Signalé par Gregory diPippo sur The New Liturgical Movement, saluons les premiers articles d’Alma Bracarense, nouveau blog consacré au rit de Braga.
Siège d’un évêché dès les premiers temps du christianisme, Bracara Augusta – aujourd’hui Braga dans le Nord du Portugal – devient siège métropolitain & capitale du royaume des Suèves à l’époque de saint Léon le Grand (440-461), suite à la destruction de la première capitale des Suèves, Astorga, par les Wisigoths en 433. En 538, l’évêque Profuturus de Braga écrit au pape Vigile (537 † 555) pour lui demander de suivre la liturgie de Rome. Le pape lui répond en lui envoyant l’ordo romain du baptême, le canon de la messe romaine et le propre du jour de Pâques, afin que celui-ci serve de modèle pour la constitution des autres messes. Le pape insiste sur la stabilité du canon romain (en précisant que seuls quelques mots ou noms de saints sont modifiés à certaines grandes fêtes), ce qui alors contraste fortement avec l’usage qui est suivi en Espagne & en Gaule, où toutes les prières de l’anaphore eucharistique changent à toutes les messes.
Cet épisode est très intéressant dans l’histoire de la liturgie en Occident, car c’est la première fois que le rit romain se trouve “exporté” en dehors de Rome. La démarche de l’évêque Profuturus de Braga s’inscrit de fait dans un contexte politique plus large. Les Suèves s’étaient convertis au catholicisme avec leur roi Cararic († 510), un cousin de notre roi des Francs Clovis. Encerclé par le royaume wisigoth arien de Tolède qui rêvait de contrôler toute la péninsule ibérique, le royaume suève se tourne vers le Pape & vers le royaume franc pour tenter de rompre son isolement diplomatique.
Les deux premiers conciles de Braga (tenus en 561-563 & en 571) contiennent des ordonnances liturgiques visant à l’organisation de ce rit que l’on peut qualifier de romano-suève.
En 584, le royaume wisigoth de Tolède envahit et supprime le royaume suève de Braga. Cette annexion sonne aussi le glas de la liturgie romano-suève : le quatrième concile de Tolède de 633 – que signe l’archevêque de Braga – ordonne “Unus modus in Missarum solemnitatibus” – qu’un seul mode de célébration soit observé dans les solennités des messes – & ce mode, c’est bien sûr celui de la liturgie espagnole de Tolède (qu’on appelle liturgie hispano-wisigothique et qu’on appellera plus tard liturgie mozarabe).
En 716, Braga est soumise aux ténèbres de l’Islam dont elle est libérée en 868 par Alphonse III des Asturies. Dès les débuts de la Reconquête, en raison de l’influence de l’Empire carolingien, on voit apparaître les premiers efforts pour établir le rit romain sur les terres ibériques reconquises, au lieu de l’ancien rit hispano-mozarabe. Aussi, est-ce, avec la Reconquête, le rit romain qui revient naturellement à Braga dont il avait été exclu près de 285 ans auparavant.
Braga organise sa liturgie romaine principalement entre le XIème & le XIIIème siècle. Il ne s’agissait bien sûr pas d’un rit romain pur, mais d’une variante locale du rit romain, l’un de ces nombreux usages romano-diocésains hérités de l’empire carolingien, type liturgique qu’on qualifie ordinairement de romano-franc : si l’ordre de la messe est substantiellement le même qu’à Rome (en particulier pour tout ce qui est proclamé à voix haute), des divergences apparaissent, essentiellement pour les prières secrètes de l’ordo missæ. Ces variantes locales n’avaient rien d’exceptionnel, on pouvait les rencontrer dans tous les diocèses occidentaux de cette époque (rit de Paris, de Lyon, de Sarum, etc…). Beaucoup des variantes du rit de Braga se retrouvent dans d’autres rites diocésains occidentaux (il s’agit souvent du reste de pratiques anciennes proprement romaines qui avaient fini par tomber en désuétude à Rome même). Toutefois, un certain nombre de ces variantes sont absolument propres à Braga. Les liturgistes se disputent sur l’éventuelle survivance dans l’usage médiéval de Braga d’éléments plus anciens de l’antique rit romano-suève du VIème siècle.
Toujours est-il que lorsque saint Pie V publia les bulles Quod a nobis du 9 juillet 1568 & Quo primum du 14 juillet 1570, le rit de Braga jouissait largement des 200 ans d’ancienneté suffisants pour pouvoir être exempté des nouveaux livres romains & pouvoir continuer à être célébré. Braga n’était pas du reste une exception au Portugal à cette époque : les diocèses d’Evora, de Coimbra, de Lisbonne et de Guarda, certains monastères (tel celui de la Sainte-Croix de Coimbra) disposaient aussi de livres liturgiques particuliers & d’usages propres plus anciens que les 200 ans fixés par saint Pie V. Au Portugal, comme un peu partout en Europe, le missel romain de saint Pie V finit néanmoins par s’imposer, & comme ailleurs, cette diffusion peut largement s’expliquer par des raisons économiques (le coût d’impression d’une édition diocésaine de livres liturgiques propres était réellement exorbitant pour un “marché” par définition étroit). Le rit de Braga fut fortement modifié et tridentinisé ; méconnaissable, il finit par perdre ses caractéristiques propre et ne survivait péniblement que dans quelques rares églises de ce diocèse au début du XXème siècle. En 1918 cependant, à la demande du chapitre de la cathédrale, l’archevêque Manuel Vieira de Matos entreprend de lancer une grande restauration des anciens usages de son diocèse. Le pape Benoît XV, par la constitution apostolique Sedis hujus de 1919, autorise la restauration de la liturgie traditionnelle de Braga : on reprend l’ancien rit médiéval, l’expurgeant des nouveautés introduites depuis le XVIème siècle (comme l’hymnaire réformé d’Urbain VIII), tout en l’adaptant aux réformes liturgiques récentes du bréviaire de saint Pie X. La nouvelle édition du missel fut approuvée en 1924 par la bulle Inter multiplices du pape Pie XI et son emploi fut rendu obligatoire pour tous les prêtres sur l’ensemble du diocèse de Braga. Cette obligation des livres diocésains de Braga est tombée après le concile Vatican II, précisément le 18 novembre 1971 : si le choix entre rit romain ou rit de Braga est laissé à la discrétion du clergé, en pratique, le rit propre est abandonné dans le diocèse au profit des nouveaux livres romains.
Depuis quelques années, le rit traditionnel de Braga commence toutefois à être de nouveau célébré. (voyez par exemple ce compte-rendu des Rameaux célébré dans le rit de Braga). Puisse ce nouveau blog Alma Bracarense participer à sa renaissance.
La restauration de 1919 de l’ancien rit de Braga par l’archevêque du lieu – restauration confirmée par le pape – est un exemple très intéressant de la reviviscence d’une tradition liturgique tombée en oubli. La restauration de Braga avait connu un précédent avec la restauration en 1866 du rit lyonnais par le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon (Lyon avait abandonné son rit propre au XVIIIème siècle pour prendre la liturgie parisienne fabriquée par Mgr de Vintimille). Ces exemples réussis ont inspiré la Société de saint Osmond pour la Préservation du rit de Sarum dans l’Eglise catholique qui est parvenue à faire célébrer en quelques occasions ce vénérable rit anglais, sans que cela n’aboutisse hélas à une restauration. On peut citer de même la célébration exceptionnelle de l’ancien rit parisien à Notre-Dame de Paris pour la Fête-Dieu de 1964, restée sans lendemain.