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La Schola Sainte Cécile chante dans la basilique Saint-Pierre de Rome au Vatican

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Les Petits Chantres de Sainte Cécile - maîtrise d'enfants

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Une curiosité liturgique : la messe grecque de l’octave de saint Denys – 1779

Jusqu’à la Révolution, l’Abbaye de Saint-Denis célébrait le 16 octobre, jour octave de la fête de son saint patron, une “messe grecque”. Il ne s’agissait pas de la liturgie byzantine, mais bien de la messe romaine, entièrement chantée en grec (du moins pour les parties proclamées, car le canon & les autres parties secrètes restaient dites en latin par le célébrant).

Nous avons le plaisir d’offrir au public un opuscule anonyme très intéressant de 108 pages publié en 1779 qui présente, décrit et fournit le chant et le texte de la liturgie romaine en grec qui se chantait à l’Abbaye royale de Saint-Denis pour l’octave de la fête du premier évêque de Paris, le 16 octobre.

> Télécharger la “Messe greque en l’honneur de S. Denys, apôtre des Gaules, premier évêque de Paris, et de S. Rustique et S. Eleuthere, martyrs : selon l’usage de l’Abbaye de S.-Denys en France, pour le jour de l’Octave de la Fête solemnelle de S. Denys, au XVI. jour d’Octobre. Avec la Messe Latine qu’on chante à S.-Denys le jour de la Fête & dans l’Octave. A Paris, chez De Hansy, Libraire, rue de la Juiverie, près l’Eglise de la Magdeleine, à S. Nicolas. M.DCC.LXXIX.

Cet ouvrage contient une passionnante introduction sous forme d’avertissement qui développe l’origine de cette messe en grec et sur la pratique de la communion sous les deux espèces, traditionnellement pratiquée par le célébrant, son diacre et son sous-diacre les dimanches et fêtes à Saint-Denis.

Voici, en guise d’exemple, l’introït de cette messe de l’octave de saint Denys dans cette édition de 1779 :

Introït Sophiane tone haguione de la messe grecque de l'octave de saint Denys

A titre de comparaison, voici le même introït dans sa version originale latine :

Introït Sapientiam Sanctorum de la messe grecque de l'octave de saint Denys

Les pièces de la messe latine ont simplement été traduites en grec, et on y a appliqué le même chant, en adaptant celui-ci aux accents hellènes.

Toute la messe de l’octave était donc chantée en grec, toutefois l’épître et l’évangile y étaient chantés sur le jubé d’abord en grec puis en latin. Le jour de la fête, le 9 octobre, l’épître et l’évangile étaient chantées en latin d’abord, puis en grec. Un tel usage des doubles lectures en latin puis en grec, qui – on va le voir – remontait au moins à l’époque carolingienne, se répétait également à Pâques, Noël, la Pentecôte, la saint Matthias et à la dédicace de l’Abbatiale (le 24 février) (Mercure de France, 1728).

Nous mettons en ligne la seconde édition de cet opuscule, la première remontant à l’année 1777. Il s’agit clairement d’un petit livret pour permettre aux fidèles de suivre la messe célébrée et chantée en grec par les moines de Saint-Denis. Divers témoignages au XVIIème et XVIIIème laissent entendre que cette célébration si particulière, célébrée avec la plus grande magnificence par un grand nombre d’officiants en ornements sacrés, déplaçait un grand nombre de pèlerins, d’autant que pendant toute l’octave, l’abbaye exposait solennellement à la vénération des fidèles la relique du chef de saint Denys entre la châsse d’argent contenant son corps et celles de ses deux compagnons Rustique et Eleuthère.

Contrairement à l’édition de 1777 de ce même opuscule et à la première édition de cette messe en 1658, l’édition de 1779 indique une très intéressante transcription phonétique du grec, afin de faciliter le chant des moines de Saint-Denis et la compréhension des fidèles. Cette transcription du grec diffère de la prononciation liturgique des Byzantins ou même médiévale & liturgique des Romains pour suivre celle intellectuellement reconstituée par Erasme (le Prince des humanistes avait fondé sa prononciation restituée sur l’analyse des transcriptions antiques de mots grec en latin). Ainsi, les moines chantaient Kurié éléêsone au lieu de l’habituelle prononciation Kyrie eleison, pourtant contemporaine de la diffusion du christianisme au cours des premiers siècles de notre ère.

Cet hapax liturgique étonnait beaucoup au XVIIIème siècle. Si la messe en grec de Saint-Denis témoignait de l’attachement à l’aréopagisme développé dans cette abbaye depuis le VIIIème siècle, il ne s’agissait pourtant nullement d’un cas unique dans les liturgies occidentales. Examinons son histoire.

A quand remonterait la messe grecque de Saint-Denis ?

Le plus ancien livre liturgique en usage dans l’Abbaye royale de Saint-Denis que nous possédons est un sacramentaire de la seconde moitié du IXème siècle (F-BnF Latin 2290). Au début de l’ouvrage, on trouve aux folios ff. 7v° – 8v° le texte du Gloria in excelsis Deo (Doxa in ypsistis Theo), du Credo in unum Deum (Pisteugo is ena Theon), du Sanctus (Agios) et de l’Agnus Dei (O Amnos tu Theu) en grec, mais transcrits en caractères romains, avec le texte latin en interligne :

On trouve aussi un fragment semblable du Gloria in excelsis Deo en grec écrit en caractères latins avec traduction latine intercalée dans un sacramentaire de Saint-Denis offert par les moines au chapitre de la cathédrale de Laon pour les remercier de leur accueil au moment des invasions normandes (Laon 118 f° 145v°). Ce manuscrit a dû être réalisé entre le dernier tiers du IXème et le début du Xème siècle.

Le second livre que nous possédons de Saint-Denis est un missel écrit entre 1041 et 1060 (F-BnF Latin 9436). Là encore au début de l’ouvrage (ff. 1v° & 2r°) figurent plusieurs pièces de l’ordinaire en grec et en latin, avec cette fois notation musicale neumatique in campo aperto : 3 Kyrie, un Gloria grec transcrit en caractères latins (avec le texte latin au dessus des neumes) suivi de 3 Gloria latins, le Credo grec transcrit en caractères latins (avec le texte latin au dessus des neumes) – notons l’absence de Credo en latin avec notation musicale ! En revanche, les trois Sanctus et les trois Agnus Dei notés ne le sont qu’en latin, pas en grec.

Autre rareté remarquable, le chant des Chérubins qui accompagne la grande entrée de la liturgie byzantine de saint Jean Chrysostome – une pièce emblématique s’il en est de la liturgie byzantine ! – a été traduit en latin et sert de second offertoire à la messe de la Trinité (f° 58v°). En voici le texte :

Qui cherubin mystice imitamur et vivifice Trinitatis ter sanctum hymnum offerimus, omnem nunc mundanam deponamus sollicitudinem sicuti regem omnium suscepturi cui ab angelicis invisibiliter ministratur ordinibus, alleluia.
Nous qui mystiquement représentons les chérubins, et qui chantons l’hymne trois fois sainte à la vivifiante Trinité, déposons maintenant tous les soucis du monde, pour recevoir le roi de toutes choses, invisiblement escorté par les ordres angéliques, alleluia.

Voici une tentative de restitution de la mélodie de cette hymne des Chérubins (restitution en effet, car aucun manuscrit ultérieur ne nous l’offre avec des neumes sur portée) :

En revanche, ce missel ne mentionne aucune pièce grecque pour la fête de saint Denys ni pour toute son octave. Voici les pièces grecques du Missel de Saint-Denis du XIème siècle :

L’ancienne bibliothèque de l’Abbaye de Saint-Denis possédait divers ouvrages en grec, parmi lesquels un curieux manuscrit copié en 1020 par un hiéromoine du nom d’Hélie qui donne les textes de la divine liturgie byzantine du jour de Pâques puis du Pentecostaire (temps pascal) et enfin un Ménée (sanctoral). Ce manuscrit figure sous la côte F-BnF 375 de la Bibliothèque Nationale. S’il est peu probable qu’il ait été utilisé tel quel pour des célébrations liturgiques en rit byzantin par les moines à Saint-Denis, une main du XIIème siècle y a ajouté l’office de Saint-Denis en grec (ff. 153r°-154r°), le Généalogie du Christ selon Matthieu en grec pour les matines de Noël (ff. 154v°-155v°) et à la toute fin du manuscrit l’épître de saint Denys (le discours de Paul à l’Aréopage – ff. 194v°). Les inflexions notées au dessus du texte grec de cette épître, pour aider la cantilène du sous-diacre, indiquent bien qu’elle fut utilisée dans la liturgie.

Ces pièces grecques dans la liturgie latines sont-elles propres à Saint-Denis ?

Absolument pas ! On sait qu’à la liturgie papale, à Rome, jusqu’à nos jours, l’évangile est chanté en latin et en grec, et même qu’on chantait le Gloria in excelsis Deo en grec à Pâques et à Noël, ainsi que plusieurs Alleluia avec des versets grecs durant les vêpres stationales de Pâques et de son octave. Lorsqu’au cours du IXème siècle la liturgie papale romaine s’impose dans l’Empire carolingien avec la diffusion du sacramentaire grégorien, cet usage romain non seulement va être conservé mais même développé, à la faveur du renouveau des études et des lettres de la renaissance carolingienne. On retrouve de nombreuses pièces similaires en grec dans des sacramentaires du IXème au XIème siècles : le Gloria et le Credo en grec sont ainsi chantés dans les abbayes de Saint-Amand, de Saint-Gall, à Tournai, le Credo à Angoulème, à Milan, à Freising, le Gloria à Laon, à Tours, à Winchester, le Gloria, le Credo et le Sanctus à Ratisbonne, une Missa greca complète à l’usage d’Aix-la-Chapelle (Doxa en ypsistis, Pysteugo, Cheroubikon, Agyos, O annos tu theu, Doxa patri) ou de l’Abbaye de Saint-Alban, le Sanctus à Metz, etc, etc.

Pourtant, à partir du XIème, ce bilinguisme liturgique disparait à peu près partout (hormis le Kyrie eleison qui continue bien sûr à être chanté en grec). Sauf à Saint-Denis, où les moines, fiers de l’origine grecque de leur saint patron et martyr (manifestée dans son nom de Διώνυσος – Dionysos, quand bien même on contesterait son identification avec saint Denys l’Aréopagite), vont au contraire non seulement conserver mais encore amplifier les éléments reçus de la “Missa greca” carolingienne.

