Cette prose Laus erumpat ex affectu en l’honneur de saint Michel archange fut composée par Adam de Saint-Victor (c. 1112 † c.1146), préchantre de Notre-Dame de Paris. Comme une douzaine d’autres séquences du même auteur, cette prose est établie sur le même type mélodique que sa fameuse séquence Laudes Crucis attollamus, composée pour les fêtes de la Croix. Sur ce même thème fut modulé par la suite au XIIIème siècle la fameuse séquence de la Fête-Dieu, Lauda, Sion, Salvatorem. Dans la partition ci-dessus, les doubles barres marquent l’alternance des chœurs, ceux-ci peuvent se rejoindre pour le dernier vers et l’Amen final.
Cette séquence de saint Michel, née à Paris dans le contexte de la liturgie parisienne, s’est répandue un peu partout dans l’espace de l’ancien empire carolingien au cours du Moyen-Age. En particulier, elle fut en usage au Mont-Saint-Michel depuis le XIIème siècle jusqu’à la Révolution, et dans le diocèse de Coutances, depuis le XIIème siècle jusqu’en 1778, où on lui substitua la moderne Angelorum solemnia, qui lui est inférieure. La prose Laus erumpat ex affectu était utilisée au Mont-Saint-Michel non seulement pour la fête universelle du 29 septembre mais également pour la fête du 16 octobre qui commémore dans les diocèses normands l’apparition de saint Michel Archange au Mont Tombe et la dédicace de la Basilique du Mont-Saint-Michel.
En voici le texte et sa traduction par dom Guéranger :
LAVS erumpat ex affectu, Psallat chorus in conspectu Supernorum civium : |
Empressée soit la louange ; que notre chœur, du fond de l’âme, chante en présence des citoyens des cieux : |
Laus jocunda, laus decora, Quando laudi concanora Puritas est cordium. |
Agréée sera-t-elle et convenable, cette louange, si la pureté des âmes qui chantent est à l’unisson de la mélodie. |
MICHÆLEM cuncti laudent, Nec ab hujus se defraudent Diei lætitia : |
Que Michaël soit célébré par tous ; que nul ne s’excommunie de la joie de ce jour : |
Felix dies qua sanctorum Recensetur Angelorum Sollemnis victoria. |
Fortuné jour, où des saints Anges est rappelée la solennelle victoire ! |
DRACO vetus exturbatur & draconis effugatur Inimica legio : |
L’ancien dragon est chassé, et son odieuse légion mise en fuite avec lui ; |
Exturbatus est turbator & projectus accusator A cœli fastigio. |
Le troubleur est troublé à son tour, l’accusateur est précipité du sommet du ciel. |
SVB tutela Michaelis Pax in terra, pax in cœlis, Laus & jubilatio : |
Sous l’égide de Michel, paix sur la terre, paix dans les cieux, allégresse et louange ; |
Cum sit potens hic virtute, Pro communi stans salute, Triumphat in prœlio. |
Puissant et fort, il s’est levé pour le salut de tous, il sort triomphant du combat. |
SVGGESTOR sceleris, Pulsus a superis, Per hujus aeris Oberrat spatia : |
Banni des éternelles collines, le conseiller du crime parcours les airs, dressant ses pièges, dardant ses poisons ; |
Dolis invigilat, Virus insibilat, Sed hunc adnihilat Presens custodia. |
Mais les Anges qui nous gardent réduisent à néant ses embûches. |
TRES distinctæ hierarchiæ Jugi vacant theoriæ Jugique psallentio : |
Leurs trois distinctes hiérarchies sans cesse contemplent Dieu et sans cesse le célèbrent en leurs chants ; |
Nec obsistit theoria Sive jugis harmonia Jugi ministerio. |
Ni cette contemplation, ni cette perpétuelle harmonie ne font tort à leur incessant ministère. |
O quam miræ caritatis Est supernæ civitatis Ter terna distinctio : |
O combien admirable est dans la céleste cité la charité des neufs chœurs ! |
Quæ nos amat & tuetur, Vt ex nobis restauretur Ejus diminutio. |
Ils nous aiment et ils nous défendent, comme destinés à remplir leurs vides. |
SICVT sunt hominum Diversæ gratiæ, Sic erunt ordinum Distincte gloriæ Iustis in præmio ; |
Entre les hommes, diverse est la grâce ici-bas ; entre les justes, divers seront les ordres dans la gloire au jour de la récompense. |
Solis est alia Quam lunæ dignitas, Stellarum varia Relucet claritas : Sic resurrectio. |
Autre est la beauté du soleil, autre celle de la lune ; et les étoiles diffèrent en leur clarté : ainsi sera la résurrection. |
VETVS homo novitati, Se terrenus puritati Conformet cœlestium : |
Que le vieil homme se renouvelle, que terrestre il s’adapte à la pureté des habitants des cieux : |
Coæqualis his futurus, Licet nondum plene purus, Spe præsumat præmium. |
Il doit leur être égal un jour ; bien que non pleinement pur encore, qu’il envisage ce qui l’attend. |
VT ab ipsis adjuvemur Hos devote veneremur, Instantes obsequio : |
Pour mériter le secours de ces glorieux esprits, vénérons-les dévotement, multipliant envers eux nos hommages ; |
Deo nos conciliat Angelisque sociat Sincera devotio. |
Un culte sincère rend Dieu favorable et associe aux Anges. |
DE secretis reticentes Interim cœlestibus, Erigamus puras mentes In cœlum cum manibus : |
Taisons-nous des secrets du ciel, en haut cependant élevons et nos mains et nos âmes purifiées : |
Vt superna nos dignetur Cohæredes curia, & divina collaudetur Ab utriusque gratia. |
Ainsi daigne l’auguste sénat voir en nous ses cohéritiers ; ainsi puisse la divine grâce être célébrée par le concert de l’angélique et de l’humaine nature. |
CAPITI sit gloria Membrisque concordia. Amen. |
Au Chef soit la gloire, aux membres l’harmonie ! Amen. |
La partition donnée ci-dessus au début de cet article est issue du répertoire de l’Abbaye de la Lucerne-d’Outremer où le valeureux Abbé Lelégard (1925 † 1994) faisait naguère revivre les antiques traditions du diocèse de Coutances.
En voici une partition médiévale, extraite du fameux Prosaire de la Sainte-Chapelle de Paris, manuscrit daté des environs de 1250 et conservé à la bibliothèque du chapitre de Saint-Nicolas de Bari, édité par dom Hesbert en 1952 (pages 228 à 231).