La Messe d’Or est le nom autrefois donné à la Messe du Mercredi des Quatre-Temps de l’Avent. Liturgia remercie vivement M. l’Abbé Jean-Pierre Herman de nous partager cette étude liturgique et historique sur ce point oublié de notre tradition occidentale
*Dans un article de 2009, Gregory di Pippo montre le caractère “à rebours”, des évangiles des dimanches du temps de l’Avent dans le missel tridentin. Le premier dimanche commence avec la fin des temps (
Lc 21, 25-33), puis nous découvrons Jean-Baptiste et sa question sur l’identité de Jésus, “Es-tu celui qui doit venir ?” (
Mt 11, 2-10) pour le retrouver, le troisième dimanche, au tout début de sa mission, “Je suis la voix de celui qui crie dans le désert” (
Jn 1, 19-28). Ce n’est que dans la troisième semaine que les textes se tournent vers le mystère de l’Incarnation.
La préparation immédiate à Noël, en effet, commence le mercredi des Quatre-Temps, avec la lecture de l’évangile de l’Annonciation. (Lc 1, 26-38).
Les Quatre-Temps
Les Quatre-Temps, nous le savons, sont des périodes de jeûne, de pénitence et de prière au cours de l’année liturgique.
Leur but originel était de rendre grâce à Dieu pour les fruits de la terre, d’apprendre aux hommes à en faire un bon usage et à secourir ceux qui sont dans le besoin.[1]
Les Quatre-Temps comptent parmi les usages les plus anciens de l’année liturgique et remontent aux tout premiers temps de l’Église romaine. Ils sont plus anciens que l’Avent et le pape saint Léon (vers 450) nous a laissé toute une série de beaux sermons des Quatre-Temps. C’était originairement une fête d’action de grâces pour les récoltes. Il n’y en avait que trois, après chacune des trois récoltes principales : le blé, le vin et l’huile — les plus importants symboles naturels de la liturgie. Les fidèles apportaient à l’Offrande la dîme de leurs récoltes, pour les besoins du Sacrifice, de l’Église et des pauvres — et ceci est un exemple pour nous. Néanmoins ces époques sont aussi des jours de renouvellement spirituel. L’homme, au milieu de ses occupations matérielles, oublie trop facilement ses intérêts éternels ; c’est pourquoi il est bon qu’à chaque saison il se rappelle la pensée de Dieu et fasse réflexion sur l’état de son âme.[2]
Observés à Rome dès l’Antiquité, ils se sont ensuite répandus dans toute l’Eglise latine à des périodes diverses[3].
Il semble que le jeûne solennel des Trois-Temps ait été, à l’origine, spécial à l’Église romaine, à laquelle les autres diocèses latins l’empruntèrent plus tard. Saint Léon Ier en explique bien la signification, spécialement à l’occasion des jeûnes de décembre, observant que, au terme des saisons, et avant de toucher aux provisions d’hiver, il convient vraiment d’en offrir les prémices à la divine Providence, par une libation volontaire d’abstinence et d’aumône.[4]
La première source à faire mention de cette pratique est le Liber pontificalis attribué au pape Calliste Ier (217-222), mais d’après saint Léon le Grand et d’autres auteurs, la pratique remonte à l’époque apostolique.
L’introduction de cette pratique dans l’Église chrétienne semble remonter aux temps apostoliques ; c’est du moins le sentiment de saint Léon, de saint Isidore de Séville, de Rhaban Maur et de plusieurs autres écrivains de l’antiquité chrétienne : néanmoins, il est remarquable que les Orientaux n’observent pas ce jeûne.[5]
On les trouve pour la première fois au nombre de quatre dans les écrits de Philastère de Brescia (+ vers 387). Saint Léon les associe à chacune des saisons de l’année. On parle de jejunium vernale, aestivum, autumnale et hiemale puis, avec le temps, placés à proximité d’une des grandes fêtes de l’année (Noël, Pâques, Pentecôte et saint Michel).
Le jeûne était assigné au mercredi, vendredi et samedi de la semaine.
