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La Schola Sainte Cécile chante dans la basilique Saint-Pierre de Rome au Vatican

Nous offrons des cours de chant gratuits chaque samedi de 16h30 à 17h30 : travail du souffle, pose de voix, vocalises, découverte du chant grégorien et du chant polyphonique.

Les Petits Chantres de Sainte Cécile - maîtrise d'enfants

Votre enfant a entre 8 et 15 ans et souhaite chanter ? Inscrivez-le aux Petits Chantres de Sainte Cécile (filles et garçons). Répétitions le mercredi à 18h30 et le dimanche à 10h30.

Retrouvez les partitions que nous éditons, classées par temps liturgique ou par compositeur. Elles sont téléchargeables gracieusement.

Programme du IVème dimanche de Carême – dimanche de Lætare

Saint-Eugène, le dimanche 3 avril 2011, grand’messe de 11h.

A l’orgue, Touve Ratovondrahety

L’évènement sur Facebook.

Télécharger le livret de cette messe au format PDF.

Programme du IVème dimanche de Carême – Saint Jean Climaque – ton 4

Paroisse catholique russe de la Très-Sainte Trinité, le dimanche 3 avril 2011 du calendrier grégorien – 21 mars 2011 du calendrier julien, divine liturgie de saint Basile le Grand de 9h15.

Dimanche du ton IV de l’Octoèque. Le concile de Laodicée de 364, dans son 51ème canon, ordonnait de ne pas célébrer la mémoire des martyrs pendant la sainte Quarantaine, mais de commémorer leur fête les samedis et dimanches, jours qui n’appartiennent pas aux jours de jeûne & de pénitence. Dans l’esprit de ce canon, le rit byzantin continue de célébrer les samedis & dimanches pendant le Carême certains saints importants dont la mémoire tombe systématiquement pendant la sainte Quarantaine. C’est le cas de celle de saint Jean Climaque, dont la fête tombe le 30 mars. A partir du XIVème siècle, sous l’influence des moines hésychastes, le IVème dimanche de Carême fit mémoire de saint Jean Climaque, moine syrien du VIème siècle au monastère de Sainte-Catherine du Sinaï & auteur spirituel célèbre pour son ouvrage, l’Echelle sainte, ou les degrés pour monter au ciel. Dans cet ouvrage, saint Jean le Sinaïte marque en 30 chapitres les 30 degrés pour progresser dans la vie spirituelle, du renoncement à la paix de l’âme, à l’image de l’échelle de Jacob qui allait de la terre au ciel. Le mot échelle se dit κλῖμαξ / klimax en grec, d’où le surnom attribué au saint. L’Echelle de saint Jean Climaque est lue aux petites heures de l’office divin byzantin pendant le Carême.

Par les prières de notre saint Père Jean Climaque, Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de nous.

A la petite entrée :
1. Tropaire du dimanche, ton 4 : Recevant de l’Ange la joyeuse nouvelle * de la Résurrection de leur Seigneur * et détournant l’ancestrale condamnation, * les saintes Femmes se firent gloire d’annoncer aux Apôtres : * le Christ a triomphé de la mort, * il est ressuscité, notre Dieu, * pour donner au monde la grâce du salut.
2. Tropaire de saint Jean Climaque, ton 1 : Habitant du désert tel un ange dans ton corps, * tu fis des miracles, ô Jean, notre père théophore ; * par le jeûne, les veilles et la prière, tu as reçu des dons célestes ; * tu guéris les malades et les âmes * de ceux qui accourent vers toi avec foi. * Gloire à celui qui t’a donné la force, * gloire à celui qui t’a couronné, * gloire à celui qui par toi accomplit pour tous des guérisons.
3. Gloire au Père, & au Fils, & au Saint-Esprit.
4. Kondakion de saint Jean Climaque, ton 4 : En vérité, le Seigneur t’a placé au sommet de l’abstinence, * comme un astre fixe qui éclaire les confins de l’univers, * ô Jean notre guide et notre père.
5. Et maintenant, & toujours, & dans les siècles des siècles. Amen.
6. Kondakion du dimanche, ton 4 : Mon Sauveur & mon libérateur * a ressuscité tous les mortels, * les arrachant par sa force divine aux chaînes du tombeau ; * il a brisé les portes de l’Enfer * et en maître souverain il est ressuscité le troisième jour.
Prokimen
Du dimanche, ton 4 :
℟. Que tes œuvres sont grandes, Seigneur ! Toutes, avec sagesse tu les fis (Psaume 103, 24).
℣. Bénis le Seigneur, mon âme ! Seigneur, mon Dieu, tu es si grand ! (Psaume 103, 1).
De saint Jean Climaque, ton 7 :
℟. Les saints seront loués dans la gloire, et ils exulteront sur leur couche. (Psaume 149,5)
Alleluia
Du dimanche, ton 4 :
℣. Va, chevauche pour la cause de la vérité, de la piété & de la justice (Psaume 44, 5).
℣. Tu aimes la justice, tu hais l’impiété (Psaume 44, 8).
De saint Jean Climaque, ton 2 :
Plantés dans la maison du Seigneur, ils fleuriront dans les parvis de notre Dieu. (Psaume 91,14)
Mégalinaire de la liturgie de saint Basile le Grand :
En toi se réjouissent, * ô Pleine de grâce, * toute la création, * la hiérarchie des anges * et la race des hommes. * Ô Temple sanctifié, * ô Jardin spirituel, * ô Gloire virginale, * c’est en toi que Dieu s’est incarné, * en toi qu’est devenu petit enfant * Celui qui est notre Dieu avant tous les siècles. * De ton sein il a fait un trône, * il l’a rendu plus vaste que les cieux. * Ô Pleine de grâce, * toute la création se réjouit en toi, ** gloire à toi.
Verset de communion
Du dimanche : Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le au plus haut des cieux. (Psaume 148, 1).
De saint Jean Climaque : La mémoire du juste sera éternelle (Psaume 111, 6). Alleluia, alleluia, alleluia.

La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – 1ère partie – Le dimanche des Rameaux

Article précédent : Présentation générale de la Semaine Sainte de 1955.

Première partie – La bénédictions des rameaux

Le dimanche des Rameaux – Synopsis de la cérémonie dans le missel de saint Pie V

Le dimanche des Rameaux célébré par le Pape

Dans l’édition d’avant 1955 du Missel Romain, la bénédiction des rameaux se déroule dans un rite très particulier, parallèle au rite même de la messe, dans lequel la bénédiction des rameaux tient la place du canon et de la consécration. Les palmes sont posées sur l’autel majeur, les ornements sont violets, le prêtre est en chape, le diacres et le sous-diacres usent non pas de dalmatique & tunique, mais – comme pendant tout le Carême – de chasubles pliées & de l’étole large.

Distribution des palmes le dimanche des Rameaux

Distribution pontificale des palmes. Notez les chasubles pliées du diacre & du sous-diacre.

Après l’aspersion dominicale ordinaire, qui n’est pas omise, la cérémonie s’ouvre par une antienne qui tient lieu d’introït (Hosanna filio David), le célébrant chante une oraison qui tient lieu de collecte.

Voici cette oraison :

Deus, quem dilígere et amáre justítia est, ineffábilis grátiæ tuæ in nobis dona multíplica : et qui fecísti nos in morte Fílii tui speráre quæ crédimus ; fac nos eódem resurgénte perveníre quo téndimus.
Dieu, qu’il est juste de désirer & d’aimer, multiplie en nous les dons de ta grâce ineffable, et, comme par la mort de ton Fils tu nous as donné droit d’espérer ce qui est l’objet de notre foi, fais-nous arriver, par sa résurrection, au terme vers lequel nous aspirons.

Cette oraison est très ancienne puisqu’elle figure déjà dans le Sacramentaire du pape Gélase (VIème), le plus ancien document liturgique de l’Eglise romaine qui nous donne les textes employés aux Rameaux (le manuscrit appelé Sacramentaire Léonien qui lui est antérieur est hélas incomplet, le manuscrit est amputé de la partie qui devait contenir toute la Semaine Sainte).

Après cette collecte initiale vient une lecture du livre de l’Exode qui tient lieu d’épître, suivi du chant d’un répons qui tient lieu de graduel (le chœur peut chanter au choix soit le répons Collegerunt Pontifices & Pharisæi, soit le répons In monte Oliveti. Puis vient l’évangile des rameaux (Matthieu au chapitre 21). Une oraison qui tient lieu d’offertoire ou de secrète, la conclusion de cette oraison s’enchaîne avec une préface à la fin de laquelle est chanté le Sanctus. Suit alors une sorte de “canon” composé de 5 prières. A leur suite, le célébrant asperge 3 fois les palmes sur l’autel et les encense 3 fois (suivant l’ordre habituel qu’on retrouve dans d’autres cérémonies : imposition de l’encens – aspersion – encensement, en récitant l’Asperges me jusqu’au psaume exclusivement). Le célébrant chante ensuite une 6ème oraison puis distribue les rameaux au clergé présent puis au peuple, tandis que le chœur chante les 2 antiennes Pueri Hebræorum (qui correspondent à une antienne de communion), les répétant tant que la distribution des rameaux n’est pas terminée. Une fois la distribution achevée, le célébrant chante une 7ème oraison, qui correspond à une postcommunion. Le diacre donne l’ordre de démarrer la procession par le Procedamus in pace. Tout ce rite de bénédiction, on la vu, établi une analogie porteuse de sens entre la bénédiction des rameaux et la consécration des saintes espèces : plus qu’une simple bénédiction d’un objet, les palmes reçoivent une véritable consécration par cette cérémonie effectuée sur le maître-autel, au cours d’un “canon consécratoire” de 7 oraisons avec préface. Notons qu’on retrouve aussi dans le rit romain traditionnel des préfaces consécratoires pour les principales bénédictions réellement importantes : saint chrême, cierge pascal, eau baptismale, ordination sacerdotale, eau bénie à la vigile de l’Epiphanie, et bien sûr consécration des saintes espèces à la messe. Le chant de la préface est la manière qu’utilise le rit romain depuis la plus haute antiquité pour rendre grâce au Père par le Fils d’une façon particulièrement solennelle.

Les liturgistes du XXème siècle ont souvent assimilé un peu rapidement cette bénédiction des rameaux au concept médiéval de Missa sicca, de “messe sèche”, catégorie mentale pratique et utile peut-être pour comprendre la cérémonie, mais quelque peu abusive à mon avis : la messe sèche désignait précisément le texte complet d’une messe du missel dite à but votif de façon privée dans laquelle il n’y avait pas de consécration ni d’offertoire.