On trouve les premières traces d’une “Missa greca” pour l’octave de saint Denys le 16 octobre dans un Ordo des offices de Saint-Denis datant des années 1275 (F-BnF Latin 976 ff. 137r° et 137v°). Une version de cet ordo avec quelques variantes de détails nous est donné dans un manuscrit dyonisien de la même époque conservé à la Bibliothèque Mazarine (Manuscrit 526). Voici une traduction française de cet ordo avec nos interpolations explicatives :

En l’octave des saints Denys, Rustique et Eleuthère :
A la messe, trois chantres [entonnent] l’office (= l’introït, cf. le rit dominicain) en grec : Zeuete agallya (probable transcription de Venite exultemus – cf. Psaume XLIV, 1). Six [chantres] poursuivent (quatre dans le manuscrit de la Mazarine). Verset : Zeuete agallya (même texte donc que l’introït). Doxa Patri.
Kyrie Fons bonitatis (classique pour les octaves dans le rit parisien).
Après cela le prêtre commence : Doxa en ipsistis [Gloria in excelsis Deo].
Oraison : Protegat nos, Domine (la même que celle du Missel de Saint-Denis du XIème s. pour l’octave, la même que conserve encore notre texte imprimé en 1779).
L’épître est lue d’abord en grec puis en latin : Stans Paulus (Actes XVII, 22-34, comme dans l’imprimé de 1779).
Graduel : Phobite thon Kyrion (Timete Dominum – ce graduel est donné en latin dans le Missel de Saint-Denis du XIème s. pour l’octave). Verset : Ide ekztontes, par trois [chantres].
Alleluia : Ekekraxan dykei, par quatre [chantres].
Sequence : Gaude prole [la séquence du roi Robert II le Pieux – le manuscrit de la Mazarine en donne une autre : Supere armonie].
Avant l’évangile, on chante l’antienne : O beate Dyonisi.
Puis on lit l’évangile en grec puis en latin : Videns Jesus turbas (Matthieu V, 1-12 – le texte de 1779 donne Luc XII, 1-8 pour la messe de l’octave).
On dit Phisteuo, qui est le Credo, même si on n’est pas dimanche (“que si l’on est dimanche”, pour le manuscrit de la Mazarine).
Offertoire : Y ta Cherubyn [L’hymne des Chérubins, en grec et non plus en latin comme dans les manuscrits antérieurs].
Sanctus : Agyos.
Agnus : O Agnos tou Theu et Agnus Dei, trois [chantres].
Communion : Psallate Ysu (Psallite Jesu).
Postcommunion : Sumpsimus, Domine, pignus (la même que celle du Missel de Saint-Denis du XIème s. pour l’octave, toujours en usage en 1779).
Ite missa est.
Sicut angelorum (un répons de procession final ?).

On voit donc que dès le XIIIème la messe de l’octave de saint Denys est donc chantée intégralement en grec, à l’exception des oraisons, de la séquence et d’un chant final. Malheureusement, aucun manuscrit avant l’apparition de l’imprimerie ne nous est parvenu pour nous livrer ces pièces avec leur chant.

L’hellénisation de la liturgie de Saint-Denis marque une nouvelle étape vers 1280 : on ajoute alors un cahier à un évangéliaire précieux donné à l’abbaye par Charles-le-Chauve au IXème siècle. Ce cahier de neuf feuillets en parchemin pourpré, parfois orné de lettres d’argent, donne les épîtres et évangiles en grec pour Noël, la dédicace de l’Abbaye (fête le 24 février), Pâques, la Pentecôte, la fête de saint Denys (F-BnF 9387, ff. 17r°, 160v°–161v° et 207r°). Notons que le texte des évangiles est précédé de l’exclamation de la liturgie byzantine : σοφία ορθή ακούσωμεν του αγίου ευαγγελίου ειρήνην πάσιν – Sophia ! Orthi ! (Sagesse ! Tenons-nous debout ! Ecoutons le saint Evangile ! Paix à tous !), comme à la messe papale encore de nos jours (mais cela était tombé d’usage à Saint-Denis au XVIIIème s. manifestement – le texte grec d’introduction à l’évangile est celui du rit romain dans l’édition de 1779). Certains des péricopes reçoivent des neumes indiquant les inflexions de la cantilène des diacres et sous-diacres.

Messe grecque de saint Denis : évangile en grec de la fête (c. 1280)
Missa greca de saint Denis : évangile en grec de la fête (c. 1280), parchemin pourpré et lettres d’argent. Notez au début : σοφία ορθή ακούσωμεν του αγίου ευαγγελίου ειρήνην πάσιν (Sagesse ! Tenons-nous debout ! Ecoutons le saint Evangile ! Paix à tous !) ainsi que les signes de cantilation, ici en rouge.

L’auteur anonyme qui rédige une introduction très intéressante aux éditions de 1777 & 1779 de la messe de l’octave indique dans la seconde édition que :

Pendant l’impression de cette Messe, l’Abbaye de S. Denys nous a communiqué un Manuscrit Grec, où se trouve une partie de la Messe Greque de S. Denys, révisée par le célèbre Guillaume Budé, qui a mis à la fin une Lettre signée & paraphée de sa main. Il mourut en 1540. Cette Messe est différente de celle qu’on chante aujourd’hui.”

Je pense qu’en effet les moines ont très certainement confié au célèbre helléniste parisien de la Renaissance Guillaume Budé (1476 † 1540) le soin de réviser les textes grecs de la messe de l’octave. On peut penser que Budé traduisit en grec les rares pièces de cette messe qui restaient encore en latin depuis les descriptions des ordines du XIIIème siècle : la séquence du roi Robert II le Pieux, les oraisons et hypothétiquement encore telle ou telle des parties supplémentaires de ce qui est chanté dans la messe : les Dominus vobiscum, la préface, le Pater et son introduction, l’O salutaris hostia (obligatoire à l’élévation en France depuis le règne de Charles V), la bénédiction pontificale, les oraisons des mémoires.

A une époque inconnue entre 1540 et 1658, les moines de Saint-Denis révisèrent les textes du propre de cette messe (phénomène qui connut une extension générale en France dès la fin du XVIIème siècle) : l’introït (officium), le graduel, l’alléluia, l’offertoire et la communion furent changés, on délaissa le vieil hymne des Chérubins. Plus exactement, on utilisa les textes du jour de la fête le 9 octobre pour toute l’octave (antérieurement, il y avait des textes propres pour la vigile, la fête et chaque jour de l’octave). En revanche, les trois oraisons de la messe se sont conservées à l’identique des sources du XIIIème siècles, mais désormais traduites en grec. Il est possible que cette révision des textes de la liturgie de l’Abbaye se soit faite à la suite de l’arrivée des bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, qui reprennent l’Abbaye en 1633.

Cette révision reçut une belle édition en 1658 chez l’éditeur du roi pour la musique Robert III Ballard (c. 1610 † 1672). Voici l’exemplaire de la Bibliothèque Sainte-Geneviève où une main a ajouté une transcription phonétique pour faciliter le chant des chantres peu versés dans la langue grecque. Hélas cette édition ne donne que les pièces de chant, sans le moindre avertissement qui puisse nous éclaircir sur l’origine des nouveaux textes du propre. Cela nous aurait permis de connaître le nom du moine qui a dû également écrire les autres parties de la messe sur lesquelles Guillaume Budé n’avait peut-être pas travaillé.

On sait par ailleurs que Robert III Ballard se met à publier à partir de 1658 de nombreux livres de plain-chants, pour beaucoup révisés ou composés par Guillaume-Gabriel Nivers (c. 1632 † 1714), organiste de Saint-Sulpice. Il ne nous parait pas impossible qu’on ait demandé à ce spécialiste de plain-chant – alors au début de sa carrière – de superviser, voire de réaliser les chants sur les nouveaux textes choisis par les moines de Saint-Denis.

Cette édition de Ballard de 1658 a servi de modèle à l’écriture de plusieurs manuscrits des XVIIème et XVIIIème siècles comme ce beau manuscrit Ms 4465 de la Bibliothèque Mazarine, qui date du XVIIIème siècle.

Comme notre auteur de 1779 l’indique dans son avertissement, l’édition Ballard de 1658 a été reprise et augmentée dans les opuscules de 1777 et 1779. On notera quelques menues différences, dues soit à l’érudition de l’auteur (dans le texte de l’ordinaire en grec et la séquence de Robert II le Pieux) soit à l’observation pratique du chant tel que réalisé à Saint-Denis (cf. par exemple le si bémol au début de l’introït qui ne figure pas dans l’édition de 1658).

Malheureusement, notre édition de 1779 que nous mettons en ligne est mutilée de quelques pages (il manque les pages XI à XIV de l’avertissement, 57 à 64 de la messe grecque, la pagination est par ailleurs assez erratique). On pourra néanmoins facilement compléter le chant des pages manquantes avec ces précédentes éditions et manuscrits.

Notons pour finir qu’on signale aussi au XVIIIème l’usage d’une messe (romaine) célébrée en grec à Paris par les chevaliers de l’Ordre du Saint-Sépulchre dans leur église. Là encore on devine sans peine la revendication des origines orientales de cet ordre de chevalerie au travers de la célébration de cette Missa greca. Hélas aucun document ni chant ne nous est parvenu pour en savoir plus sur cet usage, qui, comme à Saint-Denis, s’éteignit à la Révolution française.

*

Si la missa greca de Saint-Denis n’était pas en ses débuts un phénomène isolé mais une pratique courante de l’Eglise carolingienne, la revendication des origines grecques de leur saint patron poussa les moines de l’Abbaye royale à conserver et développer cette tradition pour l’octave de la fête, le 16 octobre.

Plain-chant romain (oratorien) – Salve Regina, ton simple

Ad Completorium
Antiphona B.M.V.
A primis Vesperi Festi Ss. Trinitatis
usque ad Nonam Sabbati ante Adventum inclusive

Salve Regina - ton simple (de l'Oratoire)

Salve Regina * mater miséricórdiæ : Vita, dulcédo, et spes nostra, salve.
Ad te clamámus, éxsules, filii Hevæ.
Ad te suspirámus, geméntes et flentes in hac lacrimárum valle.
Eia ergo, Advocáta nostra, illos tuos misericórdes óculos ad nos convérte.
Et Jesum, benedíctum fructum ventris tui, nobis post hoc exsílium osténde.
O clemens :
O pia :
O dulcis * Virgo María.
Salut, ô Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre douceur & notre espérance, salut.
Vers vous nous crions, exilés, enfants d’Eve.
Vers vous nous soupirons, gémissants et pleurants, dans cette vallée de larmes.
De grâce donc, ô notre Avocate, vos regards miséricordieux, tournez-les vers nous.
Et Jésus, le fruit béni de vos entrailles, montrez-le nous après cet exil.
O clémente,
ô miséricordieuse,
ô douce Vierge Marie.