C’est sous le pontificat du pape Gélase Ier (492-496) que l’on commença à assimiler ces jours avec les ordinations. Le jeûne et les prières revêtirent dès lors un caractère particulier : l’Eglise tout entière intercédant pour ceux qui vont prochainement recevoir les ordres sacrés.
Dans la circonstance il y avait en outre un motif spécial. Une antique tradition réservait au mois de décembre les ordinations des prêtres et des diacres, et, selon l’usage introduit par les apôtres eux-mêmes, le peuple chrétien devait, au moyen du jeûne et de la prière, s’associer à l’évêque pour obtenir que le Seigneur fît descendre en abondance les dons sacerdotaux sur la tête des nouveaux ministres de l’autel.
En effet, les intérêts suprêmes du peuple chrétien dépendent en grande partie de la sainteté du clergé ; et puisque l’Écriture nous enseigne que le châtiment le plus terrible infligé par Dieu aux nations prévaricatrices consiste à leur donner des pasteurs et des chefs semblables à elles-mêmes, il est évident que l’ordination des ministres sacrés n’est pas une affaire intéressant exclusivement l’évêque et son séminaire, mais d’une importance décisive et suprême pour toute la famille catholique.
C’est pourquoi les Actes des Apôtres mentionnent les jeûnes solennels et les prières publiques qui précédèrent l’ordination des sept premiers Diacres et, ensuite, la mission de Paul et de Barnabé à l’apostolat parmi les Gentils. Aujourd’hui, après tant de siècles, cette discipline n’a subi aucun relâchement essentiel.[6]
A Rome
La messe stationale du pape, comme on peut le lire encore aujourd’hui dans les missels, suivait les quatre fois le même ordre. Le mercredi, le pontife célébrait à Sainte-Marie-Majeure, le vendredi aux Saints Apôtres et le samedi à Saint-Pierre, où il conférait les ordinations aux candidats. Ecoutons, à ce propos, Dom Guéranger, dans son introduction :
Aujourd’hui, la station – comme il est de règle au mercredi des Quatre-Temps, est dans la basilique libérienne[7], pour mettre les nouveaux lévites sous le céleste patronage de celle que les Pères appelèrent la Vierge-Prêtre, temple où le Verbe incarné lui-même reçut l’onction sacerdotale du divin Paraclet.
Autrefois, la procession du clergé et du peuple se rendait au temple de Libère en partant de Saint-Pierre-aux-Liens et traversait, au chant suppliant des litanies, la Suburra, le Viminal et l’Esquilin. Après la collecte d’entrée à Sainte-Marie-Majeure, un secrétaire papal (scriniarius) annonçait au peuple, du haut de l’ambon, les noms des futurs ordinands :
Auxiliante Domino et Salvatore nostro Iesu Christo, eligimus hos N.N. diaconos in presbyteratum. Si igitur est aliquis a qui contra hos viros aliquid scit de causa criminis, absque dubitatione exeat et dicat : tantum memento Communionis suae.[8] [9]
Les textes de la messe étaient sensiblement ceux que nous trouvons encore aujourd’hui dans le missel tridentin et ses éditions postérieures, nous en traiterons dans un prochaine article sur les messes Rorate.
Comme le dit très justement Dom Ursmer Berlière :
La liturgie du mercredi des Quatre-Temps de l’Avent, qui est jour de station à Sainte-Marie-Majeure, rappelle dans ses différentes parties le mystère de l’Annonciation. De là à faire de cette férie une fête de la Vierge, il n’y avait pas loin.[10]
Ruper de Deutz nous a laissé, à ce propos, un très beau commentaire :
Le premier jour de ce jeûne (des Quatre-Temps), on célèbre de manière tout à fait appropriée à Sainte-Marie-Majeure, car il est clair que tout l’office de ce jour est tourné vers ce temple du Seigneur dans lequel le Seigneur, dans la totalité de son être, en y faisant sa demeure pendant neuf mois, a daigné se faire homme. En effet, on y lit dans l’évangile le mystère de l’Annonciation ou Incarnation du Seigneur, proclamé autrefois par les trompettes des prophètes, rendu présent par les anges, reçu dans la foi par la Vierge sainte et accompli dans son sein virginal.