Le dimanche des Rameaux à la cathédrale de Westminster (Londres) circa 1914-1919 avec S.E. le cardinal Bourne. Notez la croix de procession voilée, les chasubles pliées du sous-diacre crucifère, ainsi que du diacre & du sous-diacre.


La même cérémonie à Westminster en 1942.

Idéalement les palmes sont bénites dans une première église et la procession va ensuite d’une église à une autre. Comme à toutes les processions, le sous-diacre ouvre la procession en portant la croix, qui est recouverte d’un voile violet comme toutes les croix depuis les premières vêpres du dimanche de la Passion. On accroche un rameau bénit à cette croix voilée. Suit le clergé, puis le célébrant accompagné du diacre & du cérémoniaire. Le chant de 6 antiennes accompagne la procession. Arrivée devant les portes fermées de l’église, un dialogue s’engage entre deux chantres (entrés au préalable dans l’église et se tenant derrière les portes fermées) et la procession restée à l’extérieur : les chantres chantent le refrain du Gloria, laus & honor (l’hymne célèbre de saint Théodulfe d’Orléans (†821)), qui est répété par tous à l’extérieur. Les chantres chantent les 5 versets de l’hymne, le refrain étant repris par la procession dehors. Une fois l’hymne achevée, le sous-diacre frappe avec la hampe de la croix la porte de l’église, qui s’ouvre laissant passer la procession, pendant que l’on chante un répons, Ingrediente Domino in sanctam civitatem (ordonnance ancienne qu’on retrouve également à la procession de la Chandeleur). Le célébrant retire sa chape violette pour prendre la chasuble de la même couleur & la messe commence. Toute la cérémonie étant en violet, le changement de vêtement ne présente pas de difficultés (ainsi, les ornements de l’autel n’ont pas à être changés).

Le dimanche des Rameaux à la cathédrale catholique de Westminster

Procession des Rameaux dans Londres, à la cathédrale de Westminster, avant 1955.
Synopsis de la cérémonie dans la réforme de 1955

La réforme de 1955 abolit la structure très ancienne de la consécration des palmes au cours de cette cérémonie imitant l’ordo missæ, tout en introduisant des changements qui n’ont pas forcément simplifié la cérémonie, certains étant en contradiction avec la pratique liturgique habituelle du rit romain.

La couleur des ornements de la cérémonie de la bénédiction & de la procession des Rameaux est changée : les ornements cessent d’être violets pour devenir rouges. Pourquoi ce changement ? Dans l’esprit de la Commission pour la Réforme liturgique, la procession des Rameaux devient une procession en l’honneur du Christ-Roi : ainsi, l’hymne Gloria, laus & honor reçoit-il le titre Hymnus ad Christum Regem. Une rubrique a été ajoutée à la procession pour indiquer qu’on peut y chanter le cantique (moderne) Christus vincit (qui n’avait jamais été utilisé pour ce rite) ou tout autre hymne en l’honneur du Christ-Roi. On lit dans les archives de la commission qu’on voulait employer le rouge parce que cette couleur aurait été employée au Moyen-Age pour cette cérémonie, qu’elle permettra de distinguer la procession du reste de la liturgie de ce dimanche comme de quelque chose sui generis, et que le rouge marque mieux le caractère royal qu’on veut lui conférer car il rappelle la pourpre royale.

Les motifs évoqués pour ce changement de couleur appellent plusieurs remarques. Tout d’abord, la justification par l’histoire pour appuyer le changement de couleur s’est faite sur une idée avancée par un professeur de Théologie pastorale d’un séminaire suisse, sans qu’aucune étude n’ait été en réalité menée sur le sujet. Et pour cause, le rit romain n’a jamais employé le rouge à cette procession. Les couleurs qu’on trouve en usage au Moyen-Age et qu’on peut observer ensuite dans la variété des usages diocésains sont le violet, ou sa variante le bleu (dans beaucoup de diocèses français, le bleu était une couleur de substitution au violet), ou encore, comme à Paris, le noir. Mais jamais on ne trouve une couleur différente pour la procession & la messe qui suit. Le rit ambrosien emploie bien le rouge, mais uniquement pour la messe – pas pour la procession qui se fait en violet. Le rouge du reste est employé pour toute la Semaine Sainte ambrosienne (qui démarre la veille du dimanche des Rameaux par le Samedi in Traditione Symboli) et ce rit lui attribue la symbolique évidente du sang versé dans la Passion, et non un quelconque statut royal.

Le dimanche des Rameaux, Michel Corneille l'Ancien - Musée des Beaux-Arts de Nantes

Distribution des rameaux par un évêque. Tableau de Michel Corneille l’Ancien conservé au Musées des Beaux Arts de Nantes et magnifique témoin des coutumes françaises au XVIIème siècle. Notez le bleu utilisé comme couleur de substitution au violet, la croix voilée, la mitre de pénitence blanche du pontife.

La Commission choisit le rouge pour la procession afin de symboliser le pouvoir royal. Pourtant, le rouge dans le rit romain est le signe de tout autre chose : c’est la couleur du sang versé des martyrs et celle du feu de l’Esprit-Saint, mais jamais du celle du triomphe et de la gloire (qui est le blanc ou le doré).

Il est assez piquant de faire remarquer que la pourpre impériale – couleur royale par excellence – tirait davantage sur le violet que sur le rouge (ce qui est très clair en héraldique européenne) & que bon nombre d’ornements violets en paroisse présentaient justement une nuance purpurine.

La Commission parait avoir appuyé son innovation pour l’emploi de deux couleurs sur la procession de la Chandeleur, qui, dans le rit romain traditionnel, se déroulait en violet alors que la messe qui suivait était en blanc. Notons cependant que la même Commission supprimera plus tard la distinction des couleurs à la Chandeleur et imposera le blanc pour toute cette cérémonie dans le Code des rubriques de 1960. On a beaucoup écrit sur la distinction des couleurs à la Chandeleur, l’hypothèse la plus intéressante montre qu’en fait dans les liturgies médiévales, on ne sort jamais en plein air à l’extérieur de l’église avec des vêtements clairs mais avec des vêtements sombres, pour une simple question de bon sens pratique… Signalons au passage que dans le rit byzantin, la seule distinction dans les couleurs liturgiques se fait entre couleurs claires & couleurs sombres, les unes exprimant la joie, les autres la pénitence. Dans ce rit, le rouge est une couleur claire de fête, le bleu ou le violet sont des couleurs sombres des jours de pénitence, conception qui se retrouvait au Moyen-Age en Occident.

Notons que le chœur où se déroule la bénédiction des rameaux présente, du fait de l’innovation introduite, une curieuse bigarrure de couleurs liturgiques inconnue antérieurement : le célébrant et ses ministres sont en rouge ; si on emploie un pupitre pour la bénédiction des rameaux, il reçoit un voile rouge ; cependant, la croix de l’autel sera voilée de violet, mais l’antependium de l’autel est rouge pour la bénédiction et devra être changé en violet au début de la messe ; le conopée du tabernacle doit être rouge pour la bénédiction et violet pour la messe ; dès la bénédiction des rameaux, la crédence de la messe est déjà préparée et donc un voile huméral violet la recouvre…

Le diacre & le sous-diacre doivent désormais porter des dalmatique & tunique rouges là où jadis ils portaient les chasubles pliées violettes. Il est donc devenu nécessaire désormais aux trois ministres de se changer entre la fin de la procession & le début de la messe (changement qui ralentit forcément la cérémonie). De même que les croix voilées, les chasubles pliées étaient pourtant un signe d’une très haute antiquité qu’employait le rit romain pour signifier la tristesse & le deuil qui accompagnaient aussi cette procession qui commémore le Sauveur marchant vers sa Passion et vers sa mort.

Si l’antienne d’ouverture Hosanna filio David est maintenue à sa place, la première oraison, qui est pourtant attesté dans le Sacramentaire gélasien, est supprimée (curieux pour une réforme qui se posait comme un retour à l’Antiquité liturgique). La lecture du livre de l’Exode est aussi supprimée. Pourtant, cette première lecture était importante pour une compréhension de l’ensemble de la Semaine Sainte en laquelle se rejoue le mystère de notre Rédemption, Rédemption qui avait été autrefois figuré par la délivrance du peuple Hébreu d’Egypte : Vespere scietis quod Dominus eduxerit vos de terra Ægypti : & mane videbitis gloriam Domini. Cette lecture tirée des chapitres 15 et 16 de l’Exode, montre le peuple Hébreu au désert se rebellant contre Moïse & Aaron car ils avaient faim, et l’intervention de Dieu disant qu’il allait faire tomber la manne du ciel pour les nourrir : Ecce ego pluam vobis panes de cœlo, qui a été toujours interprété par la tradition patristique comme une allusion prophétique à l’institution de l’eucharistie le Jeudi Saint. Enfin un autre parallélisme pouvait se lire dans ce texte entre d’une part le peuple qui se rebelle après sa sortie triomphale d’Egypte, et, d’autre part la foule qui réclame la crucifixion du Christ alors qu’elle avait acclamé triomphalement son entrée en Jérusalem quelques jours plus tôt.

Le répons qui tenait lieu de graduel est supprimé. Les deux textes proposés antérieurement au choix du chœur – Collegerunt Pontifices & Pharisæi ou In monte Oliveti, de vraies merveilles par ailleurs sur le plan musical – annonçaient clairement la passion du Christ. Or la volonté manifeste de la Commission pour la Réforme liturgique ici – comme dans la suppression de la prophétie de l’Exode – semble d’avoir été de bannir tout élément non triomphaliste de la cérémonie des rameaux et déconnecter la procession de la messe qui suit.

La réforme de 1955 exige explicitement que les palmes soient bénites non plus à l’autel majeur mais sur une petite table apportée au milieu du chœur & que la bénédiction soit faite face au peuple afin que celui-ci puisse la voir. Le célébrant et ses ministres doivent donc entrer au chœur, faire la génuflexion habituelle à l’autel & à la croix, se retourner et leur faire dos. C’est la première fois dans l’histoire du rit romain qu’est effectué ce changement de focalisation : ce n’est plus l’autel et la croix qui concentrent l’attention, l’impératif se déplace vers le peuple qui doit voir. Outre que dans beaucoup d’églises où le Très-Saint Sacrement est conservé à l’autel majeur, les ministres sacrés doivent lui tourner le dos pour la durée de toute une cérémonie, le fait de placer cette table au milieu du chœur impose de plus quelques contraintes logistiques : une fois les rameaux distribués, il faudra bien la retirer au cours de la cérémonie (mais les rubriques ne le précisent pas). Retenons qu’au nom de la participation des fidèles a été alors introduit un concept totalement nouveau dans l’utilisation de l’espace liturgique, puisque la prière cessait d’être orientée vers Dieu, mais s’orientait vers les fidèles.

