Attribuable à Antoine de Boësset, sieur de Villedieu (1587 † 1643).
Maître de la musique de la Reine.
Ad cœnam Agni providi, hymne du Temps pascal, à vêpres.
4 voix (SATB).
4 pages – Ré mineur (Ier ton).
Cette hymne pour le Temps pascal – Ad cœnam Agni providi – figure au verso du folio 211 du manuscrit « Deslauriers », fameux manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (F-Pn / Rés Vma ms 571) qui pourrait avoir été le répertoire personnel d’André Péchon, maître de chapelle de la cathédrale de Meaux au XVIIème siècle, dans lequel celui-ci aurait consigné les œuvres des compositeurs qu’il admirait tout particulièrement.
Dans ce manuscrit, fondamental pour la connaissance de la musique française au temps de Louis XIII, un corpus de pièces se détachent très nettement par leur style et leur composition vocale insolite (le plus souvent 3 voix de femmes, basse & basse continue). En marge de certaines de ces œuvres, le copiste a indiqué le nom de Boësset.
L’attribution plus précise de ces œuvres a entraîné une dispute entre musicologues (et ce dès Sébastien de Brossard au XVIIIème siècle) : ces œuvres devaient-elles être attribuées à Antoine de Boësset, sieur de Villedieu (1587 † 1643), surintendant de la Musique du Roi Louis XIII, maître de la musique d’Anne d’Autriche et des bénédictines de Montmartre, ou bien à son fils Jean-Baptiste de Boësset, écuyer, sieur de Dehaut (1614 † 1685) qui occupa les mêmes fonctions à la cour que son père, étant de plus gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi ? La question parait définitivement tranchée en faveur du père depuis l’article que Peter Bennett fit paraître en 2005 dans la Revue française de Musicologie : Antoine Boësset’s sacred music for the royal abbey of montmartre : Newly identified polyphony and plain-chant musical from the « Deslauriers » Manuscript (F-Pn Vma ms. rés. 571). Se fondant sur une datation des différents papiers du manuscrit Deslauriers et sur la reprise des thèmes du plain-chant propre à Montmartre, l’auteur montre de façon convaincante le lien entre ce corpus et les bénédictines de Montmartre et dès lors son attribution au père (plus connu par ailleurs pour ses nombreux airs de cours publiés).
L’inédite répartition des voix dans ce corpus (deux dessus, un bas dessus, une basse, avec la basse continue) s’expliquerait donc par un usage dans un monastère féminin (la basse serait chantée par Boësset selon Peter Bennett (?!). Pourtant plusieurs musicologues s’étaient aperçus que si l’on répartissait les voix autrement, la marche harmonique de ces œuvres sonnaient nettement mieux. Denise Launay en particulier préconisait la mutation du second dessus en taille, ce que nous avons suivi ici pour cette transcription (et en effet, cela sonne parfaitement bien ainsi). En transcription moderne, il ne serait de toutes manières pas difficile de lire la partie de ténor par un soprano 2 et vice-versa.

Nous pensons devoir attribuer à Antoine de Boësset cette œuvre :
- elle figure dans une série de pièces (et en particulier d’hymnes polyphoniques) qui utilisent les clefs qu’on rencontre dans les œuvres marquées « Boësset » dans le manuscrit Deslauriers : deux clefs de sol de dessus, une clef d’ut première ligne de bas dessus et une clef de fa troisième ligne de basse chantante,
- elle utilise très manifestement, dans l’alto, comme d’autres compositions de Boësset, le plain-chant en usage à Montmartre, tel que noté dans l’Antiphonier bénédictin pour les religieuses du royal & célèbre monastère de Mont-Martre imprimé chez Louis Sevestre en 1646, lors d’une importante réforme de simplification du chant opérée par les Bénédictines de Montmartre (page 493 – cf. aussi cet autre exemplaire) :