Une coutume monastique
La tradition liturgique des Quatre-Temps a été adoptée en Gaule aux environs du VIIIème s. et c’est là qu’à partir du XIIème s., on commença à donner au mercredi de la troisième semaine d’Avent un caractère de fête mariale.
Dom Berlière parle d’une coutume monastique des XIème et XIIème s., mais qui restait peut-être fidèle à une tradition plus ancienne[11]. On accordait, dans les monastères, une importance toute particulière à l’évangile de l’Annonciation à l’office des vigiles. Contrairement à l’habitude, qui veut qu’on en lise seulement les premiers versets avant l’homélie, la lecture de celui-ci se faisait en entier “par respect pour l’Incarnation de Notre Seigneur”[12]. S’ensuivait un sermon de l’abbé sur le mystère de l’Incarnation. Le corpus monastique a gardé un grand nombre de ces textes, dont les plus célèbres sont à coup sûr les quatre homélies de Saint Bernard Super missus est. Une partie de la quatrième est toujours lue aujourd’hui dans l’office d’après la réforme de Vatican II, à la date du 18 décembre.
A partir du XIIème s., on accompagna cette lecture du même cérémonial qu’à la messe. Il était lu par un clerc paré des ornements, avec l’encens et les cierges. Les différents coutumiers monastiques détaillent les usages locaux. Ceux-ci ont en commun que toute la communauté était tenue d’assister à l’office, “y compris les infirmes en état de quitter le lit”.
On trouve la même habitude du chant solennel de l’évangile du Missus dans les cathédrales et les collégiales à peu près à la même époque. De nombreux textes en détaillent les usages particuliers. Dom Berlière cite les manières différentes de procéder selon l’endroit :
A Bayeux, le chant est exécuté par un prêtre revêtu des ornements sacrés, accompagné d’un diacre et d’un sous-diacre, et tenant en main un rameau de palme, et ces rites se retrouvent à Rouen, Paris, Saintes, Noyon, Meaux et ailleurs. A Exeter, en Angleterre, au XIVème siècle, c’est le diacre revêtu de l’étole et du manipule, qui va solennellement chanter l’évangile au pupitre. Au XVIIIème s., à la cathédrale de Bourges, l’évangile est chanté solennellement par un diacre revêtu d’ornements blancs, tandis que c’est un prêtre qui chante l’homélie. N.-D. de Chartres avait la lecture de l’évangile Missus est en entier, comme à Sens, suivi du Salve Regina, puis de l’homélie.[13]
Di Pippo, quant à lui, décrit le cérémonial élaboré du rite de Sarum :
Le diacre s’avance avec le sous-diacre, (tous deux) vêtus de blanc… avec une palme de terre sainte dans la main et accompagné des thuriféraires et des céroféraires… Il encense l’autel. Il s’avance alors vers l’ambon par le milieu du chœur et proclame l’annonce de l’évangile… avec les céroféraires à ses côtés…et il tient la palme dans la main pendant qu’il lit l’évangile.
Il mentionne également qu’aux laudes, on omet tous les éléments qui rappellent la pénitence, comme les prières fériales et les prostrations.[14]
Laquelle des deux traditions – séculière ou monastique – a précédé l’autre demeure une question ouverte.