Sur le total des 9 oraisons & la préface de l’ancienne liturgie, la liturgie réformée n’en conserve qu’une seule, la cinquième du “canon consécratoire”, Benedic, quæsumus, Domine. La préface très ancienne, qui justement parlait magnifiquement de la royauté universelle du Christ, est étrangement supprimée. Pourtant elle proclamait l’autorité du Christ sur toute créature & tout royaume en des termes admirables, en voici du reste la partie centrale : Qui gloriaris in concilio Sanctorum tuorum. Tibi enim serviunt creaturæ tuæ : quia te solum auctorem et Deum cognoscunt ; et omnis factura tua te collaudat, et benedicunt te Sancti tui. Quia illud magnum Unigeniti tui nomen coram regibus et potestatibus hujus sæculi, libera voce confitentur.

La suppression de 8 oraisons sur 9 a été justifié par la Commission parce qu’elles “étaient un témoignage d’une érudition typique de l’époque Carolingienne”, qui relevait de la vie chrétienne ordinaire mais pas d’une cérémonie en l’honneur du Christ-Roi. Dialectique bien curieuse et bien datée, comme le relève don Stefano Carusi : on comprend mal en effet comment la sanctification de la vie chrétienne ordinaire serait incompatible avec la royauté du Christ ! En effet, les bénédictions supprimées parlaient de l’usage que les fidèles pourront faire au quotidien des rameaux qu’ils reçoivent, indiquaient les bienfaits que générait ce sacramental et son pouvoir contre le démon. Tout cela est désormais oublié.

Pour la bénédiction des rameaux, les nouvelles rubriques prescrivent que le célébrant doit d’abord les asperger d’eau bénite puis imposer l’encens dans l’encensoir et les encenser, il ne doit plus réciter l’antienne Asperges me. Ce changement n’a pas d’importance particulière (encore qu’il y avait quelque avantage pratique à laisser quelque temps à l’encens pour qu’il se mettre à bien brûler), mais est symptomatique de ce que l’on rencontre à maints endroits dans la nouvelle Semaine Sainte, à savoir l’introduction de modifications mineures sans raisons apparentes, ni pratiques, ni théologiques, mais en contradiction avec ce qui se pratique le restant de l’année, ce qui ne peut qu’apporter trouble, confusion, hésitation. En effet, dans le rit romain, l’ordre naturel, le reste de l’année, est toujours : imposition de l’encens – aspersion – encensement, avec récitation de l’antienne Asperges me sans psaume (cf. bénédiction des cierges à la Chandeleurs, bénédiction des cendres, etc…).

Le moment de la bénédiction et de la distribution des rameaux est déplacé. Au lieu de suivre l’évangile, il le précède désormais. Les deux antiennes Pueri Hebræorum sont chantées avec une partie du psaume 23 et le psaume 24, avec reprise de l’antienne tous les deux versets (pratique inconnue par ailleurs dans le rit romain). Notons que les deux psaumes sont étrangement conclus par la petite doxologie Gloria Patri alors que celle-ci est supprimée à toutes les messes & à toutes les processions précédant les messes depuis le dimanche précédent, dimanche de la Passion, suppression ancienne qui – corolaire au voilement des croix et images saintes – marque d’un caractère particulier ce temps de l’année liturgique.

Dans le rit de saint Pie V, le célébrant est encensé après cet évangile, comme après n’importe quel évangile de toute messe solennelle. Dans le rit réformé de 1955, cet encensement est supprimé, contrairement à ce qui se pratique alors le restant de l’année.

La croix de procession ne doit plus être voilée. Ce point introduit une bizarrerie dans la pratique historique du rit romain, puisque le dévoilement des croix se fait le Vendredi Saint dans ce rit, puisque la croix de l’autel reste voilée de violée, puisque la croix de procession est voilée déjà le dimanche précédant, dimanche de la Passion. Le second sous-diacre, crucifère, est désormais revêtu de la tunique (et non plus de la chasuble pliée).

La procession des Rameaux est qualifiée de “solennelle”, quand bien même elle serait célébrée sans diacre & sous-diacre, abus de langage symptomatique que pointe du doigt Mgr Gromier dans sa conférence.

Lors de la procession, les 3 premières antiennes de l’ancien ordo romain (Cum appropinquaret Dominus, Cum audisset populus, Ante sex dies) sont supprimées. Le nouvel ordo propose de commencer par l’ancienne 4ème antienne Occurrunt turbæ, puis la 5ème (Cum angelis & pueris), la 6ème (Turba multa), en ajoute une nouvelle (Cœperunt omnes turbæ).

Le rite très parlant aux yeux du peuple de chanter le Gloria, laus & honor devant les portes fermées de l’église & l’ouverture rituelle de celles-ci est supprimé. Du coup le Gloria, laus & honor se retrouve au beau milieu des nombreux chants de la procession, ce qui diminue radicalement sa saveur toute exceptionnelle (disons ici que l’ouverture de la prison dans laquelle était reclus saint Théodulfe d’Orléans avait été l’occasion de la composition de cette hymne, ce qui n’était pas sans rapport avec l’ouverture des portes de la ville ou des églises pour laisser entrer la procession des Rameaux). Le nouvel ordo ajoute ensuite encore trois antiennes : Omnes collaudant nomen tuum chantée avec le psaume 147 (pourquoi celle-ci reçois un psaume, mystère !), Fulgentibus palmis et la très prolixe Ave, Rex noster. Une rubrique précise enfin qu’on peut faire chanter aussi aux fidèles le Christus vincit ou tout autre chant en l’honneur du Christ-Roi. Cette rubrique n’a pas peu contribué à faire tomber en décadence un peu partout le chant des très belles antiennes processionnelles des Rameaux, qui appartiennent au trésor musical du haut Moyen-Age, remplacées souvent par des compositions vulgaires sans réelle valeur.

Le rite de l’ouverture des portes avec la croix avait une signification profonde et magnifique, qu’on retrouve dans la Semaine Sainte du rit Chaldéen dans un sublime poème de Narsaï datant du Vème siècle, dans lequel le bon larron se présente aux portes du jardin d’Eden gardées fermées par un redoutable chérubin. Le larron lui présente le bois de la vivifiante croix et le chérubin ne peut alors que lui ouvrir les portes du paradis, jadis perdu par le bois de l’arbre de vie. La même idée présidait à l’ouverture par la croix des portes de l’église le jour des rameaux au rit romain : elle symbolisait non seulement l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, mais encore le mystère même de notre Rédemption : par le bois de la croix, le peuple racheté pouvait enfin rentrer au ciel que symbolisait l’église fermée.

Le rit romain de saint Pie V issu des pratiques de la curie romaine avait un peu simplifié ce rite magnifique de l’ouverture des portes de l’église en la confiant au sous-diacre sans l’accompagner de paroles particulières, juste à la fin du chant du Gloria, laus. A Paris, comme dans de très nombreux diocèses, un véritable dialogue s’instaurait entre les chantres et le célébrant, à qui on demandait par 3 fois qui était ce roi de gloire qui se présentait aux portes, avec les paroles même du psaume 23. La question des chantres se faisait à chaque fois de plus en plus pressante et impérieuse, le chant montait à chaque reprise pour finir haut dans l’aigu. Voici du reste le détail de ce dialogue, au cours duquel le célébrant cognait à trois reprises avec la hampe de la croix aux portes de l’église :

Le célébrant :

Attóllite portas príncipes vestras,
& elevámini, portæ æternáles ;
& introíbit Rex glóriæ.
Elevez vos portes, ô princes,
et vous, élevez-vous, portes éternelles,
et il entrera, le Roi de gloire.

Les chantres, de l’intérieur de l’église, demandent :

℟. Quis est iste Rex glóriæ ? Qui est ce Roi de gloire ?

Le célébrant :

Dóminus fortis & potens,
Dóminus potens in prælio :
Attóllite portas príncipes vestras,
& elevámini, portæ æternáles ;
& introíbit Rex glóriæ.
C’est le Seigneur, fort et puissant,
le Seigneur, puissant au combat.
Elevez vos portes, ô princes,
et vous, élevez-vous, portes éternelles,
et il entrera, le Roi de gloire.

Les chantres :

℟. Quis est iste Rex glóriæ ? Qui est ce Roi de gloire ?

Le célébrant :

Dóminus fortis & potens,
Dóminus potens in prælio :
Attóllite portas príncipes vestras,
& elevámini, portæ æternáles ;
& introíbit Rex glóriæ.
C’est le Seigneur, fort et puissant,
le Seigneur, puissant au combat.
Elevez vos portes, ô princes,
et vous, élevez-vous, portes éternelles,
et il entrera, le Roi de gloire.

Les chantres :

℟. Quis est iste Rex glóriæ ? Qui est ce Roi de gloire ?

Le célébrant

Dóminus virtútum,
ipse est Rex glóriæ.
C’est le Seigneur des armées,
c’est lui, le Roi de gloire.

Si la Commission pour la Réforme liturgique avait fait un véritable travail historique, ce beau dialogue, qu’on retrouve un peu partout dans des diocèses dans l’ancienne Europe carolingienne, et qui historiquement appartenait aussi au rit romain avant sa simplification pour l’usage de la Curie, dialogue dans lequel la royauté du Christ est aussi clairement affirmée, n’aurait pu que l’intéresser dans la perspective qu’elle entendait réserver à cette procession. Notons par ailleurs, qu’en de très nombreux endroits et en dépit de sa suppression, ce rite solennel de l’ouverture des portes continue d’être employé dans des procession célébrées aussi bien selon le missel de 1962 que celui de 1970. Il n’est pas toujours facile, surtout en ville ou dans des pays déchristianisés, d’organiser de nos jours de vastes processions des Rameaux dans les rues, or cet élément antique du rit demeure le plus aisé à mettre en place dans bien des cas.