Nous offrons plus bas une partition du plain-chant de Montmartre adaptée à toutes les strophes de l’hymne, afin de permettre une alternance avec la polyphonie de Boësset pour ceux qui le souhaiteraient. On peut aussi alterner en utilisant la ligne du bas dessus (alto) comme plain-chant (ce que nous faisons dans la vidéo en fin de cet article).
L’hymne Ad cœnam Agni providi est employée par le rit romain comme par le rit bénédictin pour les vêpres du Temps pascal. Son auteur parait être saint Nicétas, évêque de Rémesiana en Dacie aurélienne (c. 335 – 414) ; il remonte en tout cas à une époque suffisamment antique, de la primitive Eglise, où les catéchumènes étaient baptisés adultes et étaient revêtus du vêtement blanc, comme le laisse entendre suffisamment clairement la première strophe. Le texte déploie le mystère pascal dans toute son ampleur : le Christ y est présenté comme l’Agneau de l’Exode, immolé pour sauver les siens, mais aussi comme le Seigneur ressuscité qui donne sa chair en nourriture dans l’Eucharistie. On y retrouve le style des premières hymnes latines, sobre, fortement typologique. En voici le texte avec une traduction versifiée de Charles de Courbes (Cantiques Spirituels, 1622).
| Ad cœnam Agni providi, Et stolis albis candidi, Post transitum maris rubri Christo canamus principi. |
En mangeant cet Agneau pascal, Vêtus de blanc, en cœur loyal, Et la Mer rouge ayant passé Chantons à Christ de cœur haussé. |
| Cujus corpus sanctissimum, In ara crucis torridum, Cruore ejus roseo Gustando vivimus Deo. |
Duquel le corps fut autrefois Brûlé sur l’autel de la Croix, Dont par le pur sang d’iceluy Nous vivons à Dieu aujourd’hui. |
| Protecti Paschæ vespere A devastante Angelo, Erepti de durissimo Pharaonis imperio. |
Sauvés de l’Ange qui jadis En la vieille Pâque des Juifs Fit de plusieurs, occision Et délivra de Pharaon. |
| Jam Pascha nostrum Christus est, Qui immolatus agnus est, Sinceritatis azyma, Caro ejus oblata est. |
Car notre Pâque c’est le Christ, Qui pour nous vrai agneau se fit, Aussi son cher corps a été L’Azyme de sincérité. |
| O vere digna hostia, Per quem fracta sunt tartara, Redempta plebs captivata, Reddita vitæ præmia. |
Ô digne hostie, cher Jésus, Par qui les enfers sont rompus, Le peuple ôté d’anxiété, Et remis en sa liberté. |
| Consurgit Christus tumulo, Victor redit de barathro, Tyrannum trudens vinculo, Et Paradisum reserans. |
Christ ressuscité glorieux Est des enfers victorieux, Et rompt de Satan les liens, Ouvrant le Paradis aux siens. |
| Quæsumus, Auctor omnium, In hoc paschali gaudio, Ab omni mortis impetu Tuum defende populum. |
Nous te prions, grand Dieu de tous Qu’en ce temps pascal gai et doux, Tu nous pardonnes les péchés, Dont à la mort serions tachés. |
| Gloria tibi Domine, Qui surexist’ a mortuis Cum Patr’ et Sancto Spiritu, In sempiterna sæcula. Amen. |
Gloire soit à toi, ô Sauveur, Qui est ressuscité vainqueur, Au Père, et Saint Esprit divin, Aux siècles des siècles sans fin. Amen. |
À la Renaissance, le texte original fut défiguré dans un latin classicisant, voire néo-païen, par une commission de quatre jésuites humanistes réunie par le pape Urbain VIII, donnant naissance à une nouvelle version : Ad regias Agni dapes. L’antique hymne pascale, si pleine de foi et de simplicité, fut mutilée dans son esprit et dans sa lettre, pour plaire de façon pédante au goût païen du jour. Le fidèle qui chantait jadis : Ad cœnam Agni providi, entendait l’appel du Christ, l’Agneau pascal, à sa cène, à son banquet sacré ; on lui substitua Ad regias Agni dapes, tournure majestueuse, sans doute, mais plus abstraite, et qui perdait tout le charme biblique et patristique propre au latin chrétien du texte ancien. Le nouvel hymnaire, refusé par les basiliques romaines, la plupart des ordres religieux et des diocèses français (et par conséquent des compositeurs de musique), ne pénétra notre pays qu’au début du XXème siècle avec les nouvelles éditions des livres de chant liturgique (notons que les premiers de ces livres parus à cette époque donnaient toujours le texte antique des hymnes en appendice).


L’hymne de Boësset chanté à Saint-Eugène en 2016 :
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