Ce chant abrégé de l’antienne à la Vierge Salve Regina, conservé de façon orale dans l’usage populaire en France et diffusé à partir des éditions de Solesmes au début du XXème siècle, dérive de fait d’un plain-chant oratorien composé au début du XVIIème siècle par le R.P. François Bourgoing, lequel avait intégralement réécrit le chant en usage dans l’Oratoire de France (Brevis Psalmodiæ Ratio ad usum Presbyterorum Congregationis Oratorii, 1634) :

Salve Regina oratorien - 1634

Voici le même chant dans l’réédition de 1753 du même ouvrage sous le titre de Directorium Chori sive Brevis Psalmodiæ Ratio ad usum Presbyterorum Congregationis Oratorii D.N.J.C. :

Salve Regina oratorien - 1753

Enregistrement : témoignage de Mgr Daoud, archevêque syriaque de Mossoul – “Nous avons subi un génocide”

Mgr Nicodemus Daoud Sharaf, archevêque syriaque de Mossoul, témoigne à Saint-Eugène

Devant une assistance nombreuse, Son Excellence Mor Nicodemus Daoud Matti Sharaf, archevêque syriaque de Mossoul en exil à Arbèles (Erbil) au Kurdistan irakien, témoignait des souffrances de son peuple hier 19 mai à Saint-Eugène. Commençant par prier le Notre Père en araméen – la langue même de Notre Seigneur Jésus-Christ, dont la survie est en question en raison du génocide en cours -, l’archevêque de Mossoul termina son témoignage en chantant une hymne à la Très-Sainte Vierge Marie et donna sa bénédictions aux fidèles assemblés dans Saint-Eugène.

https://twitter.com/scholastececile/status/733379909075271680

Témoignage exceptionnel de l’archevêque syriaque de Mossoul à Saint-Eugène jeudi 19 mai 2016

Mgr Nicodemus Daoud Sharaf, archevêque syriaque de Mossoul à Saint-Eugene - Paris IX

Tournée de l’archevêque de Mossoul en France

Monseigneur Daoud, archevêque de Mossoul exilé à Erbil (Kurdistan irakien), viendra en France du 18 au 27 mai. Dernier archevêque à quitter Mossoul en juin 2014, alors que la ville tombait aux mains de l’organisation terroriste Etat islamique, l’archevêque syriaque orthodoxe témoignera du martyre des chrétiens d’Irak. Outre un cycle de conférences dans différentes villes de France, il rencontrera plusieurs personnalités religieuses et politiques afin de les sensibiliser sur le drame des chrétiens d’Orient.

Cette visite tout à fait exceptionnelle nous permettra de bénéficier d’un témoignage inédit, vécu au plus proche du terrain.

Monseigneur Daoud donnera son témoignage à Paris en l’église Saint-Eugène le jeudi 19 mai à 20h30. Soyons nombreux afin de lui manifester que nous, chrétiens d’Occident, nous tenons compte des souffrances de nos frères d’Orient.

La conférence de Mgr Daoud sera précédée du chant de la messe du jeudi dans l’octave de la Pentecôte à 19h (rit romain traditionnel).

L’évènement sur Facebook.

Les autres dates de Mgr Daoud en France & en Belgique :

  1. Nancy le 20 mai
  2. Strasbourg le 21 mai
  3. Montfermeil le 22 mai
  4. Lille le 23 mai
  5. Bruxelles le 24 mai

La bénédiction liturgique des raisins le jour de la Transfiguration

Bénédiction des raisins le jour de la Transfiguration en Grèce

Lorsque vous serez entré dans le pays dont le Seigneur, votre Dieu, doit vous mettre en possession, que vous en serez devenu maître, et que vous y serez établi, vous prendrez les prémices de tous les fruits de votre terre ; et les ayant mis dans un panier, vous irez au lieu que le Seigneur, votre Dieu, aura choisi pour y faire invoquer son nom.”
Deutéronome XXVI, 1-2.

A l’instar de l’Ancienne Loi, les toutes premières communautés chrétiennes, dès les temps apostoliques, offraient à l’église les “prémices du pressoir, de l’aire et des troupeaux”, ainsi qu’en témoigne le plus ancien document chrétien en dehors du Nouveau Testament, la Didachè (Didachè XIII, 2-3, dispositions reprises par les Constitutions Apostoliques VII, 29).

Certes la bénédiction des prémices produits par le labeur des chrétiens s’est maintenue au cours des âges sous diverses formes, mais l’Eglise a entouré plus précisément d’une attention toute particulière l’oblation liturgique des premiers épis de blé et des premiers raisins, car ce sont les matières mêmes du mystère eucharistique. Dès les origines, les prémices du blé et de la vigne étaient reçus à l’autel et sanctifiés par une bénédiction solennelle prononcée durant l’action liturgique.

Nous allons envisager ici la seule bénédiction liturgique des raisins, traditionnellement réalisée le 6 août tant en Occident qu’en Orient.

La bénédiction des prémices du raisin en Occident

On trouve la bénédiction des prémices des raisins fixée au 6 août dans le Sacramentaire grégorien (VI-VIIèmes siècles). Cette bénédiction a lieu au cours de la messe du jour, qui n’est pas alors celle de la Transfiguration (cette fête n’entrera tardivement au Missel romain qu’en 1457) mais celle de la fête de saint Sixte II, 24ème pape qui avait été décapité en 258. Comme d’autres bénédictions très anciennes, la bénédiction du raisin – Benedictio uvæ – se place à la fin du canon eucharistique :

Intra quorum nos consórtium , non æstimátor mériti, sed véniæ, quæsumus, largítor admítte. Per Christum Dóminum nostrum. Pour nous admettre dans leur compagnie, ne pèse pas la valeur de nos actes, mais accorde-nous largement ton pardon. Par le Christ notre Seigneur.
Benedic, Dómine, et hos fructus novos uvæ, quos tu, Dómine, rore cœli, et inundantia pluviárum, et temporum serenitate atque tranquillitate, ad maturitatem perducere dignatus es, et dedisti eos ad usus nostros, cum gratiarum actione percipi, in nomine Domini nostri Jesu Christi. Bénis aussi, Seigneur, ces fruits nouveaux de la vigne, que toi, Seigneur, par la rosée du ciel, et l’abondance des pluies, et par la sérénité et la tranquillité des temps, tu as daigné faire parvenir à maturité, et les as donnés pour notre usage, afin de les recevoir avec action de grâces.
Per quem hæc ómnia, Dómine, semper bona creas, sanctíficas, vivíficas, benedícis, & præstas nobis. Par qui, Seigneur, tu ne cesses de créer tous ces biens, de les sanctifier, de les vivifier, de les bénir et de nous en faire don.

Le Sacramentaire gélasien, plus ancien que le grégorien, s’il ne contient pas de bénédiction spéciale dans le cours de la messe de saint Sixte au 6 août, donne néanmoins vers la fin de l’ouvrage une formule de bénédiction des raisins et des fèves qui – mis à part des variantes textuelles – est substantiellement la même oraison :

Oratio ad fruges novas benedicendas.

Benedic, Dómine, hos fructus novos uvæ sive fabæ, quos tu, Dómine, per rorem cœli, et inundantiam pluviárum, et tempora serena atque tranquilla ad maturitatem perducere dignatus es, ad percipiendum nobis cum gratiarum actione, in nomine Domini nostri Jesu Christi. Per quem hæc ómnia, Dómine, semper bona creas, sanctíficas, vivíficas, benedícis, & præstas nobis.

De part sa conclusion, l’on voit que cette bénédiction s’effectuait au même endroit du canon de la messe.

En Italie à l’époque des Pères de l’Eglise, la bénédiction du raisin partageait le même privilège que celle des fèves de se faire à l’autel même. Cet honneur dû aux fèves s’explique peut-être par le fait que celles-ci constituaient alors la base de la nourriture ordinaire des habitants de la Péninsule italique. Le Liber Pontificalis fait remonter au pape Eutychien (275-283) l’interdiction de bénir les fruits sur l’autel même, à l’exception des raisins et des fèves : “Hic constituit fruges super altare tantum fabæ et uvæ benedici”. La bénédiction des fèves se faisait à l’Ascension : le Sacramentaire gélasien redonne au cours de la messe de cette fête la même oraison de bénédiction des prémices que ci-dessus – mais uniquement pour les fèves et non pour les raisins.

Du Sacramentaire grégorien, la bénédiction des raisins du 6 août fut transmise dans les différents livres liturgiques de toute l’Europe médiévale. On distribuait le raisin béni après la messe du 6 août aux fidèles, à l’instar du pain béni qui se faisait chaque dimanche et fête.

La date du 6 août consacrée pour la bénédiction des prémices du raisin commence alors à susciter des tentatives d’explications. Certains auteurs vont attribuer l’origine de son institution au pape saint Sixte II lui-même (à tord manifestement : cette bénédiction est sans doute tout à fait aussi ancienne en Orient, comme on va le voir ci-après ; or le martyre de Sixte II au 6 août n’y a trouvé aucun écho liturgique, si ce n’est une simple mention au Martyrologe de Nicomédie). Certaines régions d’Europe établissent alors saint Sixte comme patron des vignerons.

A partir du IXème siècle, la fête de la Transfiguration commence progressivement à se répandre dans différents en Occident, avant tout dans les milieux monastiques. Il s’agit d’une importation de la fête du rit byzantin, qui célèbre en effet la Transfiguration le 6 août, 40 jours avant l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre) ; l’origine de cette fête demeure toutefois obscure, il est possible qu’elle fut créée par saint Grégoire l’Illuminateur en Arménie au début du IVème siècle, avant de se répandre dans l’Empire d’Orient au Vème siècle. Avec la diffusion progressive de cette fête en Occident au 6 août, on tente alors d’établir un lien entre la bénédiction des prémices du raisin et la Transfiguration. Le premier à le faire semble être Sicard de Crémone (c. 1155 † 1215) dans son Mitrale, explication reprise par Durand de Mende au XIVème siècle dans son Rationale divinorum officium (Livre VII, chapitre XXII) :

C’est pourquoi en ce même jour, la Transfiguration se rapportant à l’état qui doit être celui des fidèles après la résurrection, on consacre le sang du Seigneur avec du vin nouveau, s’il est possible d’en avoir, afin de signifier ce qui est dit dans l’Évangile : Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’à ce que je le boive nouveau avec vous dans le royaume de mon Père (Matthieu XXVI, 29). Si l’on ne peut s’en procurer, qu’on pressure au moins dans le calice un peu de raisin arrive à maturité, ou qu’on bénisse des grappes qui soient partagées au peuple.”
Sicard de Crémone (c. 1155 † 1215), Mitrale, IX, XXXVIII.

On verra que cette pieuse coutume de célébrer la messe avec du vin nouveau le 6 août existe également en Orient. Martène indique qu’elle était toujours vivace à Poitiers de son temps. Elle subsista dans les propres de certains diocèses occidentaux jusqu’au XXème siècle.

En 1457, le pape Calixte III inscrit au 6 août du calendrier de l’Eglise de Rome la fête de la Transfiguration, en action de grâces pour l’éclatante victoire de Belgrade contre les Turcs obtenue le 6 août 1456. Saint Sixte devient dès lors une simple mémoire, ses oraisons s’ajoutant à celles de la nouvelle fête de la Transfiguration. Dans certains diocèses, on décida néanmoins de dire deux messes le 6 août, l’une de la Transfiguration, l’autre de saint Sixte, et c’est au cours de celle-ci que continuait d’avoir lieu la bénédiction solennelle du raisin.