Le rite de l’ouverture des portes étant supprimé, la procession entre simplement dans l’église au chant du répons Ingrediente Domino in sanctam civitatem qui la clôt dans l’ancien rit (répons qu’on doit maintenant entamer au moment précis où le célébrant franchit la porte !!!). Désormais, la fin de la procession est marquée par une nouvelle oraison, qui, absolue nouveauté historique dans le rit romain, doit être chantée face au peuple. Le célébrant doit donc génuflecter devant l’autel comme d’ordinaire, puis monter à l’autel avec les ministres sacrés, se retourner aussitôt et se tenir au milieu sur la plus haute marche de l’autel face au peuple. Les rubriques n’ont pas prévu comment devait se faire dans le détail cette oraison (qui tient le missel pour le célébrant ? normalement ici cela devrait être le diacre et non un acolyte comme semblent le prévoir les rubriques). L’oraison terminée, le célébrant & ses ministres doivent redescendre encore in plano pour faire la génuflexion à l’autel, déposer les vêtements rouges et prendre les vêtements violet pour la messe. 15 ans après, l’un des artisans de la réforme (C. Braga, Maxima Redemptionis Nostrae Mysteria : 50 anni dopo (1955-2005) in Ecclesia Orans, n. 23 (2006)) reconnaissait que cette nouvelle oraison n’avait pas de véritable raison d’être à cet endroit, et rompait l’unité de la célébration. Je pense au contraire que la rupture de la célébration bien marquée en deux parties distinctes a été l’un des buts recherché activement par la Commission. Pour finir sur ce point, c’est outre d’un bien curieux effet de voir se déployer autant de cérémonies pour monter à un autel, lui tourner aussitôt le dos puis redescendre.

Le dimanche des Rameaux à la cathédrale de Westminster, Londres, 1919

Procession des Rameaux à Westminster Cathedral, Londres, 1919.

Seconde partie – La messe des Rameaux

Synopsis de la cérémonie dans le missel de saint Pie V

Dans le rit de saint Pie V, la messe des Rameaux ne comporte qu’une seule particularité, mais elle est d’importance, il s’agit de la façon dont la Passion selon saint Matthieu est chantée. Le rituel du chant de la Passion est en réalité effectué en deux étapes : une première partie – la Passion proprement dite – s’arrête après la mort du Christ et sa sépulture. La fin de la Passion est ensuite chantée et constitue l’évangile même de la messe.

Détaillons ce rite pour mieux le comprendre, puisqu’il va être substantiellement modifié en 1955.

La Passion est chantée par trois diacres, vêtus de l’amict, de l’aube, du cordon, du manipule et de l’étole diaconale. Ils ne sont pas les ministres de la messe et ne se vêtent de leurs insignes diaconaux que le temps de chanter la Passion. L’un des trois diacres, le chroniste, cantile le récitatif de la Passion sur un ton médian. Le second diacre, le Christ, chante les réponses de Notre Seigneur sur un ton grave. Le troisième diacre, la Synagogue, chante dans une voix élevée les réponses de tous les autres personnages (saint Pierre et les apôtres, Caïphe, Ponce Pilate, la foule, etc…). Notons au passage, que depuis au moins le XVème siècle, il est de tradition de parfois confier certaines des réponses de la Synagogue (celles qui impliquent un groupe d’intervenants) à un chœur polyphonique répondant à plusieurs voix (les réponses composées par Victoria sont les plus connues, mais il en existe de plus anciennes ; du reste, c’est à partir de cette distribution qu’est née et s’est progressivement développée l’idée musicale qui aboutira aux passions-oratorios luthériens de J. S. Bach). Cette distribution de la Passion en trois rôles est une particularité du rit romain et ne se retrouve dans aucun autre rit d’Orient ou d’Occident.

Les trois diacres entrent dans le sanctuaire vers la fin du trait, génuflectent devant l’autel et vont directement se tenir dans le lieu où l’évangile est d’ordinaire chanté (donc face au Nord liturgique). Ils ne disent ni le Munda cor meum ni ne reçoivent la bénédiction du célébrant.

Chant de la Passion le dimanche des Rameaux

Chant de la passion par trois diacres sur un ambon antique orienté au Nord

Les trois diacres chantent la Passion selon saint Matthieu presque jusqu’à la fin. Ils s’arrêtent après l’enterrement du Christ (27, 61). Ils quittent alors le sanctuaire.

La dernière partie de la Passion est alors chantée comme l’évangile de toute messe par le diacre de la messe. Après le départ des trois diacres passionnaires, le diacre, le sous-diacre & les acolytes accomplissent tous les rites qui précèdent habituellement la procession de l’évangile : le missel est placé à l’autel côté évangile, l’évangéliaire est placé sur l’autel, l’encens est imposé dans l’encensoir, le diacre dit le Munda cor meum, demande & reçoit la bénédiction du célébrant, puis la procession de l’évangile va à l’endroit où l’on chante celui-ci d’ordinaire, face au Nord liturgique. La seule différence avec la pratique ordinaire tient dans le fait que le diacre ne salue pas ici le peuple par le Dominus vobiscum habituel ni par le chant du titre, mais commence, après l’encensement ordinaire de l’évangéliaire, à chanter le récit là où les trois diacres passionnaires s’étaient interrompus. A la fin de l’évangile, comme à l’ordinaire, le célébrant reçoit et baise l’évangéliaire que lui apporte le sous-diacre puis est encensé par le diacre.

La pause entre la fin de la Passion et le début de cet évangile représente de façon dramatique l’étonnement de la création à la mort du Christ. L’évangile ensuite chanté par le diacre de la messe peut être cantilé sur les tons ordinaires de l’évangile mais le diacre peut employer aussi un ton spécial qui est un chef d’œuvre de la cantilène sacrée, caractérisé par une longue & triste vocalise de plainte au début de chaque verset. Ce ton spécial illustre magnifiquement les pleurs de l’Eglise sur la mort de son divin Maître.

Enfin, petit détail qui aura néanmoins son importance, les fidèles écoutent la Passion debout en tenant en leurs mains leurs rameaux.

Synopsis de la cérémonie dans la réforme de 1955

L’Asperges me, qui normalement précède toute messe solennelle dominicale durant l’année est désormais supprimé. De même, les prières au bas de l’autel sont supprimées, sous le prétexte qu’un autre rite a précédé la messe. Ce changement – qu’on retrouvera le Samedi Saint – sera entériné par le Code des rubriques de 1960 (préparé par la même Commission pour la Réforme liturgique comme on l’a vu en introduction) et appliqué à la Chandeleur & au Mercredi des Cendres.

Dans la réforme de 1955, le texte des Passions a été considérablement raccourci. Pour celle de saint Matthieu, chantée aux Rameaux, les 35 premiers versets ainsi que les 6 derniers versets ont été supprimés. Cette suppression a un effet extraordinaire : désormais, à aucun moment de l’année liturgique les fidèles ne peuvent entendre le récit de la dernière Cène et de l’institution de l’Eucharistie (et cela est resté tel dans le missel de 1962 !!!), ni non plus d’autres épisodes comme la préparation de la Cène, l’agonie au Jardin des Oliviers ou encore la trahison de Judas. Les 6 versets supprimés à la fin – la garde installée par Pilate devant la tombe de Jésus – n’a pas non plus de passages équivalents dans les autres évangiles.

La suppression du récit de l’institution de l’Eucharistie n’est guère compréhensible, d’autant que les archives de la Commission précisent qu’on ne touchera pas à la Passion en raison de son antiquité. Il semble bien que le seul motif n’ait finalement été que de gagner du temps en raccourcissant en ce jour la parole de Dieu de 41 versets, nonobstant les évènements fondamentaux qui y sont rapportés. Sur le plan théologique, il s’agit d’une vraie catastrophe symbolique :

Le rite particulier au chant de la Passion puis à celui de l’évangile de la messe a été presque entièrement éliminé. Les trois diacres sont conservés, mais les cérémonies profondément remaniées sans qu’une logique claire ne se dégage. Les trois diacres arrivent ensemble devant l’autel accompagnés de deux acolytes sans chandeliers où ils disent à voix basse, à genoux & inclinés le Munda cor meum, puis vont demander – à haute voix et non à voix basse – au célébrant sa bénédiction, lequel les bénit – nouveauté dans le rit romain – en disant à voix haute, en utilisant le Dominus sit in corde mis pour la première fois au pluriel. Les diacres vont ensuite faire la génuflexion devant l’autel, puis vont à leurs pupitres et commencent sans encenser. La dernière partie de la passion – qui revenait autrefois au diacre de la messe et servait d’évangile à celle-ci, recevant les cérémonies ordinaire de l’évangile – est purement supprimée, le magnifique ton spécial en guise de lamentation funèbre n’est donc plus entendu.

A chaque fois que les rubriques de 1955 mentionnent la Passion, elles précisent que celle-ci est chantée ou lue. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du rit romain, on introduit la faculté de dire quelque chose au lieu de le chanter, même dans le contexte d’une messe pontificale ou d’une messe solennelle, ce qui autorise un mixage qui était jusqu’alors impossible dans le rit romain : dans une messe chantée, tout ce qui devait être chanté devait l’être, sinon le célébrant disait une messe basse.

De tous temps, dans les petites églises ne disposant pas du personnel nécessaire, la coutume existait, qu’à défaut d’un clergé suffisant, les ministres de la messe pouvait assurer les fonctions des 3 diacres passionnaires, mais l’usage ne devait pas être considéré comme une pratique idéale ou normative. Désormais, la pratique est codifiée par les rubriques de la Semaine Sainte de 1955, qui précisent que lorsqu’il n’y a que deux diacres, la partie du Christ est remplie par le célébrant (quand bien même celui-ci aurait une voix de ténor & non de basse !) qui lui demeure à l’autel, au côté de l’évangile, sans quitter la chasuble, alors que les deux autres diacres chantent sur des pupitres in plano.

Les nouvelles rubriques oublient de préciser comment doivent être habillés les diacres pour chanter la Passion. Dans l’ancienne liturgie, ils étaient tous trois en aubes, amicts, cordons, manipules & étoles diaconales. Du fait que les dalmatiques sont désormais en usage dans la nouvelle Semaine Sainte, certains auteurs ont pensé qu’ils pouvaient être tous trois parés pour cette fonction.

