M. L’Abbé John Hunwicke est un ancien ministre anglican d’Oxford devenu prêtre catholique dans l’Ordinariat de Notre-Dame de Walsingham. Il tient depuis plusieurs années un blog personnel qui est un modèle d’érudition et de profondeur d’analyse sur divers sujets, principalement sur la liturgie chrétienne.
Nous traduisons ici, avec son autorisation, un article de réflexions qu’il a publié le 25 novembre dernier sur la genèse de la réforme liturgique attribuée par beaucoup au Concile Vatican II.
Le Concile & la liturgie : un récit alternatif
Je suppose qu’une analyse courante de ce qui s’est passé dans les années 1960 pourrait être :
“Le Concile a ordonné une révision assez légère de la liturgie ; cependant des intérêts particuliers ont par la suite pris le contrôle des leviers du pouvoir liturgique et ont pressés les choses à l’extrême.”
Je suggère que quelque chose de vraiment très différent est en réalité survenu, et cette prise de conscience pourrait s’avérer embarrassante tant pour les Trendies que pour les Traddies.
Le point essentiel est en réalité le suivant : Le processus de changement était déjà bien en place.
Je ne pense pas que le Concile, en effet, ait apporté la moindre différence. Ma réflexion en ce sens a démarré à la lecture de certains passages qu’avait écrit Annibale Bugnini dans la préface de son Commentaire de 1956 sur la nouvelle liturgie de la Semaine Sainte. Je donne ma propre traduction de son latin : “Lorsque la Vigile pascale fut restaurée, un liturgiste enthousiaste n’avait pas hésité à affirmer : le pape Pie XII, dans l’histoire de la liturgie à travers les âges, sera considéré comme “le restaurateur de la Vigile pascale”. Maintenant, cependant, avec l’aide de la grâce de Dieu, il doit être appelé “le restaurateur de la Semaine Sainte”, tandis que dans le secret de nos cœurs, nous ne doutons pas que de plus grandes choses attendent encore cet Ouvrier infatigable, et il est très probable (nec veritatis specie caret) qu’il sera appelé “le restaurateur de toute la Sainte Liturgie”.
Rappelez-vous la nature extrêmement radicale de la “restauration” de la Semaine Sainte. J’ose affirmer qu’elle est plus radicale que les changements post-conciliaires de l’Ordo Missae lui-même. 1951 et 1955 étaient tout simplement les deux premières étapes, dont 1969 était la troisième étape logique et cohérente. Les modifications apportées à la Semaine Sainte apparaissaient moins radicales que les changements ultérieurs que parce qu’elles n’affectaient qu’une seule semaine de l’année, pour des offices qui n’étaient pas d’obligation et auxquels, pour la plupart, peu de gens assistaient.
Maintenant permettez-moi de citer un passage célèbre du cardinal Ratzinger daté de 1999 : “Après le Concile Vatican II, l’impression s’installa que le pape pouvait vraiment faire tout ce qu’il voulait en matière de liturgie, surtout s’il agissait sur le mandat d’un concile œcuménique. (…) En fait, le premier concile du Vatican n’avait nullement défini le pape comme un monarque absolu. Au contraire, il l’avait présenté comme le garant de l’obéissance au Verbe révélé. L’autorité du pape est liée à la tradition de la foi, et cela s’applique également à la liturgie. Celle-ci n’est pas fabriquée par des autorités. Même le pape ne peut être qu’un humble serviteur de son développement légitime et respectueux de l’intégrité et de l’identité”[1]. Je pense que ce sont des sentiments admirables. Ma seule réserve serait ceci : Pie XII avait engagé le processus d’altération radicale, à l’aide des mêmes personnes qui allaient occuper une place importante après le Concile, tel Annibale Bugnini, et ce, avant et sans avoir un mandat d’un Concile œcuménique. Nous avions parcouru un long chemin depuis ce Pontife admirable et érudit que fut Benoît XIV, lequel avait conclu que la disposition du Psautier dans le Bréviaire romain ne pouvait être changée parce qu’il n’y avait aucune preuve que l’Église romaine avait déjà utilisé une autre. Je pense qu’il serait plus approprié de qualifier les changements liturgiques du vingtième siècle de réformes “Pie-Paulines”. Ce sont des changements fondés exactement sur cette notion de pouvoir papal qui Benoît XVI a critiqué si vivement : que le Pape peut faire ce qu’il veut. Le processus de “réforme” liturgique a, dès le début, été le produit de la papauté “maximale” de Pie XII. Le Concile n’a été qu’un épisode dans ce processus. Je n’ai jamais cessé d’être étonné par ce paradoxe central de l’histoire catholique du milieu du XXème siècle : que les “Progressistes” et les “Libéraux” furent capable d’assez bien transformer l’Eglise latine en coulisse simplement en manipulant un modèle absolutiste du pouvoir papal.
Je pense que ce sera très intéressant de voir, à moyen terme, comment le pape François comprend son ministère. Il peut être tentant pour un homme bon avec des motifs admirables et qui est confronté à de réels problèmes d’utiliser la puissance de son poste pour prendre des raccourcis. Il faut être un Pontife très savant et véritablement très humble – comme un Benoît XIV ou un Benoît XVI – pour comprendre et pour intérioriser la perception de ce qu’il ne devrait pas faire (et je ne parle pas seulement de Liturgie). Les deux récentes prises de position du pape François qui touchent à l’herméneutique de la continuité me rendent prudemment optimiste. Si cet homme peut consolider les gains réalisés par notre bien-aimé Pape Benoît XVI et dans le même temps prudemment développer l’enseignement du Magistère sur l’option préférentielle pour les pauvres, il pourrait se révéler être un grand Pontife.
Pour prolonger la lecture de cet article : La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – Présentation générale.
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- Le P. Aidan Nichols rapporte que le Père Adrian Fortescue, il y a près d’un siècle, a écrit “Le pape n’est pas un tyran irresponsable qui peut faire n’importe quoi avec l’Église qu’il aime. Il est tenu de tout côté…”↵