Le Rituale romanum publié en 1614 par le pape Paul V ne contient pas la benedictio uvæ ; il est vrai que le dessein du pape, en éditant cet ouvrage, était de donner un manuel bref, essentiellement axé sur la discipline des sacrements, alors battue en brèche par les Protestants. Néanmoins de nombreux rituels diocésains continuèrent de maintenir l’antique tradition de la bénédiction des raisins le 6 août. En voici deux exemples, tirés des livres de Reims et de Verdun, qui montrent qu’on la pratiquait toujours à la fin du canon, comme dans l’Antiquité :

Bénédiction du raisin nouveau - Rituel de Reims de 1677.
Bénédiction du raisin nouveau – Rituel de Reims de 1677.
Bénédiction des raisins le jour de la Transfiguration - rituel de Verdun 1787.
Bénédiction des raisins le jour de la Transfiguration – rituel de Verdun de 1787.

On remarquera qu’au cours des âges, le texte du Sacramentaire grégorien s’est quelque peu poli (l’inundantia(m) pluviarum devenant abundantia pluviarum, le double Domine du début est éliminé, etc.)

L’antique bénédiction romaine des prémices des raisins finit toutefois par revenir dans les livres romains, insérée dans le pléthorique Appendix du Rituale Romanum qui se développa entre le XVIIème et le XXème siècle. On la trouvera au numéro 38 de cette partie de ce livre liturgique.

La bénédiction des prémices du raisin en Orient

La formule dont nous avons tracé l’usage en Occident depuis le Sacramentaire gélasien jusqu’aux plus récentes éditions du Rituale Romanum se retrouve à l’identique de façon tout à fait remarquable dans l’Eglise byzantine.

En voici le texte grec :

Εὐχὴ εὶς μετάληψιν σταφυλῆς τῆ ς΄ Αὐγούστου

Εὐλόγησον, Κύριε, τὸν καρπὸν τοῦτον τῆς ἀμπέλου τὸν νέον, ὃν διὰ τῆς τοῦ ἀέρος εὐκρασίας, καὶ τῶν σταγόνων τῆς βροχῆς, καὶ τῆς τῶν καιρῶν γαλήνης εἰς ταύτην τὴν ὡριμοτάτην στάσιν ἐλθεῖν ηὐδόκησας, ἵνα ᾖ ἐν ἡμῖν τοῖς ἐξ αὐτοῦ τοῦ γεννήματος τῆς ἀμπέλου μεταλαμβάνουσιν εἰς εὐφροσύνην, καὶ τοῖς προσενέγκασι δῶρον εἰς ἐξιλασμὸν ἁμαρτιῶν, διὰ τοῦ ἱεροῦ καὶ ἁγίου Σώματος καὶ Αἵματος τοῦ Χριστοῦ σου· μεθ᾿ οὗ εὐλογητὸς εἶ, σὺν τῷ παναγίῳ καὶ ἀγαθῷ καὶ ζωοποιῷ σου Πνεύματι, νῦν καὶ ἀεὶ καὶ εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων. Ἀμήν.

Bénis, Seigneur, ce fruit nouveau de la vigne, que par des saisons calmes, et des pluies douces, et un temps favorable, il t’a plu gracieusement faire parvenir à maturité, afin que nous puissions prendre part dans la joie au fruit de la vigne, et puissions nous te l’offrir comme un don pour la purification de nos péchés, par le Corps et le Sang sacrés et saints de ton Christ, avec qui tu es bénis ainsi que ton très-saint, bon & vivifiant Esprit, maintenant & toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

Les deux versions latines – gélasiennes et grégoriennes – présentent un texte remarquablement similaire pour exprimer les mêmes idées ; il est fort probable qu’il s’agisse de deux traductions légèrement différentes d’une prière grecque originelle (l’oraison grecque aujourd’hui en usage que nous avons citée ci-dessus a pu ajouter la seconde partie faisant rappel du Corps et du Sang du Christ à une première rédaction plus simple).

Comme en Occident, la bénédiction des raisins se fait en Orient le 6 août, vers la fin de la divine liturgie de la Transfiguration, après la prière de l’ambon. Elle est précédée de l’usuelle invitation du diacre “Prions le Seigneur”, à laquelle le chœur répond “Kyrie eleison”.

Voici comment l’empereur Constantin VII Porphyrogénète (905 † 959) note la cérémonie à la cour de Constantinople :

L’Empereur de Constantinople recueille les “prémices” (“aparches”) à Chalcédoine, où il y a beaucoup de vignes, puis il attend que le Patriarche de Constantinople vienne le jour saint de la Transfiguration du Christ pour bénir les fruits et distribue personnellement les raisins aux fidèles.
(De ceremoniis aulæ Byzantinæ)

En Orient, l’ancien usage veut qu’on s’abstienne de consommer tout raisin avant sa bénédiction le 6 août. Cette règle était déjà prescrite dans le Typicon de Saint-Sabas (Vème-VIIème siècles) et demeure toujours observée dans certaines régions de Grèce ou de Russie.

La bénédiction des raisins dans le rit byzantin ne se fait que le jour de la fête le 6 août et n’est pas répétée durant les 7 jours d’après-fête ni à la clôture de celle-ci le 13 août.

En Russie, où le raisin était un met impossible à produire en raison du climat, l’usage se prit de bénir des pommes le jour de la Transfiguration en place du raisin, au point que le nom populaire de la Transfiguration devint la fête du “Sauveur des pommes”. De nos jours, les fidèles apportent toujours des pommes en ce jour, mais aussi du raisin et des autres fruits qu’il est plus aisé de trouver désormais dans les commerces. Voici quelques images des bénédictions de la Transfiguration :

Si les rituels syriaques contiennent une bénédiction pour les raisins, celle-ci n’est pas affectée à un jour liturgique particulier.

Les Arméniens bénissent quant à eux les raisins en la fête de l’Assomption. Cette date est probablement plus favorable à l’obtention des prémices de ces fruits dans les montagnes arméniennes.

Chez les Arméniens, la coutume voulant qu’on ne mange pas de raisin jusqu’à sa bénédiction reste encore très vivace. Voici à ce sujet un discours du catholicos Karékine Ier (1932 † 1999) :

Si tu manges un grain de raisin avant la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, tu n’auras certes pas commis de péché mortel et tu n’iras pas en enfer… Si tu n’en goûtes pas jusqu’à ce jour, où l’Eglise bénit ce raisin, tu ne seras pas en décalage d’un iota par rapport à la marche de ce monde. Mais si, non seulement tu décides de ne pas en manger, mais, qui plus est, tu ne ressens pas de gêne en annonçant à ton ami ou ton voisin, que c’est par amour de la tradition de ta Patrie, que tu n’en goûtes pas, alors c’est ta Nation qui résonne en toi, sous l’inspiration de ta conscience nationale et de la conservation de ta tradition. Sois certain, que tu ne seras pas méprisé par les autres, tu ne peux que gagner du respect de la part d’un entourage cultivé… N’oublie jamais que, pour nous qui vivons loin de la mère patrie, nos traditions spécifiques représentent la terre de notre patrie dans notre vie.”

Conclusion

La bénédiction des prémices du raisin le 6 août est un exemple frappant d’unité entre l’Orient et l’Occident, alors même que les uns célébraient la Transfiguration et les autres la saint Sixte. Il est fort possible que notre bénédiction du raisin au 6 août soit antérieure à ces deux fêtes, ce qui laisse envisager une très grande ancienneté de cet usage chrétien. En effet, le texte commun de la bénédiction des raisins ne présente aucune relation ni avec la Transfiguration orientale, ni avec la fête de saint Sixte occidentale, et les diverses tentatives de fournir une explication rationnelle de cette coutume à cette date paraissent des constructions a postériori. Peut-être est-on là en présence d’un usage de la primitive Eglise de Jérusalem à cette date du 6 août, dans une Palestine où le raisin arrive à maturité plus tôt en raison du climat.

Voici donc une antique tradition à revivifier, comme l’incitait l’an passé Father Z sur ce célèbre blog américain.

Laissons le mot de la fin à J. Parisot qui étudia en profondeur cette question en 1899 :

“Bien que, suivant le principe formulé par saint Grégoire, l’unité de la foi n’ait pas à souffrir de la diversité des usages, il est constant qu’à côté des innovations liturgiques survenues au cours des siècles, maintes pratiques subsistent, communes à l’Orient et à l’Occident, et que l’on doit faire remonter, sinon au temps de l’unité liturgique primitive, du moins à l’époque où la nature des relations ecclésiastiques permettait des emprunts réciproques. Ce n’est donc pas seulement par l’accord sur les points essentiels du dogme et des formules sacramentelles que s’affirme l’unité chrétienne, mais souvent par la conformité, maintenue en dépit des divisions dogmatiques et politiques, de traditions accessoires, dont on vient de voir un remarquable exemple”.
J. Parisot, La bénédiction liturgique des raisins, Revue de l’Orient chrétien IV (1899), p. 363.

Consécration du saint myron par le catholicos arménien de la Grande Maison de Cilicie

01-Consécration du saint myron par Aram Ier - les évêques portent la relique de la dextre de saint Grégoire l'Illuminateur

“Le Seigneur parla encore à Moïse, et lui dit : Prenez des aromates ; savoir : le poids de cinq cents sicles de la myrrhe la première et la plus excellente ; la moitié moins de cinnamome, c’est-à-dire, le poids de deux cent cinquante sicles ; et de même deux cent cinquante sicles de canne aromatique ; cinq cents sicles de canelle au poids du sanctuaire, et une mesure de hin d’huile d’olive. Vous ferez de toutes ces choses une huile sainte pour servir aux onctions, un parfum composé selon l’art du parfumeur. Vous en oindrez le tabernacle du témoignage et l’arche du testament ; la table avec ses vases, le chandelier et tout ce qui sert à son usage, l’autel des parfums, et celui des holocaustes, et tout ce qui est nécessaire pour le service et le culte qui s’y doit rendre, et le bassin avec sa base. Vous sanctifierez toutes ces choses, et elles deviendront saintes et sacrées. Celui qui y touchera, sera sanctifié. Vous en oindrez Aaron et ses fils, et vous les sanctifierez, afin qu’ils exercent les fonctions de mon sacerdoce. Vous direz aussi de ma part aux enfants d’Israël : Cette huile qui doit servir aux onctions me sera consacrée parmi vous, et parmi les enfants qui naîtront de vous.”
Exode 30, 22-31.

Ce samedi 18 juillet, Sa Sainteté Aram Ier, catholicos de la Grande Maison de Cilicie a procédé à la consécration du saint myron, – autrement dit du saint chrême (selon la terminologie occidentale) – pour les besoins de son Eglise.