Par ailleurs, les nouvelles rubriques interdisent aux fidèles de tenir leurs palmes à la main, contrairement à la pratique ancienne. On voit là une fois de plus la volonté claire & rationalisante de différencier d’un côté une procession triomphaliste au Christ-Roi et de l’autre une messe pénitentielle de la Passion, là où, à l’instar des Pères de l’Eglise et des autres rits d’Orient & d’Occident, la liturgie romaine ancienne mélangeait habilement les deux aspects du mystère célébré en ce jour. Du reste, on observe dans l’office divin du jour la même imbrication des deux thèmes. Dans l’ancien usage de Paris, remontant au haut Moyen-Age, on constatait une semblable imbrication, y compris même au cours de la procession des Rameaux : on y entremêlait des antiennes et des répons parlant tantôt de l’entrée du Christ à Jérusalem, tantôt de sa passion.

Dans le même ordre d’idée, afin sans doute de montrer qu’on juxtaposait désormais deux cérémonies qui se retrouvaient déconnectées, le nom de ce jour liturgique change dans les nouveaux livres de 1955 : de dimanche des Rameaux, il devient dimanche des Rameaux & second dimanche de la Passion.

Notons enfin quelques modifications mineures apportées à la messe.

Nous l’avons dit pour la bénédiction des palmes, le diacre et le sous-diacre usent pour la messe des Rameaux des dalmatique & tunique – vêtements de joie pour le rit romain – et non plus des vêtements propres aux temps de pénitence : chasubles pliées et, pour le diacre, étole large. La vénérable antiquité de cet usage complètement aboli ultérieurement nécessitera à lui seul l’écriture d’un article spécial sur ce blog qui paraîtra après cette série sur la Semaine Sainte. Notons qu’en 1955, l’usage des chasubles pliées restait obligatoire pour tous les autres jours du Carême, mais se voyait étrangement supprimé au cours de la Semaine Sainte réformée.

Autre modification d’apparence mineure pourtant appelée à des développements subséquents : les nouvelles rubriques suppriment partiellement le système des doublures pour la Semaine Sainte (nouvelle incohérence puisque celles-ci ne sont pas supprimées le restant de l’année, et ce encore en 1962) : le célébrant ne doit désormais plus lire à voix basse les lectures qui sont chantées par un diacre, un sous-diacre ou un lecteur ; en revanche, la rubrique ne supprime pas la doublure des parties chantées par le chœur (introït, Kyrie, Gloria, graduel, trait, Credo, offertoire & communion).

De même, pendant toute la Semaine Sainte, la rubrique précise que tout l’Orate fratres doit être dit à voix haute par le célébrant, alors que le restant de l’année, il continue à ne dire, comme antérieurement, que les deux seuls mots Orate fratres à haute voix, le reste étant poursuivi à voix basse.

Enfin, la rubrique supprime le dernier évangile de la messe, sans que cette suppression soit motivée. Là encore, nous voyons l’introduction d’une dérogation inhabituelle par rapport au restant de l’année, appelée, elle aussi a des développements ultérieurs…

Quelques premières conclusions

La solennité qui entourait la bénédiction des rameaux est sérieusement diminuée : une seule oraison remplace toute une bénédiction consécratoire qui se déroulait au maître-autel même, avec préface, Sanctus et bénédictions sous forme de “canon consécratoire”. Le plan de cette cérémonie qui se calquait sur celui de la messe (introït, épître, graduel, évangile, offertoire, préface, Sanctus, canon, distribution (non des saintes espèces mais des rameaux bénits) avec antienne de communion et envoi final) est remplacé par une structure dans laquelle les éléments sont juxtaposés sans qu’une logique d’ensemble puisse être découverte (chant d’entrée, une seule simple oraison de bénédiction, distribution, évangile).

La distinction des couleurs et la suppression de tout ce qui n’était pas triomphaliste dans la cérémonie des rameaux a généré l’impression de deux offices juxtaposés sans véritable lien ni rapports entre eux, alors qu’une harmonieuse fluidité d’ensemble parait d’avantage régir la cérémonie dans le rit de saint Pie V.

La rédaction des rubriques donne déjà une impression brouillonne, apportant de menues modifications qui étaient sans nécessité véritable, et surtout sans harmonie avec la logique habituelle du rit romain et la pratique ordinaire le restant de l’année. On verra cette impression corroborée par ce qui suivra dans les autres jours de la Semaine Sainte réformée.

*
Voici pour conclure quelques passages de Mgr Gromier sur la réforme des Rameaux et sur quelques autres points que nous avons évoqué ci-dessus, dans le style croustillant qui était le sien. Au delà du style, la portée de l’argumentation fait toujours mouche, il est vrai que le vieux cérémoniaire papal avait du métier…

Mgr Gromier, cérémoniaire papal“Sa terminologie mérite attention ; car un apologiste, patenté pour le reste, nous maintient ici dans l’obscurité. Jusqu’à présent on connaissait le dimanche de la Passion, le dimanche des Rameaux, les lundi, mardi et mercredi de la Semaine Sainte, le Jeudi Saint, in Coena Domini en latin, le Vendredi Saint, in Parasceve en latin et le Samedi Saint. Puisqu’on veut amplifier la solennité de la procession des Rameaux, pourquoi mettre ce dimanche en dépendance de la Passion ; et ne pas lui laisser son vieux nom de dimanche des Rameaux, que tout le monde comprend et qui ne trompe personne ?”

“Pour qualifier la procession des Rameaux, la fonction du vendredi saint et la veillée pascale, les pastoraux emploient l’adjectif solennel, tandis qu’ils s’en privent pour tout le reste. Or la solennité des fonctions liturgiques n’est pas une décoration facultative ; elle tient à la nature de la fonction ; elle résulte de tous ses éléments constitutifs, non seulement de quelques uns. Tous les manuels expliquent quelles sont les fonctions solennelles et les non-solennelles. En dehors de là une soit disant solennité n’est qu’un appât amplificatif, pour faire impression et mieux frapper au but. Il faut savoir que, par habitude assez récente, on fait un usage prodigieux du mot solennel, même pour des actes nécessairement solennels, inséparables de solennité. On se paye de mots en croyant mettre plus de solennité dans la procession des Rameaux que dans celle de la Chandeleur, plus de solennité dans la procession du jeudi saint que dans celle du vendredi (abolie comme nous verrons). Toujours sur la même pente, nous apprenons que la Passion du vendredi saint est chantée solennellement comme si elle pouvait l’être d’autre façon.”

“Pendant toute la semaine sainte, tous les textes chantés par le diacre, le sous-diacre et les chantres sont omis par le célébrant, qui n’a pas à les lire. Peu importe comment chantent les officiants (souvent mal), s’ils se font entendre et comprendre, si les haut-parleurs sont intelligibles. On doit écouter. Voilà une victoire ! On s’en délecte comme d’un retour à l’antiquité, d’un gage pour le futur, d’un avant goût des réformes à venir. Si cela peut intéresser les fidèles habitués à se servir d’un livre, qui, le nez dans leur paroissien, s’isolent de la communauté, sic ! On distingue la lecture seulement oculaire et la lecture labiale. Lire des lèvres ce qu’un autre chante ne se soutient pas. Mais la lecture oculaire peut se soutenir ; elle a un âge respectable ; elle a commencé par nécessité, continuée par utilité, abouti en marque de dignité ; elle fait partie de l’assistance pontificale du Pape et de l’Evêque.”

“Défense de tenir les palmes pendant le chant de la Passion. Au total, elles prétendent créer deux obligations pour deux nouveautés ; elles abolissent une pratique ancienne, qui trouve son explication dans saint Augustin (homélie à Matines avant les Rameaux) : “les rameaux de palmier sont des louanges signifiant la victoire, car le Seigneur était sur le point de vaincre la mort en mourant, et de triompher du diable par le trophée de sa croix.”

“Les pastoraux appellent le Christ Roi en renfort de leur solennelle procession des Rameaux ; comme si on les attendait pour perfectionner une situation à laquelle l’auteur du Gloria laus et honor a pourvu suffisamment, mais pas à leur manière. Certaines retouches à la tradition, qu’on invoque tant par ailleurs sont aussi mesquines qu’audacieuses.”

“L’aspersion de l’eau bénite est un rite pascal devenu dominical. Le Dimanche des Rameaux n’est pas moins dominical que les autres. Quand la Chandeleur arrive un Dimanche elle n’empêche pas l’aspersion. Celle-ci n’a jamais consisté à jeter de l’eau sur une table placée quelque part et portant rameaux et autres objets. Elle consiste à asperger l’autel , le célébrant, le clergé, l’église et les fidèles. Exception faite pour l’évêque, et sauf impossibilité, le lieu propre des bénédictions, comme de la consécration, est l’autel, ou encore son voisinage, comme par exemple la crédence.”

“Pendant des siècles la consécration des huiles se faisait à l’autel, avant de se faire sur une table comme aujourd’hui, et non in conspectu populi. Qu’est-ce que les pastoraux ont ici à montrer au peuple, eux qui de pléthorique qu’elle était, ont rendu squelettique la bénédictions des rameaux ? Une oraison, un signe de croix, un jet d’eau bénite et un encensement ; spectacle peu attrayant. Eux qui suppriment l’aspersion dominicale, véritable méfait liturgique, admettent volontiers que le célébrant parcours l’église pour asperger les rameaux tenus par les fidèles, puis refasse le même chemin pour les encenser.”

“Un pastoral professeur de séminaire suisse, proclame un jour que le rouge est la couleur du triomphe. On devait lui répondre : vous vous trompez beaucoup, tant que le blanc sera la couleur de Pâques, de l’Ascension, de la Fête-Dieu. Mais non aussitôt dit aussitôt fait ; la couleur pour les rameaux sera le rouge, le violet restant pour la messe. Tout le monde ne pense pas comme le professeur. Le rit romain employait le violet depuis qu’il s’en sert. Le rit parisien et celui de maints diocèses, employait le noir jusqu’au milieu du XIX siècle. Quelques rits employaient le rouge pour les rameaux et la messe. Les uns insistaient sur le deuil les autres sur le sacrifice sanglant. Mais chacun gardait la même couleur : personne n’eût jamais l’idée d’en changer. Car tout l’office du dimanche des rameaux est un mélange de pièces triomphales et passionnelles. Depuis matines jusqu’à vêpres incluses, y compris la messe, on trouve que le nombres de pièces passionnelles surpasse de peu celui des pièces triomphales. Quand deux choses sont ainsi mélangées, aucune séparation ne s’impose. Le professeur suisse a cru s’illustrer en imitant le raisonnable changement de couleur qui se fait à la chandeleur ; mais son pastiche n’est qu’une chétive succursale de la moderne fête du Christ Roi.”