La solennité s’accentua graduellement. A partir du XIVème s., les textes témoignent de la popularité grandissante du Missus, qui devint l’objet de nombreuses fondations pieuses. Au cours du XVème, on fit passer la lecture solennelle de l’évangile de l’office des matines à la messe du jour. Celle-ci, cependant, commençait très tôt, à l’issue de l’office. Elle était célébrée dans la pénombre à la lueur des cierges et se terminait alors que le jour pénétrait dans l’édifice. Plus tardivement, on y vit une illustration symbolique du mystère de l’Incarnation, le Christ, soleil levant, lumière d’en-haut qui vient nous visiter.[15] [16]
La fin du siècle vit naître – preuve de la popularité de la célébration – une pratique que Dom Berlière décrit ainsi :
Vers la fin du XVème siècle, l’évangile apparaît déjà dramatisé avec une mise en scène qui sent déjà la Renaissance, et qui devait plaire à un peuple simple et naïf, mais qui, en faisant parfois disparaître l’intelligence du mystère liturgique, ne servit plus qu’à satisfaire une curiosité émerveillée par la machinerie qui envahissait le sanctuaire.[17]
L’évangile était donc non seulement dialogué, comme on le fait pour la lecture de la Passion, mais aussi dramatisé. Le schéma, avec des variantes locales, était le même partout : le diacre lisait la partie narrative du texte, et deux autres lecteurs, qui avaient pris place à des endroits bien visibles du chœur, tenaient le rôle de la Vierge Marie et de l’Ange. Aux paroles Spiritus sanctus superveniet in te, une colombe se détachait de la voûte et, par un mécanisme adéquat, venait se placer auprès de la sainte Vierge. A certains endroits, on sonnait la cloche de l’Angelus pendant la lecture. Certains historiens de l’art pensent que beaucoup de toiles clair-obscur qui mettent en scène l’Annonciation reflètent la mémoire qu’avaient les artistes de cette célébration et des vêtements portés par l’ange.
De nombreuses sources sont truffées de détails sur les usages locaux. Berlière a reproduit in extenso le texte d’un coutumier de la cathédrale de Tournai du XVIème s., que nous pouvons considérer comme un exemple de la pratique générale. Nous le reprenons à notre tour en appendice. Il commence ainsi : S’ensuivent les cérémonies de ce qu’il y a à faire pour la célébration de la messe “Missus est Angelus”, vulgairement appelée “Messe d’Or”. On remarquera qu’on y mentionne le chant du Gloria à la messe, alors qu’il est normalement supprimé en Avent et, de surcroît, les jours de pénitence.
Missa aurea – messe d’Or
C’est pourquoi, depuis l’antiquité, cette messe a été très appréciée et appelée la messe d’or (missa aurea). Au moyen âge, on la célébrait avec une grande solennité. (Pius Parsch)[18].
La question qui demeure est l’origine de l’appellation « Messe d’Or ».
De nombreuses hypothèses ont été émises à ce sujet. La plus banale se réfère aux ors qui ornent la première lettre de l’introït dans certains missels. D’autres pensent qu’il s’agit d’une allusion à la lumière des cierges qui éclairent l’église et à l’avènement progressif de la lumière durant la messe, voire à la splendeur des rites qui accompagnaient la célébration.
Or, cette messe n’est pas la seule à avoir reçu le titre de “messe d’Or” au cours de l’histoire. Dans d’autres circonstances, on parle de la “messe d’Or de saint Grégoire”, de la “messe d’Or Humiliavit” en l’honneur des cinq plaies de Notre Seigneur. Le terme “d’or” fait ici référence à l’expression populaire qui veut qu’une chose exceptionnelle soit “en or” (on parle d’un métier en or, d’enfants en or.) Ce vocable est lié à l’efficacité particulière que le peuple accordait à cette messe. Il est très ancien et trouve son origine en Allemagne, où on le rencontre déjà en 1367. Il est passé en Hollande septentrionale, puis dans les territoires de l’actuelle Belgique. Berlière[19] cite une chronique monastique allemande où un moine écrit au Saint-Siège à propos d’une messe fondée par l’un des abbés de son monastère : quam ob suam magnificentiam auream vocamus[20].
La « messe d’Or » était donc une messe de supplication à laquelle on attacha une puissance toute particulière[21], très appréciée d’un peuple qui lui attribuait des grâces spéciales, avec parfois un brin de superstition.