02-Consécration du saint myron par Aram Ier

Cette cérémonie, faite annuellement par tout évêque de l’Eglise latine le Jeudi saint, est beaucoup plus exceptionnelle en Orient, où la consécration du saint chrême est effectuée d’ordinairement seulement par chaque patriarche pour son Eglise.

Elle l’est encore davantage dans l’Eglise arménienne, car le saint myron n’y est préparé et consacré que tous les 7 ans.

Cette consécration revêt un relief particulier cette année, puisqu’elle coïncide avec le douloureux centenaire du début du génocide arménien par les Turcs. La cérémonie s’est déroulée au Monastère de Sainte-Marie à Bikfaya, dans la banlieue de Beyrouth au Liban, près du monument dédié aux Martyrs du génocide. C’est en effet au Liban que le catholicosat de Cilicie, autocéphale au sein de l’Eglise apostolique arménienne, s’est réfugié, ayant dû quitter son siège historique de Sis en Cilicie après l’abandon de cette province turque par les troupes françaises en 1920.

Dans tous les rits chrétiens et ce dès les premiers temps de l’Eglise, le saint chrême est constitué d’un mélange d’huile d’olives et d’autres substances odoriférantes, comme était déjà le chrême prescrit par Dieu à Moïse dans le livre de l’Exode (cf. supra). Les rites qui accompagnent la consécration du saint myron constituent l’une des cérémonies les plus importantes de l’Eglise arménienne, qui y accorde une très grande place, insistant sur le rôle & la présence de l’Esprit-Saint dans ce signe sacramentel. Chez les Arméniens, ce saint chrême sert à la chrismation des enfants nouvellement baptisés (confirmation) ainsi qu’à l’ordination des prêtres. Le saint myron des Arméniens est constitué d’huile d’olive à laquelle on adjoint un mélange de 40 épices, plantes ou gommes odoriférantes différentes, qui sont bouillies ensemble pendant 40 jours, préparation accompagnée de célébrations liturgiques quotidiennes.

Au terme de ces 40 jours de préparation, le catholicos entouré de ses évêques procède à la consécration solennelle du nouveau myron.

L’office commence par des lectures bibliques et des prières d’intercession où le Saint-Esprit est tout particulièrement invoqué.

03-Consécration du saint myron par Aram Ier

Le catholicos ajoute à la préparation initiale de l’essence de rose, du myron précédemment béni il y a 7 ans en 2009 pour marquer la continuité dans la transmission de la foi, du myron en provenance du catholicos d’Etchmiadzin en signe d’unité entre les deux catholicosats de l’Eglise arménienne. Le catholicos incorpore ensuite d’infimes portions du saint chrême apporté en Arménie par l’Apôtre saint Jude Thaddée ainsi que celui qui avait été consacré par saint Grégoire l’Illuminateur lui-même (nous pouvons établir un parallèle avec la pratique de l’archevêque de Reims qui mêlait un peu du baume de la Sainte Ampoule au saint chrême pour sacrer les rois de France).

Le célébrant souffle également sur le myron pour signifier la descente du Saint-Esprit (comme le célébrant latin souffle sur l’eau baptismale lors de sa consécration aux vigiles de Pâques & de la Pentecôte).

04-Consécration du saint myron par Aram Ier

Enfin, le catholicos mélange cette préparation et la bénit en y plongeant la relique même de la dextre de saint Grégoire l’Illuminateur, Apôtre de l’Arménie.

La cérémonie s’est accomplie devant un grand concours de fidèles venus du monde entier, ainsi que de nombreux représentants des diverses Eglises d’Orient & d’Occident.

12-Consécration du saint myron par Aram Ier

Une fois consacré, le saint myron est envoyé partout dans le monde dans les différentes communautés arméniennes relevant du catholicosat de Cilicie. Le catholicosat d’Etchmiadzin procèdera aussi à la consécration de son myron en septembre prochain.

Voici d’autres photos de cette cérémonie :

Le lendemain, au cours de la sainte messe dominicale à Antelias, siège du catholicosat de Cilicie, Sa Sainteté Aram Ier procéda à la bénédiction de l’eau avec le saint myron nouvellement consacré puis invita les nombreux représentants des différentes Eglises présents à venir prier à la chapelle des Saints Martyrs où sont inhumés un certain nombre de martyrs arméniens victimes du génocide turc de 1915.

21-Bénédiction de l'eau avec le nouveau saint myron

Sources :

La fête de l’Exaltation de la Sainte Croix avec nos frères chrétiens d’Orient persécutés

Exaltation de la sainte Croix dans les camps de réfugiés chrétiens en Irak

Traditionnellement, les chrétiens en Irak (en particulier dans les villes chrétiennes) ont coutume d’installer une croix lumineuse, qui s’allume dans la nuit et brille au-dessus de leurs maisons, à compter de la première semaine de septembre, afin de marquer la préparation à la grande fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Alors que de si nombreux chrétiens de ce pays ont été chassés iniquement de leurs maisons & qu’ils portent véritablement leur croix chaque jour, certains ont malgré tout tenu à maintenir cette tradition en plaçant une croix lumineuse au-dessus de leurs tentes, dans les camps de réfugiés, comme un vibrant témoignage de leur foi et un inébranlable attachement à la tradition. Que Dieu veille sur eux et fortifie leur foi dans ces épreuves ! Puisse l’Exaltation de la Croix de Jésus leur donner la lumière, la force et la vie au milieu des ténèbres, de la violence et de la mort qu’ils subissent tous les jours.

Vous pouvez aider nos frères persécutés par vos prières.

Vous pouvez soutenir les différentes associations de secours, comme l’association SOS Chrétiens d’Orient.

Crédit photographique : Sœur Sara, o.p., sur Ave Crux Spes Unica, le blog de Sœur Anne Bentes.

Sourp Badarak à Arnouville – sainte messe du lundi de l’Assomption en rit arménien

L’année liturgique de l’Eglise arménienne connait cinq grandes fêtes principales (dites Dagavars) :
1. “Tabernacle” : fête de l’Incarnation où sont conjointement célébrés le 6 janvier Noël & la Théophanie (le rit arménien est le seule rit oriental à avoir conservé la date primitive de Noël au 6 janvier, disposition qui était commune initialement à tout l’Orient. C’est à partir du IVème siècle que la célébration de Noël à la date romaine du 25 décembre s’est diffusée en Orient, mais cette date n’a jamais été reçue en Arménie),
2. Pâques,
3. La Transfiguration (célébrée le 14ème dimanche après Pâques),
4. L’Assomption de la Mère de Dieu (célébrée le dimanche le plus proche du 15 août),
5. L’Exaltation de la Sainte Croix (célébrée le dimanche le plus proche du 14 septembre).

Chacune de ces cinq fêtes est précédée d’une période de jeûne d’une semaine (sauf Pâques qui est précédée d’un Carême de 41 jours de jeûne) et suivie d’une période d’après-fête.

Particularité du rit arménien : le lendemain de chacune de ces cinq fêtes, on célèbre à la fin de la messe un requiem pour tous les fidèles défunts, afin de les associer à l’allégresse des vivants.

Ce lundi 18 août était pour 2014 le premier jour après l’Assomption. Cette grande fête est suivie dans le rit arménien d’une après-fête (l’équivalent de l’octave du rit romain) de 9 jours (l’octave de l’Assomption a été hélas supprimée dans le rit romain par le nouveau code des rubriques de 1960).

Voici quelques photos du Sourp Badarak (littéralement Saint Sacrifice) – de la sainte messe célébrée ce matin en l’Eglise arménienne Sainte-Croix-de-Varak d’Arnouville.

01 - Le chœur avant que la messe ne commence

Le chœur des femmes prend place tandis que le célébrant revêt ses ornements à la sacristie.

Khorhourt khorin : Mystère profond, incompréhensible, sans commencement ! Tu as paré en chambre nuptiale de la lumière inaccessible ton royaume céleste, & paré les chœurs des anges d’une gloire magnifique.

02 - Prières au bas de l'autel

Prières au bas de l’autel au début de la messe. Après un premier lavabo du célébrant signifiant la purification nécessaire du cœur pour célébrer les saints mystères, le célébrant récite le psaume 25 (Lavabo inter innocentes manus meas) puis fait au peuple la confession de ses péchés :

Khosdovanim arachi : Je confesse devant Dieu, devant la sainte Mère de Dieu, devant tous les saints & devant vous, pères & frères, tous les péchés que j’ai commis, car j’ai péché en pensée, en parole & en action, & par tous les péchés que commettent les hommes. J’ai péché ! J’ai péché ! Je vous en prie, demandez à Dieu pour moi le pardon.

03- Entrée dans le sanctuaire

Entrée du célébrant dans le sanctuaire. Chant du trisaghion, dans sa version arménienne, avec une incise spéciale pour la fête de l’Assomption :

Sourp Asdvadz : Saint Dieu, Saint et fort, Saint et immortel, qui es venu prendre avec toi ta mère, la Vierge, aie pitié de nous.

04 - Chant de l'épître par un diacre

Chant de l’épître & de l’équivalent du graduel romain ou du prokimenon byzantin (brefs versets de psaumes choisis) par un diacre.

05 - Célébration des saints mystères

Après le renvoi des catéchumènes commence la partie sacrificielle de la messe. Le prêtre ôte alors sa tiare (les prêtres arméniens portent la tiare des évêques byzantins, les évêques arméniens portent la mitre des évêques latins).

Mi vok herakhayits : le diacre – Qu’aucun des catéchumènes, qu’aucun de ceux dont la foi est déficiente, qu’aucun des pénitents & de ceux qui ne sont pas purs n’approche de ce divin mystère.

06 - Elévation des saintes espèces pendant le Sancta Sanctis

Après le Pater et avant la fraction, comme dans les autres liturgies orientales & la liturgie mozarabe, a lieu l’ostension solennelle du corps & du sang du Christ :

Le prêtre : I srpoutyoun srpots – Sancta Sanctis – Les Saints (dons) aux Saints.
Le chœur : Un seul est Saint, un seul est Seigneur, Jésus-Christ, dans la gloire de Dieu le Père. Amen.

07 - Eglise apostolique arménienne Sainte-Croix-de-Varak d'Arnouville

L’église apostolique arménienne Sainte-Croix-de-Varak d’Arnouville a été édifiée à partir de 1931, sa dédicace fut célébrée le 13 novembre 1932. On remarquera son clocher octogonal dans le style arménien.

08 - Monument à la mémoire des 1 500 000 arméniens victimes du génocide perpétré par le gouvernement turc en 1915

Monument à la mémoire des 1 500 000 arméniens victimes du génocide perpétré par le gouvernement turc en 1915. Cette stèle sculptée par un artiste d’Arménie, Hratch Karapetian, fut inauguré par la mairie d’Arnouville le 27 avril 2004.