“La distribution des rameaux, lisons-nous, se fait suivant la coutume. N’en déplaise aux pastoraux, avant la coutume, il y des règles à observer. Comme le célébrant, s’il n’est pas l’unique prêtre, reçoit les cendres et son cierge des mains du plus digne du clergé, ainsi doit-il recevoir son rameau. S’il ne le reçoit pas, il sera sans rameau à la procession. Là-dessus de graves rubricistes se sont demandés si les pastoraux voulait que le célébrant ne portât pas de rameaux à la procession, parce qu’il aurait représenté le Christ qui n’en portait pas. L’hypothèse, en tout logique, conduisait à faire monter le célébrant sur une ânesse. Heureusement la pastorale s’est reprise en consentant au rameau oublié.”

“Elle, qui réduit à sa plus simple expression la bénédiction des rameaux, ne s’est pas privé d’en allonger la distribution, attendu la surabondance des chants destinés à cette action. Tandis que la longueur de la bénédiction paraissait énorme, cette pléthore ajoutée est censée pouvoir ne pas suffire au besoin.”

“Le porteur normal de la croix de procession est le sous diacre, toutes les fois que le célébrant n’a pas besoin de lui, en portant le Saint Sacrement, ou pour les fonts baptismaux. Un sous-diacre supplémentaire en qualité de porte croix n’a de raison que si le sous-diacre est empêché comme ci-dessus.”

“Pendant deux semaines, la croix de l’autel reste voilée ; bien que voilée on l’encense, on la révère par génuflexion ou inclination profonde. Il est défendu de la dévoiler sous aucun prétexte. Au contraire la croix de procession, succédanée de la croix d’autel, se porte dévoilée à la procession ; au départ et au retour de celle-ci on voit deux croix, l’une voilée, l’autre dévoilée. Que peut-on y comprendre ?”

“Le désordre augmente au retour de la procession. Aller au devant d’un grand personnage, l’accompagner aux portes de la ville qui sont fermées, s’y arrêter pour le complimenter et l’acclamer, enfin ouvrir pompeusement les portes en son honneur, voilà qui a toujours été un des plus grands hommages possibles ; mais il ne convient pas au génie créateur des pastoraux.”

“On ne peut qualifier que de vandalisme le fait d’arracher le Gloria laus et honor de sa place à la porte de l’église, pour le mêler à tout le bagage musical processionnel presque triplé de longueur, car lésinerie et gaspillage du temps vont de pair. Donc point d’arrêt devant la porte, fermée puis ouverte ; la croix de procession dévoilée pour la magnifier, on la galvaude en lui refusant la vertu de faire ouvrir la porte. Tout cela en dépit du cérémonial ancien et moderne et puis avec quel profit ? Les rubriques pastorales affectionnent l’expression : rien n’empêche que, nihil impedit quominus. Ici elles s’en servent pour lâcher la bride aux fidèles qui pourront chanter l’hymne Christus vincit, ou autre chant en l’honneur du Christ Roi. Tolérance qui aura naturellement ses suites ; les fidèles dament le pion du clergé, ils ont le choix des chants et de langue ; s’ils chantent au Christ Roi, ils aimeront à chanter à sa mère qui est reine. Autant de désirs, de souhaits éminemment pastoraux.”

“La rubrique romaine disait : quand la procession entre dans l’église, on chante Ingrediente Domino, la rubrique pastorale dit : quand la procession entre dans l’église, au moment où le célébrant franchit la porte, on chante Ingrediente Domino. On ne fait nul cas de la porte au retour de la procession ; maintenant on guette le passage de la porte par le célébrant qui semble identifié avec le Christ entrant à Jérusalem.”

“Entre la procession et la messe on nous enrichit d’une oraison finale et récapitulative, avec des modalités défectueuses ; le célébrant n’a pas besoin de monter à l’autel, surtout en lui tournant le dos, exprès pour chanter une oraison et redescendre aussitôt. A-t-on jamais vu cela après les processions des rogations ? Enfin dans le cas présent, tenir le livre devant le célébrant appartient au diacre et sous-diacre, non à un clerc.”

“Autrefois on appelait Passion le chant évangélique de la Passion, et évangile la fin de la Passion chantée à la manière de l’Evangile. Aujourd’hui les deux parties réunies s’appellent histoire de la Passion, ou encore Evangile de la Passion et de la mort. Un tel progrès pastoral en vaut la peine ! Les chasubles pliées sont une des caractéristiques les plus anciennes du rite romain ; elles remontent au temps où tout le clergé portait la chasuble, et furent conservées […] pour la plus austère pénitence. Leur abandon fait mentir les peintures des catacombes : c’est une perte immense, un outrage à l’histoire et, à […] tors, dit-on, on aurait donné cette explication proportionnée au méfait : on ne trouve pas facilement des chasubles pliées. Or c’est juste le contraire : on trouve partout des chasubles violettes, qui peuvent se plier, tandis que les dalmatiques violettes sont beaucoup moins répandues. En outre on a toujours la ressource de servir en aube.”

“Les pastoraux aiment retrancher quelque chose au début ou à la fin de la messe. Leurs coupures outre le peu d’instants qu’elles font gagner, sont plutôt insignifiantes, mais surtout elles leur servent de tremplin pour de nouveaux bonds sur leur voie réformatrice. Ainsi donc ni le psaume Judica me, ni confession avant la messe des Rameaux et du samedi saint, parce que précédée d’une autre cérémonie ; mais on voudra autant pour la messe de la Chandeleur, des Cendres, une messe de mariage, de funérailles, une messe précédée de communion. Du début passons à la fin. Aux Rameaux, aux Jeudi et Samedi saints, l’indésirable dernier Evangile est omis ; parfait, mais en vertu de quel principe ? Au Jeudi Saint la bénédiction est omise, parce que la cérémonie n’est pas achevée ; on voudra faire autant pour la Fête Dieu, et chaque messe suivie d’une procession du Saint Sacrement.”

“Lorsque s’introduit l’usage de faire chanter la Passion dialoguée par trois diacres supplémentaires, plutôt en forme de leçon qu’en forme d’Evangile, on réservera la fin de la Passion pour être chantée, sous forme d’Evangile, par le diacre du célébrant, afin de ne pas tomber dans l’absurdité du diacre qui ne chante pas l’Evangile. Les trois diacres commençaient et terminaient la Passion sans cérémonies, comme aux leçons ; le seul diacre au contraire faisait les cérémonies habituelles de l’Evangile. Cela tenait debout, venait de la chapelle papale. Ainsi le diacre est évincé par les trois de la Passion, laquelle ne fait plus qu’un avec l’Evangile ; le Munda cor meum et la bénédiction d’avant l’Evangile passent avant la Passion ; encensement du livre, baiser du livre, encensement du célébrant disparaissent. Ces trois gestes succombent à la mentalité pastorale ; car pour elle il n’y a pas d’Evangile, il y a seulement une histoire, histoire de la Passion ; or à défaut d’Evangile, il n’y a pas d’évangéliaire ; par conséquent on n’encense pas le livre d’histoire, on ne le fait pas baiser, on n’encense pas celui qui ne l’a pas baisé.”

“Continuons à glaner. Les livres de la passion-évangile viennent comme ils peuvent ; on n’en parlera que le vendredi saint. Les pastoraux ignorent comment se porte l’évangéliaire ; pourquoi il doit y avoir trois acolytes d’accompagnement, au lieu de deux ; que le diacre agenouillé pour dire le Munda cor meum n’a pas à s’incliner ; ils nous répètent à satiété que la passion-évangile est chantée ou lue. Du reste toutes leurs rubriques sont rédigées de manière à faire croire que, à volonté, on peut lire dans un office chanté ou chanter dans un office lu, on peut choisir ce qu’on veut chanter et laisser ce qu’on ne veut pas, on peut faire des offices à moitié chantés, à moitié lus, on peut amalgamer chant et lecture. Tel est un des fléaux redoutables en ce moment, avec celui de la langue vulgaire. Il n’est pas très nouveau et reçut même un appui par les décisions prise ces dernières années, que dans les ordinations chantées, l’évêque ordinant interrompe le chant des préfaces pour dire sans chanter les paroles essentielles ; car, paraît-il, le chant nuit à l’attention requise.”

“La Passion selon les quatre évangélistes englobait l’institution de l’Eucharistie, tant parce qu’elle y sert d’introduction, tant parce qu’elle ne peut trouver sa meilleure place que dans la messe. Les pastoraux pressés quand ils veulent, pensent autrement, ils expulsent l’institution de l’Eucharistie. Celle-ci par conséquent, est toute l’année exclue de la liturgie dans l’Eglise romaine, sans doute pour la meilleure instruction des fidèles.”

*
Plan

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

La réforme de la Semaine Sainte de 1955 – Présentation générale

La réforme de la Semaine Sainte de 1955Tous ceux qui s’intéressent aux antécédents de la réforme liturgique de 1969 ne manquent pas de s’intéresser aux deux grandes réformes qu’à connu le XXème siècle, à savoir la réforme du bréviaire conduite sous saint Pie X en 1911 et celle de la Semaine Sainte menée sous le Pape Pie XII en 1955, quelques années avant le Concile Vatican II.

A l’approche de la Semaine Sainte, il parait intéressant d’examiner le détail de ce qui a été modifié lors de la réforme de 1955. Si dans le monde traditionnel, beaucoup savent confusément qu’une réforme de la Semaine Sainte a eu lieu en 1955, peu connaissent ce qui a exactement été réformé et comment. Promulguée par le décret Maxima redemptionis nostrae mysteria de la Sacrée Congrégation des Rites le 16 novembre 1955, la Semaine Sainte réformée témoigne de l’activité de réforme liturgique qui précéda immédiatement le concile et engendra le rit de 1969.

Quoique le décret de réforme Maxima redemptionis nostrae mysteria émana de la Sacrée Congrégation des Rites, celle-ci avait été élaborée en réalité par la Commission pour la Réforme liturgique, commission instituée en marge de ladite Congrégation – jugée trop conservatrice – au printemps de 1948 par Pie XII. La Commission pour la Réforme liturgique comportait 8 membres sous la présidence du cardinal Clemente Micara, puis du cardinal Gaetano Cicognani. Son but était de proposer des évolutions en matière liturgique dans l’esprit de l’encyclique Mediator Dei. La principale cheville ouvrière de la commission fut son son secrétaire, Mgr Annibale Bugnini, nommé dès la création en 1948 et qui resta à ce poste jusqu’en 1960.