Est-ce la Révolution et la suppression des collégiales, cathédrales et monastères qui a conduit à l’extinction de cette popularité ? Toujours est-il qu’au XIXème s., la “splendeur” de la messe d’Or semble avoir vécu. Dom Guéranger, dans son Année liturgique, n’y accorde que peu d’attention et n’en cite même pas les textes :
Comme il est rare que la messe des Quatre-Temps soit chantée hors des Églises où l’on célèbre l’office canonial, et aussi, pour ne pas grossir ce volume outre mesure, nous n’avons pas jugé à propos de donner ici le texte des messes des mercredi, vendredi et samedi des Quatre-Temps de l’Avent. Nous nous contenterons d’indiquer la station. Le mercredi, elle a lieu à Sainte-Marie-Majeure, à cause de l’évangile de l’Annonciation qui, comme on vient de le voir, a fait pour ainsi dire attribuer à ce jour les hon¬neurs d’une véritable fête de la Sainte Vierge.[22]
Dom Berlière, cependant, nous dit qu’à l’époque où il écrit (1920), la popularité de cette messe est encore grande en Belgique, dans les Pays Bas et dans le nord de la France.
Mais la messe d’Or reste bien vivante dans nos pays et le peuple y attache une vertu spéciale. En certains endroits, les fidèles ont coutume d’y tenir un cierge qu’ils tiennent allumé pendant toute la messe et que l’on conserve avec dévotion. Parfois même, on laisse dégoutter le cierge dans l’eau bénite dont on asperge les champs, les jardins et les fruits, le même usage se retrouve en Allemagne.[23]
Elle était surtout fréquentée pour l’heureuse issue des voyages, en souvenir de Marie et Joseph qui se sont mis en chemin pour Bethléem. En fonction de la géographie de ces pays, on l’appelait « messe des marins » en Hollande et en Flandre et « messe des voyageurs » en Wallonie.[24]
Le calendrier issu de la réforme de Vatican II a aboli les Quatre-Temps et donc la possibilité de célébrer la messe d’Or. Elle est peut-être encore célébrée dans certaines communautés ou paroisses qui célèbrent avec le missel de 1962, mais son lustre et sa popularité d’antan semblent avoir totalement disparu.
Abbé Jean-Pierre Herman
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Appendice : La messe d’Or à la cathédrale de Tournai au XVIème siècle
S’ensuivent les cérémonies et ce qu’il y a à faire pour la célébration de la messe Missus est Gabriel Angelus etc., vulgairement appelée la Messe d’Or :
Premièrement, le mardi après vêpres, le charpentier de ladite église disposera dans le sanctuaire du chœur, aux endroits qu’on lui indiquera, deux échafauds opposés l’un à l’autre et appropriés pour la cérémonie de la fête. Ils seront garnis de rideaux et revêtus d’étoffe de soie, par les soins du chasublier de l’église ; l’échafaud du côté de l’évêque servira à recevoir la bienheureuse Vierge Marie et celui du côté du doyen servira à recevoir et à renfermer l’Ange.
Item le même jour, celui qui est chargé de faire descendre le lendemain la colombe, visitera la cellule construite dans la haute galerie du chœur, préparera les cordes et disposera l’appareil muni de chandelles, au moyen duquel il figurera la descente du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe, pendant qu’on chantera l’évangile, comme il sera dit ci-après. Il aura soin de faire descendre la petite corde de la clochette vers l’échafaud de l’Ange, afin qu’on puisse de là sonner le lendemain cette clochette au moment convenable.
Item, le lendemain, pendant les matines, les maîtres du chant auront soin de faire choix de deux enfants, ayant la voix douce et fort haute pour leur faire revêtir à la trésorerie, à huis-clos, à l’un un costume de reine, pour représenter la Sainte Vierge, et à l’autre des vêtements pour représenter l’Ange – vêtements donnés par le fondateur[25].
Après le chant de la septième leçon des matines, les deux jeunes gens, ainsi vêtus, partiront de la trésorerie, entreront dans le chœur par la porte principale, précédés de deux torches ardentes, Marie se tenant du côté de l’évêque, ayant en main un livre d’heures, et l’Ange du côté du doyen, portant de la main droite un sceptre d’argent doré. Ils s’avanceront ainsi lentement, dirigés respectivement par leurs maîtres jusqu’au maître-autel où ils s’agenouilleront et feront leur prière ; après quoi ils iront chacun à la place qui leur est destinée… puis on fermera les courtines.