Le temps d’Avant-Carême (Septuagésime) dans les liturgies chrétiennes : antiquité & universalité

SeptuagesimeDans toutes les anciennes liturgies chrétiennes, on retrouve une période préparatoire au grand jeûne du Carême, pendant laquelle les fidèles sont avertis de l’arrivée de cette période majeure de l’année liturgique, afin qu’ils puissent débuter progressivement les exercices d’ascèse qui les accompagneront jusqu’à Pâques. Cette période préparatoire au Carême dure en général 3 semaines dans la plupart des rites. Dans le rit romain, ces 3 dimanches portent les nom de Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime. Ces appellations proviennent du système de comptage en usage dans l’antiquité et désignent la décade dans laquelle tombe chacun de ces dimanches. Ils précèdent le premier dimanche de Carême (Quadragésime).

Les Eglises de traditions syriaque et copte ont conservé un état plus ancien comprenant des périodes de jeûne plus courtes, le jeûne des Ninivites et le jeûne d’Héraclius, à partir desquelles s’est probablement constituée la période d’Avant-Carême des autres rits.

Le souvenir de la fragilité humaine, la méditation sur les fins dernières et par conséquence la prières pour les morts sont des éléments récurrents de cette période liturgique.

Inexplicablement, le rit moderne de Paul VI a supprimé de son année liturgique ce temps d’Avant-Carême, qui avait pourtant pour lui à la fois l’antiquité & l’universalité.
 

Aux origines de l’Avant-Carême (ou Septuagésime) : le jeûne des Ninivites

Septuagésime ou Avant-Carême : Jonas & la baleine

“Le Seigneur parla une seconde fois à Jonas, et lui dit : Allez présentement en la grande ville de Ninive, et prêchez-y ce que je vous ordonne. Jonas partit aussitôt, et alla à Ninive, selon l’ordre du Seigneur : Ninive était une grande ville qui avait trois jours de chemin. Et Jonas y étant entré, y marcha pendant un jour ; et il cria en disant : Dans quarante jours Ninive sera détruite. Les Ninivites crurent Dieu ; ils ordonnèrent un jeûne public, et se couvrirent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. Cette nouvelle ayant été portée au roi de Ninive, il se leva de son trône, quitta ses habits, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre. Ensuite il fit crier partout et publier dans Ninive cet ordre, comme venant de la bouche du roi et de ses princes : Que les hommes, les chevaux, les bœufs et les brebis ne mangent rien, qu’on ne les mène point aux pâturages, et qu’ils ne boivent point d’eau. Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, et qu’ils crient au Seigneur de toute leur force : que chacun se convertisse ; qu’il quitte sa mauvaise voie, et l’iniquité dont ses mains sont souillées. Qui sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner, s’il n’apaisera point sa fureur et sa colère, et s’il ne changera point l’arrêt qu’il a donné pour nous perdre ? Dieu donc considéra leurs œuvres ; il vit qu’ils s’étaient convertis en quittant leur mauvaise voie ; et la compassion qu’il eut d’eux, l’empêcha de leur envoyer les maux qu’il avait résolu de leur faire.”
Jonas III.

Septuagésime ou Avant-Carême : Jonas est rejeté par la Baleine devant NinivePour commémorer le jeûne des Ninivites, les Eglises de Syrie instituèrent un jeûne qui se déroule à partir du lundi de la 3ème semaine avant le début du Carême (correspondant au lundi de la Septuagésime romaine). Ces jours de jeûne sont appelés Baʻūṯá d-Ninwáyé en syriaque, expression qu’on peut rendre par Rogation (ou Supplication) des Ninivites. Il semble que ce jeûne durait initialement toute la semaine, plus précisément du lundi au vendredi, car le jeûne du samedi et du dimanche sont inconnus en Orient (mais l’abstinence sans jeûne pouvait se prolonger pour ces deux jours) ; le jeûne de Ninive fut réduit ultérieurement à 3 jours : lundi, mardi et mercredi (le jeudi est devenu un “jour d’action de grâce des Ninivites” dans le rit assyro-chaldéen). Traditionnellement, on explique le chiffre de ces trois jours de jeûne par les trois jours passés par Jonas dans la baleine. Ce jeûne de Ninive, très strict, est toujours pratiqué par les différentes Eglises araméennes tant de tradition orientale (Eglise chaldéenne, Eglise assyrienne, Eglises syro-malabares) que de tradition occidentale (Eglises syriaques). On y lit le livre de Jonas cité ci-dessus (chez les Assyro-Chaldéens, à la messe du 3ème jour). Ce jeûne est resté très populaire, certains fidèles vont jusqu’à ne pas boire ni manger pendant les trois jours. Seule parmi les Eglises de tradition syriaque, l’Eglise maronite ne connait plus de nos jours le jeûne des Ninivites à proprement parler (mais cette Eglise a adopté la disposition qu’on retrouvera plus loin des trois dimanches de préparation au Grand Carême).

Les neufs saints syriens qui évangélisèrent les campagnes d'Ethiopie au VIème siècleL’Eglise copte d’Egypte, de même que l’Eglise éthiopienne, a reçu des Eglises syriennes cet usage de la Supplication des Ninivites. Dans la liturgie copte égyptienne, ces 3 jours de rogation en mémoire du Jeûne de Ninive (appelé aussi “Jeûne de Jonas”) suivent strictement les usages liturgiques de Carême (la messe est célébrée après vêpres, les hymnes sont chantées sur le ton de Carême & sans cymbales, les lectures sont lues dans le lectionnaire de Carême). Le jeûne de Ninive fut adopté par l’Eglise copte d’Egypte sous le 62ème patriarche d’Alexandrie, Abraham (ou Ephrem) (975 † 978), qui était d’origine syrienne. Il est possible que l’adoption du jeûne de Ninive en Ethiopie fusse plus ancienne (le premier évêque d’Axoum, saint Frumence, était syrien d’origine et l’Eglise d’Ethiopie fut réorganisée au VIème siècles par le groupe des neufs saints syriens, qui contribuèrent grandement à l’évangélisation des campagnes éthiopiennes. Le jeûne de Ninive (Soma Nanawe) est très sévère dans l’Eglise d’Ethiopie et nul ne peut s’en dispenser.

Saint Grégoire l'Illuminateur et le baptême de l'ArménieA quand remonte l’institution du jeûne des Ninivites chez les Syriaques ? Il est probable que ce jeûne fut pratiqué à une haute époque, en voici quelques indices. Saint Ephrem, diacre d’Edesse, compose des hymnes sur le jeûne des Ninivites (il semble que la période de jeûne soit alors d’une semaine et non de 3 jours comme aujourd’hui). L’Eglise arménienne connaît un jeûne de Ninive qui dure cinq jours : il commence le même lundi que les Eglises syriaques (3ème lundi avant le début du Carême) & s’arrête au vendredi suivant (où l’on fait mention de l’appel de Jonas aux Ninivites), soit une semaine complète (on ne jeûne jamais ni le samedi ni le dimanche chez les Arméniens, ce qui est une constante en Orient). Ces jours connaissent un jeûne et une abstinence sévères, semblable à ceux du grand Carême et les auteurs arméniens posent qu’ils ont été institués par saint Grégoire l’Illuminateur au moment de la conversion générale des Arméniens en 301. Il est probable que saint Grégoire l’Illuminateur ne faisait que reprendre une coutume déjà en vigueur chez les chrétiens syriaques voisins. L’institution de ce jeûne – qui paraît être ancienne chez les assyro-chaldéens, pourrait être passée (ou réactivée) au VIème siècle chez leurs cousins les syriaques jacobites par l’action de saint Maruthua, catholicos jacobite de Tagrit, à l’occasion d’une épidémie de peste dans la région de Ninive. Il est possible que la réduction du jeûne à 3 jours au lieu d’une semaine remonte à cette époque.
 

Aux origines de l’Avant-Carême : la semaine de la Quinquagésime, le jeûne d’Héraclius, la semaine de la Tyrophagie

En Orient comme en Occident, la semaine qui précède immédiatement le Carême se revêt très tôt d’un caractère pénitentiel : on y débute une première abstinence, celle des viandes. Rappelons que dans l’Eglise primitive, les chrétiens suivent un régime strictement végétalien durant tout le Carême. Au cours de la semaine qui précède immédiatement le Carême (Quinquagésime latine, Tyrophagie byzantine), si les viandes sont retranchées, en revanche les laitages, les œufs et les autres produits d’origine animale restent encore consommés.

Le Christ au désert servi par les Anges - Philippe de ChampaignePour mieux comprendre l’origine de cette semaine précédant le Carême, rappelons que celui-ci dure 7 semaines en Orient et 6 semaines en Occident. En Orient, où l’on ne jeûne ni le samedi (hormis le samedi saint) ni le dimanche, cela fait donc un Carême de 36 jours de jeûne. En Occident, où l’on jeûne le samedi mais jamais le dimanche, on arrivait donc (avant saint Grégoire le Grand) au compte identique de 36 jours de jeûne. Pour compenser les jours de jeûne manquants et atteindre le chiffre symbolique de 40 (les 40 jours de jeûne du Christ au désert) en tenant compte de la possible occurrence de fêtes qui suppriment le jeûne (principalement l’Annonciation), de pieux chrétiens choisirent d’anticiper d’une semaine le début officiel du Carême.

La communion de saint Grégoire le GrandLa suppression des viandes la semaine précédant le Carême est tôt attestée en Occident. Le dimanche de la Quinquagésime est appelé dans les anciens livres latins “Dominica ad carnes tollendas” ou “Dominica ad carnes levandas” (d’où le nom de Carnaval…), ce qui indiquait bien qu’on commençait à retrancher les viandes au lendemain de ce dimanche, pour ne passer au régime strictement végétalien du Carême que la semaine suivante. Le premier dimanche de Carême qui suit est lui qualifié de “in capite jejunii” (au début du jeûne). Rappelons qu’avant saint Grégoire le Grand, le Carême romain ne commençait qu’au lundi qui suit le premier dimanche de Carême (disposition conservée chez les Ambrosiens & chez les Mozarabes). Saint Grégoire fit commencer le jeûne au mercredi de la Quinquagésime afin d’arriver à un compte rond de 40 jours de jeûne (pour autant, le rit romain jusqu’à nos jours maintient l’ordonnance des offices de la Quinquagésime après le mercredi des Cendres, les rubriques propres au Carême ne commencent qu’aux premières vêpres du Ier dimanche de Carême).

Saint Léon le GrandL’institution du dimanche de la Quinquagésime est attribuée dans le Liber Pontificalis au pape saint Télesphore, 8ème pape de 125 à 136–138. Cette attribution est peut-être légendaire, mais comme la notice relative au pape Télesphore fut rédigée sous le pape saint Hormisdas (514 † 523), on peut en inférer que cet usage était déjà immémorial à cette époque pour pouvoir être attribué de façon plausible à un pontificat aussi ancien. Le sacramentaire léonien contient une messe de la Quinquagésime ; ses textes passent pour avoir été rédigés sous le pape Vigile vers 538.

