, consoléris,
Et credéntes pópulos.
Daigne nous visiter aussi
et répandre ta consolation
sur nous et sur le peuple fidèle.
Par majéstas personárum,
Par potéstas est eárum,
Et commúnis Déitas :
Égale est la majesté des divines personnes,
égale leur puissance ;
commune aux trois est la divinité ;
Tu procédens a duóbus,
Coæquális es ambóbus,
In nullo dispáritas.
Tu procèdes des deux premières,
semblable à l’une et à l’autre,
et rien d’inférieur n’est en toi.
Quia tantus es et talis,
Quantus Pater est et qualis :
Servórum humílitas.
Aussi grand que l’est
le Père lui-même,
souffre que tes humbles serviteurs
Deo Patri, Filióque
Redemptóri, tibi quoque
Laudes reddat débitas. Amen.
Rendent à ce Dieu-Père,
au Fils rédempteur et à toi-même
la louange qui vous est due. Amen.

Cette prose se chantait le jeudi de Pentecôte dans l’usage de Paris, et le mardi de Pentecôte à l’Abbaye de Saint-Victor.

Sources utilisées pour cette édition :
* Source principale : Missel parisien du XIIIème siècle de l’ancienne bibliothèque de Notre-Dame de Paris – Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Latin 1112, f° 271 v°.
* Missel parisien du XIIIème siècle à l’usage probable de l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés ou de Saint-Germain-L’Auxerrois – Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Latin 830, f° 318 r°.
* Missel parisien du XIIIème siècle à l’usage de la Sorbonne – Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Latin 15615, f° 366 v°.
* A titre de comparaison : Tropaire-prosaire de Saint-Martial de Limoges du XIIème-XIIIème siècle – Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Latin 1139, f° 223 v°.
* A titre de comparaison : Processional-tropaire-prosaire à l’usage de Saint-Léonard, du diocèse de Limoges du dernier quard du XIIèmeBibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Latin 1086, f° 63 r°.

Voici ci-après le chant de la prose Qui procedis ab utroque tel qu’il est donné dans le Propre de Paris publié en 1923-1925 – ce chant présente de nombreuses divergences avec les manuscrits parisiens et nous n’avons pas pu identifier la source qui a été utilisée pour cette édition musicale :

 

Qui procedis ab utroque-1 Qui procedis ab utroque-2 Qui procedis ab utroque-3 Qui procedis ab utroque-4 Qui procedis ab utroque-5

Les manuscrits médiévaux parisiens, même s’ils présentent entre eux quelques menues divergences quant au chant (surtout l’ultime formule finale), diffèrent notablement de l’édition parisienne de 1923-1925.
Voici par exemple cette prose telle quelle est notée dans un missel parisien à l’usage de la Sorbonne qui date du XIIIème siècle (Bnf latin 15615, f. 366 v° à 367 v°) :

Missel de la Sorbonne après 1239 (1)

Missel de la Sorbonne après 1239 (2)

Missel de la Sorbonne après 1239 (3)

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