Avec l’établissement du pouvoir royal sur les bords de la Loire, on assiste à un affaiblissement du caractère populaire de la dévotion au culte de la Passion au profit de manifestations inspirées d’un esprit de magnificence visant à mettre en évidence la prépondérance des prélats ou la puissance politique de la noblesse au service du pouvoir royal. Les uns et les autres se feront édifier des magnifiques demeures dont les chapelles seront le lieu d’élection de sépulcres commandés à des artistes de renom. Dans cette région, les mises au tombeau répondent moins à un sentiment populaire spontané inspiré par la piété qu’à une dévotion liturgique visant à commémorer la mort du Christ et l’annonce de sa Résurrection glorieuse. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la Bourgogne, de nouvelles influences venues des provinces voisines en relation avec les régions du nord vont interférer avec celles provenant du Berry et du Bourbonnais.
Le XVème siècle voit donc le transfert en Touraine des centres d’action politique et par voie de conséquence des foyers économiques et culturels. On assistera à l’éclosion d’un art de synthèse conciliant des tendances parfois opposées. Une sculpture portée vers l’élégance et le raffinement des formes et des figures s’impose dans les ensembles monumentaux Cette évolution se dessinera au travers des tombeaux du Val de Loire : prélats et grands seigneurs commanditaires ont une vision plus glorieuse du monument que celle plus humble qui avait inspiré le clergé et les fidèles lors de son premier développement. Ils associaient plus étroitement l’évènement de l’ensevelissement à la prochaine Résurrection et au triomphe du Christ sur la mort. La recherche d’intensité dramatique tend à s’effacer au profit d’une représentation plus sereine de l’épisode final de la Passion sur le plan seulement humain.
La collégiale Saint Denis d’Amboise offre à notre contemplation une composition commandée par Philipbert Babou de la Bourdaisière, surintendant des finances de François Ier. Il a offert au prieuré de Bondésir un sépulcre où s’exprime une humanisation courtisane à l’italienne. Il s’agit là d’une sculpture religieuse dont les expressions sont plus figées. Les personnages auraient les figures des membres de la famille du surintendant. Si les personnages donnent l’impression d’être interdits, on remarquera que l’originalité réside dans le soin tout particulier apporté au traitement des draperies de chaque personnage ainsi que dans la richesse apportée par la palette utilisée dans la polychromie. La composition et l’ordonnance du thème demeure classique. On constate que la douleur muette résignée des ensembles du XVème siècle a disparu. Ici, les témoins du drame ont perdu leur sérénité et semblent pétrifiés par l’horreur et le chagrin.
En ce Vendredi Saint, attardons-nous sur la représentation du Christ dans ces ensembles de sculpture monumentale.
Le Christ gisant constitue le support horizontal de la composition. Il est l’élément indispensable sans pour autant être l’essentiel sculptural. « Je suis la résurrection et la vie » Fils de Dieu fait homme par l’Incarnation, sa mort apparente ne prime pas le surnaturel et constitue un moment transitoire. Le thème de la mise au tombeau est un simple acheminement nécessaire pour conduire à la résurrection et ne constitue pas une fin en soi. L’image du Christ étendu sera pour le sculpteur la figure la plus ingrate à réaliser car lui laissant le minimum de liberté d’interprétation. L’obligation de le présenter horizontalement ne permet pas de favoriser la mise en valeur des modelés. Les exigences religieuses l’emportent encore plus pour lui que pour les autres personnages. Sans pour autant renier l’expression d’une vérité naturelle, la figuration sera preuve d’une grande discrétion et surtout beaucoup de dignité. émouvoir plutôt qu’horrifier, sa représentation sera toujours dans une dévotion d’amour. Ces contraintes entrainèrent une certaine convention dans le rendu du Christ.
Dans les plus anciens sépulcres du XVème siècle où l’immobilisme est de règle, la rigidité cadavérique est représentée littéralement mais avec retenue.
Cette rigidité entraine un strict parallélisme des jambes, la tête est faiblement inclinée, parfois encore ceinte de la couronne d’épines elle offre un visage plutôt apaisé, des traits réguliers. Il est doté d’une courte barbe en pointe. Si la scène représentée est l’ensevelissement, les bras sont repliés et croisés sur la poitrine. Lorsque l’on représente l’onction préalable les bras sont allongés le long du corps. En imprimant un faible mouvement aux jambes, en ployant légèrement l’une d’elle en élévation de façon à rompre la longue immobilité des membres horizontaux. On peut aussi y apercevoir un signe prémonitoire de la Résurrection. Il est toujours présenté de gauche à droite afin d’offrir à la contemplation sa plaie de côté.
Plus tard, pour combiner les apparences de vie et de mort, le poids du corps inanimé du Christ pèsera pour infléchir la rectitude horizontale primitive, aidé en cela par la courbure du linceul soutenu aux extrémités par les ensevelisseurs. Les artistes bourguignons ont développé cette nouvelle figuration. A ce titre, les mises au tombeau que nous avons étudiées précédemment sont démonstratives. Cette représentation restera toujours discrète, peu soulignée par la polychromie.
Cette réserve discrète sera de moins en moins respectée après le premier quart du XVIème siècle sous l’effet de la Renaissance. Le courant humaniste incitera les sculpteurs à détailler l’anatomie du gisant et à montrer la réalité corporelle des souffrances endurées par la Christ. Ils insisteront sur l’absence de vie du cadavre dont la tête s’affaisse et les bras tombent de chaque côté.
On verra même apparaitre des détails empruntés à la mode du temps. Ainsi apparait une contradiction entre le choix du traitement statuaire et l’esprit du sujet. : la recherche poursuivie est sans doute plus exacte au point de vue anatomique et de la vraisemblance physique mais elle contredit le sens religieux de l’évènement en lui donnant un aspect trop humain donc terrestre et une dimension réelle inutile.
Ces sculptures sont une forme d’expression d’art populaire, elles cherchent à frapper et émouvoir les fidèles qui doivent reconnaître aisément les participants au drame de la Passion et se reconnaître eux-même dans les enseignements qu’ils pourront retirer de la contemplation de l’ultime épisode de la vie humaine du Christ avant sa Résurrection et ainsi méditer sur le mystère de la Rédemption.
Comme nous l’avons vu précédemment, dans la spiritualité médiévale, la scène de la mise au tombeau est placée sous les yeux des fidèles pour les faire méditer l’aspect rédempteur de la Passion et l’Espérance consolatrice qui en découle. Ce n’est donc pas la primauté du spectacle de la mort qui est essentielle mais celle de l’éternité.
Ces mises au tombeau de la fin du Moyen-Age jusqu’au début des temps modernes sont le reflet de la vie religieuse et sociale de leur époque. On y voit apparaitre côte-à-côte des sculptures de la plus grande qualité en même temps que des oeuvres moins remarquables. Tous ces ensembles répondent à un seul et même élan. Qu’il s’agisse d’exprimer une piété populaire ou une adhésion aristocratique, elles correspondent toutes à un témoignage d’une foi authentique. Au travers du thème de la mise au tombeau on voit surtout un souci d’associer étroitement tous les fidèles au drame sacré de la Passion.