Les premiers travaux de la commission aboutirent aux nouvelles dispositions pour la célébration de la Vigile pascale en 1951, puis la commission réalisa la création de la nouvelle Semaine Sainte de 1955. La même année, sous l’effet des travaux de ladite commission, des changements intervinrent également dans les rubriques de la messe & de l’office, entraînant la suppression de presque toutes les octaves et des vigiles des fêtes, même de celles remontant à une haute antiquité, abolissant les premières vêpres de beaucoup de fêtes, ce qui éloigna encore plus le bréviaire de saint Pie X des traditions universelles des Eglises chrétiennes qui restent fidèles à la définition du jour biblique (le jour liturgique commence la veille au soir dans la liturgie synagogale qui a engendré les liturgies chrétiennes primitives, lesquelles comptent selon le principe de la Genèse : “Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour” (Genèse 1, 5)). La Commission pour la Réforme liturgique fut responsable aussi du nouveau Code de Rubriques de 1960, lequel conduisit aux nouvelles éditions du Bréviaire Romain de 1961 et du Missel Romain de 1962. L’ensemble des modifications apportées à la liturgie entre 1951 et 1960 par la Commission de la Réforme liturgique est intéressant à analyser pour comprendre dans quelle mesure ses travaux pouvaient préfigurer les réformes subséquentes des années 60. A ce titre, l’étude des réformes de la Semaine Sainte de 1955 pourrait se révéler particulièrement intéressant.

Le public anglophone dispose depuis mars 2009 d’une excellente série de 11 articles sur ce sujet rédigés par Gregory DiPippo pour le New Liturgical Movement. Les italiens bénéficient quant à eux d’une tout autant remarquable étude menée par don Stefano Carusi, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur, parue sur Disputationes Theologicæ. Les lecteurs français ne pouvaient se faire une idée de ce qui a été changé qu’au travers de la conférence donnée en 1960 par Mgr Gromier, cérémoniaire papal & éminent liturgiste (connu entre autres pour ses commentaires du Cérémonial des Evêques) qui détaille les absurdités des nouvelles rubriques & de certains des nouveaux rites alors institués, conférence publiée par le passé sur ce site. La bouillonnante conférence orale de Mgr Gromier, de par sa nature, n’organisait toutefois pas la matière analysée de façon très structurée.

Notre propos se bornera dans les jours qui suivront à simplement reprendre ces trois sources & à les synthétiser pour le public francophone, selon le plan ci-après que nous nous proposons de développer :

Présentation générale
1ère partie – Le dimanche des Rameaux
2nde partie – Les Lundi Saint, Mardi Saint & du Mercredi Saint
3ème partie – L’office des Ténèbres
4ème partie – Les autres heures de l’office divin durant le Triduum
5ème partie – La messe du Jeudi Saint & le Mandatum
6ème partie – La messe des Présanctifiés le Vendredi Saint
7ème partie – La vigile pascale
8ème partie – L’office divin du jour de Pâques
9ème partie – Les horaires des offices durant la Semaine Sainte
10ème partie – Les lectures bibliques de la Semaine Sainte
11ème partie – La Vigile de la Pentecôte
12ème partie – La réforme de 1955 & la réforme post-conciliaire – Conclusions générales

Intronisation du nouvel Archevêque Majeur de Kiev

Інтронізація новообраного Глави УГКЦ

En complément à notre précédent article, voici un reportage des magnifiques cérémonies de l’intronisation qui s’est déroulée hier, dans la nouvelle cathédrale patriarcale de la Résurrection du Christ à Kiev, de Sa Béatitude Sviatoslav comme chef de l’Eglise catholique Ukrainienne.

AXIOS ! AXIOS ! AXIOS !

Voici par ailleurs des photos de la cérémonie, publiées sur Facebook par le R.P. Petro Balog, op, qui nous a très aimablement autorisé à les diffuser :

Emouvante photo : l’ancien et le nouvel Archevêque Majeur (Sa Béatitude le cardinal Lubomyr Husar a dû renoncer à ses fonctions en février dernier pour raisons de santé.

Le nouveau prélat donne sa bénédiction pontificale avec le dikerion & le trikerion, qui symbolisent à la fois les deux natures du Christ & la Sainte Trinité.

Programme du troisième dimanche de Carême

Le Christ chasse un démon muet

> Catéchisme sur le Carême

Saint-Eugène, le dimanche 27 mars 2011, grand’messe de 11h.
(Répétition samedi 26 mars à 18h, précédée du chant des 1ères vêpres du dimanche à 17h30)

Télécharger le livret de cette messe au format PDF.

Le nouvel Archevêque Majeur des Ukrainiens vient d’être élu & n’a que 40 ans

AXIOS, AXIOS, AXIOS !

Le Synode de l’Église ukrainienne catholique, regroupant 40 évêques de l’Ukraine et de l’étranger (Europe de l’Ouest, Etats-Unis, Canada, Brésil, Argentine et Australie), a élu son nouvel Archevêque Majeur le 23 mars dernier. Rome vient d’approuver aujourd’hui le choix du Synode ukrainien. Mgr Sviatoslav Shevchuk, jusqu’à présent administrateur apostolique du diocèse de la Protection de la Mère de Dieu à Buenos Aires a donc été choisi comme nouveau chef de l’Eglise catholique ukrainienne, à la surprise générale. Agé de 41 ans seulement, Sa Béatitude Mgr Shevchuk est l’un des 3 plus jeunes évêques de toute l’Église catholique, et est connu par ailleurs pour être un théologien réputé.

L’intronisation du nouvel Archevêque Majeur de Kiev et de Galicie aura lieu dimanche 27 mars prochain à 10h en la cathédrale patriarcale de la Résurrection du Christ à Kiev. Il succèdera à Sa Béatitude le cardinal Lubomyr Husar, dont il avait été le secrétaire dans le passé, et qui a renoncé à ses fonctions pour raison de santé. La jeunesse du nouveau prélat rappelle l’admirable & héroïque figure de Sa Béatitude le cardinal Josyf Slipyj (1892 † 1984) qui avait été appelé aux mêmes fonctions en 1944 à l’âge de 52 ans & avait dû subir les prisons staliniennes. Le nouveau prélat sera probablement élevé au cardinalat dans les prochaines années et deviendrait alors le plus jeune cardinal du Sacré Collège.

L’Eglise ukrainienne catholique compte plus de 5 000 000 fidèles. Elle est la principale Eglise catholique de rit byzantin et fut établie lorsque la Métropole de Kiev choisit d’entrer en communion avec le Pape de Rome lors de l’Acte d’Union de Brest de 1595-1596. Elle fut supprimée par le pouvoir communiste en 1946, qui forçat le clergé & les fidèles à intégrer l’Eglise orthodoxe russe. Reconstituée en 1989, la restitution de ses biens spoliés en 1946 (monastères, églises, écoles) au profit de l’Eglise orthodoxe est encore une question douloureuse de nos jours en Ukraine (ci-contre, la nouvelle cathédrale patriarcale de la Résurrection du Christ à Kiev). La hiérarchie orthodoxe s’oppose également au principe du transfert du siège de cette Eglise ukrainienne catholique à Kiev, dans la cité même où le christianisme est né sur la terre russe (transfert effectué en 2005), de même qu’à l’érection de l’Archevêché Majeur en Patriarcat. Dans la pratique, bon nombre de fidèles ukrainiens ont pris déjà l’habitude de désigner leur primat sous le titre de patriarche.

Biographie
Sa Béatitude Sviatoslav Schevchuk est née le 5 mai 1970 à Styj dans la région de Lviv.
Il a été ordonné prêtre le 26 juin 1994.
Il détient un diplôme en théologie morale à l’Université Pontificale de Saint Thomas d’Aquin à Rome (1999).
Il a occupé divers postes, parmi lesquels: préfet du Séminaire du Saint-Esprit de Lviv (1999-2000), vice-doyen de la Faculté de théologie de l’Académie de théologie de Lviv (2001), vice-recteur du Séminaire du Saint-Esprit à Lviv (2000-2007) et puis recteur du même séminaire (2007).
Le 14 janvier 2009, le Saint-Père le nomme évêque titulaire de Castra de Galba et auxiliaire de l’éparchie de la Protection de la Mère de Dieu à Buenos Aires (Argentine) & a reçu le sacre épiscopal à Lviv le 7 avril 2009.
Le 10 mars 2010, il a été nommé Administrateur Apostolique du siège vacant de l’éparchie de la Protection de la Mère de Dieu à Buenos Aires (Argentine).

Sources : Religious Information Service of Ukraine & Annales Ecclesiæ Ucrainæ

Programme du IIIème dimanche de Carême – Vénération de la Croix – ton 3

Paroisse catholique russe de la Très-Sainte Trinité, le dimanche 27 mars 2011 du calendrier grégorien – 14 mars 2011 du calendrier julien, divine liturgie de saint Basile le Grand de 9h15.

Dimanche du ton III de l’Octoèque. En ce troisième dimanche de Carême, le rit byzantin présente aux fidèles la vénération de la sainte & vivifiante Croix. Cette tradition, qui tire son origine de l’Eglise de Jérusalem, connaît son exact équivalent le Vendredi Saint dans le rit romain avec le rite de l’adoration de la Croix.