En Orient, on peut suivre également les indices précoces de l’établissement de la Semaine de la Tyrophagie (Semaine des Laitages) une semaine avant le Carême. La pèlerine Egérie (Itinéraire 27, 1) rapporte dans son récit qu’une huitième semaine de pénitence était en usage à Jérusalem dès le IVème siècle. Au Vème – VIème siècle, les lectionnaires georgiens, qui témoignent de la liturgie de Jérusalem pour cette période, témoignent de l’existence de lectures particulières pour les deux dimanches qui précèdent le Carême.

Saint Dorothée de Gaza au VIème siècle témoigne que l’institution d’une semaine de pénitence en préambule du Carême est déjà ancienne et ne remonte pas à son temps :

“Ce sont les Pères qui, par la suite, convinrent d’ajouter une autre semaine, à la fois pour exercer à l’avance et comme pour disposer ceux qui vont se livrer au labeur du jeûne, & pour honorer ces jeûnes par le chiffre de la Sainte Quarantaine que notre Seigneur passa lui-même dans le jeûne.”
Dorothée de Gaza, Œuvres spirituelles XV, 159.

L'empereur Héraclius défait l'empereur perse ChosroèsL’usage d’une semaine d’ascèse immédiatement avant l’ouverture du Carême, déjà attesté avant le VIème siècle (Saint Sévère d’Antioche la compte dans sa description du Carême), va être sanctionné par des décisions officielles au VIIème siècle sous le règne d’Héraclius. L’origine du jeûne d’Héraclius est incertaine. La majorité des auteurs la met en relation avec les évènements de la guerre qui eut lieu entre l’Empire romain byzantin et l’Empire perse sassanide de 602 à 628, durant laquelle les populations juives de Palestine entrèrent en rébellion contre les chrétiens et le pouvoir de Constantinople et s’allièrent avec les troupes perses, ce qui aboutit à la chute de Jérusalem aux mains des Perses, à la perte de la relique de la Vraie Croix, emportée en Perse, et au massacre de 90 000 chrétiens. Lorsqu’en 629 Héraclius entra triomphalement dans Jérusalem reconquise par les troupes byzantines, toutes les églises chrétiennes, dont le Saint-Sépulchre, étaient ruinées ; l’empereur ordonna un massacre des milices juives rebelles, en dépit d’une promesse d’amnistie qu’il leur avait faite. En pénitence de ce parjure, le patriarche de l’Eglise de Jérusalem institua une semaine de jeûne avant le début du Grand Carême. Cette ordonnance ne devait durer initialement que 70 ans mais perdure encore aujourd’hui sous ce nom de Jeûne d’Héraclius chez les coptes d’Egypte et d’Ethiopie. A côté de cette explication, la plus répandue, on néglige en général une autre : Héraclius prescrivit à ses troupes une semaine d’abstinence des viandes et de réduction aux laitages lors de la sixième année de ses guerres contre les Perses, afin d’implorer Dieu pour la victoire. Il est d’ailleurs possible que les deux explications soient vraies et plus que probable qu’elles ne faisaient que sanctionner un usage déjà bien répandu. Au siècle suivant, saint Jean Damascène témoigne que le Carême est précédé d’une semaine préparatoire (cf. Du Jeûne sacré, 5).

L’institution d’une semaine de jeûne mitigé juste avant le grand Carême, observée très tôt tant en Orient qu’en Occident, possédait deux vertus, l’une symbolique et l’autre pratique : d’une part, ces jours de semi-jeûne étaient perçus comme une compensation pour atteindre le compte des 40 jours effectifs de jeûne ; d’autre part le passage au régime végétalien strict du Carême était facilité car plus progressif.
 

Synthèse du jeûne des Ninivites et de la Semaine sans viande – extension de l’Avant-Carême sur trois semaines

On l’a vu, au sixième siècle, l’usage de faire précéder le Carême d’une semaine d’abstinence de viandes est déjà bien installé en Orient et en Occident. Seul le 24ème canon du concile d’Orléans de 511 en proscrit l’observance, ce qui a contrario prouve qu’elle tendait à se répandre dès avant cette date dans la France mérovingienne. Certaines Eglises en Orient ajoutent le jeûne des Ninivites dans la 3ème semaine précédant le Carême. Il était dès lors tentant de relier ces deux périodes, et d’étendre l’Avant-Carême d’une à trois semaines.

Eglise arménienneIl est possible qu’en Orient ce pont liturgique entre Carême et le jeûne de Ninive fut jeté en premier en Arménie. Le temps de l’Avant-Carême arménien s’appelle Aratchavor. Il comporte trois dimanches, la Septuagésime s’appelant Barekendam (ou dernier jour gras). La première semaine est stricte & consacrée au jeûne des Ninivites (institué par saint Grégoire l’Illuminateur au IVème siècle). La seconde & la troisième semaine sont moins marquées par la pénitence, on n’y observe que les jeûnes des mercredis & des vendredis.

Sacramentaire de Charles le Chauve : folio 3 r° : saint Grégoire le Grand dicte ses livres liturgiques à ses scribes, sous l'inspiration du Saint-EspritA Rome, c’est dès le cours du VIème siècle que le dimanche de la Quinquagésime se voit lui-même précédé de deux autres dimanches : Sexagésime & Septuagésime. L’Epistolier de Victor de Capoue (datant de 546) atteste de la présence du dimanche de la Sexagésime dès cette époque. Le sacramentaire gélasien ancien (Vat. Reg. 316) contient des textes d’oraisons propres pour la Septuagésime et la Sexagésime. Les stations des trois dimanches sont fixées sous les papes Pélage Ier (556 † 561) & Jean III (561 † 574) dans les basiliques de Saint-Laurent, Saint-Paul et Saint-Pierre. On possède les homélies prononcées par saint Grégoire le Grand pour la Septuagésime, la Sexagésime & la Quinquagésime. Il est du reste plus que probable que saint Grégoire ait remanié la liturgie de ces trois dimanches, en accentuant leur caractère pénitentiel. Le plus ancien lectionnaire romain connu, le lectionnaire dit de Würzburg, rédigé dans la première moitié du VIème siècle, qui fut en usage en Gaule et qui correspond à la structure du sacramentaire gélasien ancien, témoigne que les lectures des 3 dimanches de Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime que nous utilisons encore aujourd’hui étaient déjà en usage. La plupart des variantes diocésaines médiévales du rit romain comportaient aussi des lectures spéciales pour les mercredis et vendredis de ces trois semaines, rappelant que ces jours de jeûnes connaissaient à l’origine des stations liturgiques spéciales.

L’Avant-Carême existe aussi dans la tradition ambrosienne. Les trois dimanches s’appellent comme au romain : Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime. On notera que l’Alleluia n’y est pas supprimé (il le sera au dimanche de Quadragésime, la veille du début du jeûne). Les textes employés pour ces trois dimanches sont très différents de ceux du rit romain, ce qui n’aurait pas été le cas si la Septuagésime n’avait pas été très ancienne à Milan et si elle avait été empruntée à Rome. Citons le beau Transitorium de la messe de la Septuagésime, qui annonce le programme de ce temps spécial d’Avant-Carême :

Convertímini * omnes simul ad Deum mundo corde, & ánimo, in oratióne, jejúniis & vigíliis multis : fúndite preces vestras cum lácrymis : ut deleátis chirógrapha peccatórum vestrórum, priúsquam vobis repentínus supervéniat intéritus ; ántequam vos profúndum mortis absórbeat : & cum Creátor noster advénerit, parátos nos invéniat.

Convertissez-vous tous à Dieu, d’un cœur & d’une âme purs, dans la prière, les jeûnes et les veilles nombreuses. Répandez vos prières avec larmes, afin d’effacez la sentence méritée par vos péchés, avant que la mort ne vienne tout à coup fondre sur vous ; avant que le gouffre de la mort ne vous engloutisse. Et quand notre Créateur adviendra , qu’il nous trouve prêts.

Comme ailleurs à Rome, les dimanche de Quinquagésime puis de Sexagésime ont été institués plus anciennement que la Septuagésime, un peu plus récente. Notons aussi cette particularité de la tradition ambrosienne : le dernier dimanche après l’Epiphanie – qui précède la Septuagésime – voit de façon très ancienne la lecture systématique de Matthieu XVII, 14-20, la guérison du fils lunatique, lequel se termine par ce verset qui annonce le début de l’avant-Carême :

“Mais cette sorte [de démons] ne se chasse que par la prière et par le jeûne.”

Si l’on considère que le Carême à Rome commençait avant l’époque de saint Grégoire le Grand (fin du VIème siècle) au lundi suivant le Ier dimanche de Carême (comme c’est le cas encore à Milan & à Tolède), et en faisant coïncider ce dimanche avec celui qui précède le Carême byzantin (dimanche de l’Expulsion d’Adam), voici les correspondances entre les Avant-Carêmes romain & byzantin :

Rit romain

Rit byzantin

Septuagésime Dimanche du Publicain & du Pharisien
Sexagésime Dimanche du Fils prodigue
Quinquagésime Dimanche du Jugement dernier
Dernier jour des viandes avant la Semaine de la Tyrophagie
Ier dimanche de Carême Dimanche de l’Expulsion d’Adam

Le rit byzantin choisit au cours de cette période de faire lire des évangiles préparant les fidèles à la pénitence du Carême. L’organisation des trois semaines est attestée par le Typikon de la Grande Eglise (IXème-Xème siècle) ; l’absence de documents liturgiques plus anciens ne permet pas de préciser davantage le temps de cette organisation. A noter que dans la première semaine, celle qui suit le dimanche du Publicain & du Pharisien, & à la suite de polémiques médiévales complexes, les byzantins suppriment complètement tout jeûne, même ceux habituels du mercredi & du vendredi, afin de se démarquer du jeûne des Arméniens de cette même semaine.

Seuls quelques rares rits, isolés du courant général de la chrétienté par les progrès de l’Islam, n’ont pas développé les trois semaine de l’Avant-Carême. Le rit hispano-mozarabe – figé par la conquête arabe – est ainsi resté au stade primitif antérieur au début du VIème siècle d’un seul dimanche préparant le Carême (Quinquagésime). Ce dimanche est appelé dans ce rit Dominica ante carnes tollendas, ce qui indique que le Carême était bien précédé d’une semaine où l’on retranchait les viandes mais pas encore les laitages ni les autres produits non strictement végétaliens. L’Egypte et l’Ethiopie possèdent à la fois le jeûne de Ninive et le jeûne d’Héraclius, mais n’ont pas englobé ces deux jeûnes dans une période d’Avant-Carême. Chez les Ethiopiens toutefois, le dimanche correspondant à la Sexagésime latine – quoique compté encore liturgiquement dans le temps après l’Epiphanie – est fixé de fait par rapport au dimanche suivant (Quinquagésime – Za-Warada ou Qabbaka som) : il s’agit du dimanche du Fiancé (Zamana Qebbala Mar’awi) (car on utilise Matthieu 25, 1-13 dans le texte des antiennes) ; il marque aussi l’arrêt du temps où les mariages sont possibles. Les Assyro-Chaldéens enfin s’en sont tenus aux Rogations des Ninivites et ne connaissent pas l’équivalent de la Quinquagésime.
 