Les deux porte-torches se placeront devant chaque tribune jusqu’à la fin de la messe.
Pendant qu’on chantera la huitième et la neuvième leçon, les clercs de la trésorerie prépareront le maître-autel comme on fait aux solennités des triples majeurs. On allumera toutes les chandelles du chœur.
Lorsque le célébrant s’approchera du maître-autel pour commencer la messe, on ouvrira avant le </em<Confiteor toutes les courtines de la tribune de la Vierge, laquelle paraîtra à genoux, priant dévotement et ayant son livre ouvert, sur un coussin placé devant elle ; mais la tribune de l’Ange demeurera fermée.
Lorsqu’on chantera le Gloria in excelsis Deo, les courtines de la tribune de l’Ange s’ouvriront. L’ange sera debout, tiendra en main son sceptre d’argent et gardera cette position jusqu’au moment de chanter l’évangile. La Vierge ne fera rien pour voir l’Ange, mais elle aura les yeux baissés et paraîtra attentive à son oraison.
Lorsque le moment sera venu de chanter l’évangile, le diacre et le sous-diacre, précédés des acolytes et de la croix, se rendront au lieu préparé à cette fin dans le sanctuaire. Le diacre chantera l’évangile Missus est Gabriel, et Marie et l’Ange chanteront leur partie comme elle est arrangée et notée dans le livre de cette cérémonie.
Lorsque l’Ange chantera les paroles de l’évangile, Ave gratia plena Dominus tecum, il fera trois inclinations à la Vierge : premièrement, au mot Ave, il inclinera la tête et le corps et se relèvera lentement ; puis à ces paroles, gratia plena, il fera une seconde inclination, fléchissant légèrement les genoux ; s’étant relevé, aux paroles Dominus tecum, qu’il chantera avec beaucoup de gravité, il fera une troisième inclination en posant les genoux en terre et ne relèvera qu’après avoir achevé le verset. Pendant ce temps, la Vierge ne bougera pas, mais lorsqu’elle devra chanter quomodo fiet istud, elle se lèvera, se tournera un peu vers l’Ange avec gravité et modestie, sans faire aucun autre mouvement. Lorsque l’Ange chantera Spiritus sanctus superveniet in te, il se tournera du côté de la colombe et la montrera. Aussitôt la colombe descendra de la haute galerie, entourée de cierges ardents, et viendra se placer devant le prie-Dieu de la Vierge pour y demeurer jusqu’au dernier Agnus Dei, et remonter lorsqu’il aura été chanté.[26]
Lesdits diacres, Marie et l’Ange chanteront ensemble l’évangile sur le ton qui est noté pour leur partie. Après l’évangile Marie se remettra à prier à genoux et l’Ange se tiendra debout jusqu’à la fin de la messe, en s’agenouillant cependant à l’élévation du corps du Seigneur.
Après l’Ite missa est, Marie et l’Ange descendront de leur estrade et retourneront à la sacristie avec les officiers et les enfants revêtus, précédés de flambeaux. Arrivés au vestiaire, ils prieront pour le repos de l’âme du fondateur.[27]
Dans son article, Mgr Voisin mentionne que ce cérémonial se pratiqua sans discontinuer pendant près de deux siècles, mais “quand la curiosité profane fit place à l’intérêt religieux, il fallut rendre au lieu saint une dignité que le public ne comprenait plus”. En 1620, on supprima le drame et en 1640, on plaça la messe à 9 h. du matin. Il ajoute que Bruges garda la dramatisation de l’évangile jusqu’en 1686, Bruges jusqu’à la fin du XVIIIè s. et Tielt jusqu’en 1839. Il ajoute qu’à l’époque où il écrit, la messe d’Or se célèbre toujours à la cathédrale, “avec les ornements, ornés de grosses broderies d’or, donnés par le fondateur.”[28]
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