L’Avant-Carême & la méditation sur la fragilité humaine

Ayant montré l’antiquité & l’universalité de la période d’Avant-Carême dans les différents rits, nous terminons cette présentation par la mise en lumière de thèmes récurrents employés par les liturgies d’Orient & d’Occident.
 

La lecture de la Genèse : méditation sur la chute de l’homme et la nécessité de la Rédemption

Adam fut privé des délices du Paradis * par l’amertume du fruit; * sa gourmandise lui fit rejeter * le commandement du Seigneur ; * il fut condamné à travailler * la terre dont il était lui-même formé ; * à la sueur de son front * il dut gagner le pain qu’il mangeait. * Aussi, gardons la tempérance, pour ne pas devoir comme lui * pleurer devant la porte du Paradis, * mais efforçons-nous d’y entrer.
Cathisme des matines du dimanche de l’Expulsion d’Adam

L’hymnographie byzantine du dimanche qui précède immédiatement le premier jour du Carême (qui donc techniquement correspond en fait au Ier dimanche de Carême des latins) est consacrée à la Création et au péché d’Adam & Eve, mettant en rapport la gourmandise de notre premier père & le jeûne de 40 jours du Seigneur au désert. De fait, on retrouve fréquemment la lecture du livre de la Genèse soit au début du Carême, soit remontée trois semaine au dimanche de la Septuagésime. Au rit romain, on commence encore la lecture de la Genèse aux matines du dimanche de la Septuagésime ; à sa suite les autres livres de la Bible sont lus dans l’ordre tout au long de l’année liturgique.
 

Le souvenir de la mort & les fins dernières

La méditation sur la chute d’Adam s’est naturellement accompagnée de celle sur la fragilité de l’homme, sa mort, et la nécessité de faire pénitence avant le jugement dernier.

L’introït par lequel s’ouvre la messe romaine du dimanche de la Septuagésime est parfaitement éloquent :

Circumdederunt me * gémitus mortis, dolóres inférni circumdedérunt me : et in tribulatióne mea invocávi Dóminum, et exáudivit de templo sancto suo vocem meam.   Les angoisses de la mort m’ont environné et les douleurs de l’enfer m’ont assailli ; dans ma tribulation, j’ai invoqué le Seigneur, et il a exaucé de son saint Temple ma voix.

Media vita : répons pour la Septuagésime de Notker Le BègueLe Media vita est lui aussi un texte encore souvent chanté durant la Septuagésime dans le rit romain. Cette antienne dont l’origine semble remonter au VIIIème siècle fut par la suite transformée en répons (lui-même plutôt intégré dans le temps du Carême). Au Moyen-Age, son texte dramatique lui assura une grande ferveur, on le chantait sur les champs de bataille. En voici la traduction :

℟. Au milieu de la vie, nous sommes dans la mort : quel secours chercher, sinon toi, Seigneur ? toi qui à bon droit es irrité de nos péchés : * Saint Dieu, Saint fort, Saint Sauveur miséricordieux, ne nous livre pas à la mort amère. ℣. En toi ont espéré nos pères: ils ont espéré et tu les as libéré. ℣. Vers toi ont crié nos pères: ils ont crié et ne furent pas confondus. ℣. Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit.

Dans le rit byzantin, le dimanche du Jugement dernier (qui correspond à notre Quinquagésime) fait de même tourner les regards des fidèles vers les fins dernières.

Mais ce rit comporte aussi une pièce emblématique propre à cette période d’avant-Carême : à l’office de matines en effet, on y chante en effet le psaume 136 “Sur les fleuves de Babylone” (Super flumina Babylonis). Ce psaume est alors adjoint aux deux autres psaumes du polyeleos, les psaumes 134 et 135 et ces trois psaumes forment l’équivalent du Troisième nocturne de l’office romain ou bénédictin. Selon l’archevêque Job Getcha, ces trois psaumes 134-135-136, première stase du cathisme 19 dans le Psautier palestinien, étaient chantés ensemble tous les dimanches de l’année, mais le psaume 136, à la tonalité plus triste que les deux précédents, ne fut conservé que pour les dimanches du Fils Prodigue, de l’Apokréo et de la Tyrophagie.

En voici une célèbre version russe, adaptée par nos soins du slavon au latin :


 

La prière pour les morts

Comme la liturgie de l’Avant-Carême nous rappelle notre condition mortelle déchue par le péché, ce temps est aussi devenu dans beaucoup de traditions liturgiques un moment privilégié pour prier pour les morts.

Dans le rit arménien, le jeudi de la Quinquagésime (dernier jeudi avant le début du Carême) est consacré à la commémoraison de tous les défunts.

Dans le rit byzantin, le samedi qui précède immédiatement le dimanche du Jugement dernier est dédié – bien logiquement – à la prière pour tous les fidèles défunts. Son existence est attesté dans le typikon de la Grande Eglise (IXème – Xème siècle, document majeur qui nous décrit l’organisation des offices à Sainte-Sophie).

Dans le rit assyro-chaldéen, le vendredi de la seconde semaine avant le Carême (notre Vendredi de la Sexagésime) est consacré à la commémoraison de tous les fidèles défunts.

Chez les Maronites, les trois dimanches d’Avant-Carême sont consacrées au souvenir des morts : le dimanche des prêtres défunts (Septuagésime), le dimanche des Justes & droits (Sexagésime), le dimanche des fidèles défunts (Quinquagésime). La disposition de l’Avant-Carême syriaque jacobite est sans doute plus primitif : jeûne des Ninivites (Sawmo d’ninwoyé – du lundi au mercredi de la Septuagésime), dimanche des prêtres défunts (Kohné – Sexagésime), dimanche des fidèles défunts (‘Aneedé – Quinquagésime).
 

Conclusions sur la Septuagésime ou Avant-Carême

Les acteurs de la réforme liturgique du missel de Paul VI ont inexplicablement supprimé le temps de la Septuagésime, cet antique élément du rit romain, sans égard pour son antiquité et son universalité (la Septuagésime avait même été conservée dans le Book of Common Prayer des Anglicans et chez nombre de communautés luthériennes !). Cet article a permis de préciser les points suivants :

1. Dans toutes les traditions liturgiques, le Carême est précédé d’une période pénitentielle. Cette période est à l’origine soit le jeune des Ninivites, dans la troisième semaine avant le Carême, soit la semaine qui précède immédiatement le Carême (Tyrophagie / Quinquagésime / jeûne d’Héraclius). Les plus anciens témoignages de cette période d’Avant-Carême remontent au IVème siècle (saint Grégoire l’Illuminateur, saint Ephrem, Egérie à Jérusalem). Les Coptes d’Egypte & d’Ethiopie connaissent ces deux jeûnes, le rit Mozarabe ne connaît que la Quinquagésime, les Assyro-Chaldéens que les Rogations des Ninivites. A partir du début du VIème siècle, l’Avant-Carême se développe & s’étend sur les trois semaines précédent le Carême (rits romain, ambrosien, byzantin, arménien, syro-jacobite, maronite).

2. Ce temps est conçu comme une entrée progressive dans le Carême, permettant une ascèse graduée & une préparation spirituelle. Cet aspect est mis en avant par le protoprêtre Alexandre Schmemann dans sa description des dimanches d’Avant-Carême :

“Trois semaines avant que ne commence réellement le Grand Carême, nous entrons dans une période de préparation. C’est une caractéristique constante de notre tradition liturgique que chaque événement liturgique majeur – Noël, Pâques, Carême, etc, est annoncé et préparé longtemps à l’avance. Connaissant notre manque de concentration, l’état “matérialiste” de notre vie, l’Église attire notre attention sur l’aspect important de l’événement qui s’approche, nous invite à en méditer les différentes “dimensions” ; dès lors, avant que nous ne puissions pratiquer le Grand Carême, on nous en donne la théologie de base.”
Protopresbyter Alexander Schmemann, The Liturgical Structure of Lent.

3. La méditation sur la chute de l’homme et les fins dernières (avec pour conséquence l’institution fréquente de prières pour les fidèles défunts) constituent des éléments récurrents dans les différents rits de ce temps d’Avant-Carême (ou de Septuagésime).

Meskel – la fête de l’Exaltation de la Croix en Ethiopie

Meskel (“Croix”), est une des fêtes majeures de l’Ethiopie. Lors de la vigile du 14 septembre (correspondant au 27 septembre dans notre calendrier grégorien), de grands bûchers sont embrasés un peu partout pour faire mémoire de l’impératrice Hélène (Nigist Eleni), laquelle aurait allumé un semblable bûcher, y mêlant de l’encens, à la suite d’une révélation qu’elle avait eue. La fumée du bûcher s’était alors incurvée pour désigner à la mère de Constantin l’emplacement où la sainte Croix était enterrée.

La vraie Croix, découverte par sainte Hélène, fut partagée par elle en trois parties : l’une fut envoyée à Rome, l’autre à Byzance tandis que la partie principale restait à Jérusalem. Cette dernière fut volée par les Perses mais récupérée par l’empereur byzantin Héraclius (575 † 641). Perdue par les Croisées à la désastreuse bataille d’Hattin (4 juillet 1187), cette relique de la vraie Croix fut rachetée aux musulmans par l’empereur d’Ethiopie David Ier (c. 1350 † 1413). Son fils l’empereur Zara Yacob (1399 † 1468) – qui règna sous le nom de Constantin Ier – plaça cette précieuse relique dans le monastère de Gishen Mariam, dans le Nord-Est de la province du Wollo, où de grandes foules viennent toujours en pèlerinage de toute l’Ethiopie pour la vénérer.

Les chrétiens éthiopiens ont toujours une dévotion fervente envers la Croix. La fête de Meskel – qui est jour férié en Ethiopie – est l’occasion de nombreuses festivités et réjouissances familiales (même si, tombant cette année un vendredi, l’abstinence de viande et produits animaux était de rigueur). La fête marque également la fin de la saison des pluies.

Les cérémonies les plus spectaculaires ont lieu à Addis Abeba, la capitale, sur la Place Meskel, lieu dédié à cette manifestation, où s’assemble chaque année une foule compacte de plusieurs dizaines de milliers de fidèles.

Seul pays au monde à célébrer l’Exaltation de la sainte Croix par un jour férié, l’Ethiopie a déposé un dossier auprès de l’UNESCO afin d’enregistrer la fête annuelle de Meskel à Addis-Abeba au patrimoine culturel de l’humanité. Le ministère des Affaires étrangères a déclaré que la fête “mérite cette distinction en raison de l’antiquité de sa célébration, de sa couleur et de sa signification, et pour l’attraction qu’elle exerce sur un nombre grandissant de touristes, ainsi que pour l’énorme participation de la société civile et des gens de tous âges, ce qui lui confère des qualités uniques”.