A la petite entrée :
1. Tropaire du dimanche, ton 3 : Que les cieux se réjouissent, * que la terre exulte d’allégresse, * car le Seigneur a fait merveille * par la force de son bras, * terrassant la mort par sa propre mort * et devenant d’entre les morts le premier-né : * du sein de l’Enfer il nous a tous sauvés, * accordant au monde la grâce du salut.
2. Tropaire de la Croix, ton 1 : Sauve, Seigneur, ton peuple, * et bénis ton héritage, * accorde aux chrétiens orthodoxes * la victoire sur les ennemis, * et garde ton peuple ** par ta Croix.
3.. Gloire au Père, & au Fils, & au Saint-Esprit. Et maintenant, & toujours, & dans les siècles des siècles. Amen.
4. Kondakion de la Croix, ton 7 : Désormais le glaive de feu ne garde plus la porte de l’Eden, * car le bois de la Croix l’empêche de flamboyer ; l’aiguillon de la mort est émoussé, * la victoire échappe à l’Hadès ; * Dieu Sauveur, tu es venu dire aux captifs de l’Enfer : * Entrez à nouveau dans le Paradis.
A la place du Trisaghion, on chante en ce jour :
Devant ta Croix, nous nous prosternons, ô Maître, & ta sainte Résurrection, nous la chantons.
Prokimen
De la Croix, ton 6 :
℟. Sauve, Seigneur ton peuple, et béni ton héritage (Psaume 27, 9).
℣. Vers Toi, Seigneur, j’appelle : mon Dieu, ne reste pas silencieux en face de moi (Psaume 27, 1).
De saint Grégoire Palamas, ton 1 :
℟. Ma bouche annonce la sagesse, & le murmure de mon cœur, l’intelligence (Psaume 48, 4).
Alleluia
De la Croix, ton 8 :
℣. Souviens-toi de ta communauté, que tu as acquis à l’origine. (Psaume 73,2)
℣. Et Dieu notre Roi depuis l’éternité, a réalisé notre salut au milieu de la terre. (Psaume 73,12)
Mégalinaire de la liturgie de saint Basile le Grand :
En toi se réjouissent, * ô Pleine de grâce, * toute la création, * la hiérarchie des anges * et la race des hommes. * Ô Temple sanctifié, * ô Jardin spirituel, * ô Gloire virginale, * c’est en toi que Dieu s’est incarné, * en toi qu’est devenu petit enfant * Celui qui est notre Dieu avant tous les siècles. * De ton sein il a fait un trône, * il l’a rendu plus vaste que les cieux. * Ô Pleine de grâce, * toute la création se réjouit en toi, ** gloire à toi.
Verset de communion
De la Croix : Fais lever sur nous la lumière de ta face (Psaume 4, 7). Alléluia, alléluia, alléluia.

Newman et la Liturgie

Lorsqu’on parle aujourd’hui de John Henry Newman, on voit généralement le penseur, le théologien, le pasteur peut-être aussi ; en bref, celui qui, en 41 volumes, a touché à tous les domaines de la théologie, du dogme chrétien et de la spiritualité. Rarement, on fait allusion à la sensibilité liturgique de cet auteur prolifique.

Bien sûr, une fois catholique, Newman a suivi rigoureusement la liturgie telle qu’elle est prévue dans le missel, le bréviaire et le rituel. Mais on oublie souvent que le cadre de toute sa réflexion théologique, comme du chemin qui l’amènera finalement à Rome, a été la célébration liturgique et la découverte progressive de ses sources et de ses développements ultérieurs.

Pour synthétiser l’attitude de Newman vis-à-vis de la liturgie, nous pouvons dire que, sans être proprement un liturgiste, il a développé, pendant toute sa vie, un grand sens de la liturgie, sans pour autant se livrer à des études spécialisées et systématiques de celle-ci.

I. La liturgie anglicane au XIXe siècle

Si nous voulons comprendre le développement de la sensibilité liturgique de Newman, nous devons d’abord faire un détour par la liturgie anglicane telle qu’il l’a connue dans sa jeunesse, ainsi que pendant les dix-sept ans où il a exercé le ministère dans son église nationale.

a) L’œuvre d’un seul homme

Si le schisme anglican a été, bien sûr, le fait de la décision du Roi Henry VIII, décision liée à ses frasques conjugales et extraconjugales, nous pouvons dire que la « réforme anglicane » elle-même fut l’œuvre d’un seul homme : Thomas Cranmer, archevêque de Canterbury, et que son véhicule a été la liturgie. Cranmer était, pour l’époque, un homme d’une immense culture liturgique. Avec un rare brio, il est devenu l’artisan du livre qui, plusieurs siècles durant, allait rythmer la vie de l’église d’Angleterre et servir de modèle aux autres provinces de ce qui sera plus tard la « Communion anglicane ». Ce livre, le Book of Common Prayer (le Livre de la Prière commune), est une compilation en un volume des trois manuels cités plus haut : missel, bréviaire et rituel, auxquels on peut ajouter aussi le catéchisme.

Publié pour la première fois sous le règne d’Edouard VI, en 1549, révisé en 1552, ce livre fut publié dans la forme qui devait s’imposer en 1662, sous la Reine Elisabeth Ière. Les convictions protestantes de l’auteur, plus zwingliennes que luthériennes, s’expriment avant tout dans le rite eucharistique et dans les Trente-neuf articles de Religion, en fin de volumes, auxquels doit souscrire toute personne qui fait profession de foi anglicane. Ces mêmes articles qui feront l’objet d’une interprétation du Tract 90, qui mena à la suspension de la publication des « Tracts for the Time » par Newman et ses amis.

b) Une liturgie simplifiée et plus « scripturaire »

Trois éléments caractérisent l’œuvre liturgique de Cranmer : l’élimination, dans les offices, de ce qui n’est pas directement issu de l’Ecriture, la lecture systématique de la Bible et la simplification du rythme des célébrations.

Ainsi, l’Office divin est réduit à deux offices : Morning Prayer (prière du matin), appelé aussi Matins et Evening Prayer (prière du soir) appelé couramment Evensong. Le premier est une compilation des offices de matines et de laudes, le second de vêpres et de complies. Outre psalmodie et les cantiques, ils comprennent chacun la lecture de deux chapitres complets d’un livre de l’Ecriture : le premier issu de l’Ancien Testament, l’autre du Nouveau.

Matins et Evensong étaient destinés à devenir les offices paroissiaux par excellence. L’introduction au Prayer Book recommande aux curés de les célébrer quotidiennement dans leur église, en présence du peuple. L’office de Holy Communion ou encore Eucharist, en évitant soigneusement le terme « Messe », quant à lui, ne doit être célébré qu’occasionnellement, normalement quatre fois par an, après Matins et sans aucune solennité. L’image du Vicar[1] idéal se trouve admirablement décrite dans le long poème de George Herbert, édité en 1652 : « The Country Parson ». Il s’agit surtout d’une description quelque peu idéalisée de la vie pastorale anglaise, par un homme lui-même d’une grande sainteté et qui, en raison de sa mort précoce, n’a pu exercer le ministère que pendant trois ans. La réalité, dans les deux siècles qui suivront, fut toute autre.

c) Liturgie et clergé anglicans aux XVIIIe et XIXe siècle

La situation spirituelle et pastorale de la majorité du clergé anglican aux XVIIe et XIXe siècle peut sans doute se décrire en deux mots : embourgeoisement et relativisme. Le système des bénéfices et privilèges liés aux paroisses faisait de l’état clérical une situation très enviable pour beaucoup de cadets de familles. On assistait même, parfois, à un phénomène assez surprenant : le Seigneur du lieu était lui-même le curé de la paroisse et exerçait ainsi la fonction de squarson, une contraction de squire, le châtelain, et parson, le curé. Par ailleurs, les petites paroisses, pauvres en revenus, étaient souvent occupées par des gens à la formation intellectuelle et spirituelle, de même que, souvent, les vertus morales, étaient aussi pauvres que le milieu dans lequel ils vivaient. La pensée rationaliste du XVIIIe siècle et la conception réductrice de l’Eglise comme la « conscience morale de l’Etat » finissent à dépeindre une vie pastorale décadente. Beaucoup de paroisses, même, n’avaient plus de ministre résident.

Les célébrations liturgiques deviennent, bien sûr, le reflet de cet état de choses : elle se réduit, en dehors des mariages, baptêmes et funérailles, à un long office de Matins le dimanche, où le sermon, long et parfois ennuyeux, n’est qu’une longue moralisation sans appui théologique ou spirituel particulier. Parfois, un petit orchestre de cuivres, plus souvent que l’harmonium, accompagne les hymnes.

Les offices de Matins et d’Evensong continuent à être chantés avec une certaine solennité dans les cathédrales et les églises majeures. En témoignent les chefs-d’œuvre liturgiques laissés par de nombreux compositeurs anglais, mais là aussi, l’esthétique et le goût du beau prend le pas sur la ferveur religieuse. L’Eucharistie, quant à elle, reçoit la portion congrue dans les célébrations. On comptait de nombreuses paroisses de campagne où Holy Communion n’avait plus été célébrée depuis plusieurs années. Et lorsqu’elle l’était, seul un tout petit nombre de fidèles y assistaient.

d) Un renouveau évangélique

Un mouvement va cependant se faire jour, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, auquel on donnera le nom de « Renouveau évangélique ». En Angleterre, son principal artisan est un prêtre anglican, John Wesley. Il mettra en exergue la justification par la foi, la croix comme moyen de rédemption et la piété personnelle comme essentielle à la vie de foi. Même s’il rompra plus tard avec son église d’origine, le mouvement qu’il a initié, appelé « méthodisme » aura une influence majeure sur le renouveau spirituel de l’Eglise d’Angleterre. Ses héritiers subsistent dans la branche dite evangelicals de l’anglicanisme. Le Révérend Mayers, dont le rôle sera décisif dans la première conversion de Newman, était un éminent représentant de ce courant.

e) Une religion biblique

Pour compléter le tableau, j’aimerais vous donner une image de l’anglican moyen du XIXe siècle. Pour le P. Louis Bouyer, dans son ouvrage : « Newman, sa vie sa spiritualité », la famille Newman en était l’archétype. Voici la description qu’il nous en livre :

La religion de la Bible est à la fois le titre admis et la meilleure définition de la religion anglaise. Celle-ci ne consiste pas en des rites ou des crédos, mais principalement dans le fait de lire la Bible à l’église, en famille, en privé. Je suis bien loin de sous-estimer la connaissance de l’Ecriture qui est ainsi apportée directement à la population. En Angleterre, au moins, elle a compensé jusqu’à un certain point ce qui a été perdu de grand et de capital dans le christianisme. En fait, la répétition réitérée, suivant un ordre fixé dans les offices publics, des paroles des auteurs inspirés sous l’une et l’autre alliances, et ceci dans un anglais grave et majestueux, a été un grand bienfait pour notre peuple. Il y a accordé les esprits aux pensées religieuses, il lui a donné un haut idéal moral ; il lui a rendu le service d’associer la religion avec des compositions qui, même humainement considérées, sont parmi les plus sublimes et les plus belles qui aient jamais été écrites ; plus spécialement, il lui a imprimé l’idée de tout ce que la divine Providence a fait pour l’homme, de sa création à sa fin, et, par-dessus tout, les paroles, les actions, les souffrances sacrées de Celui en qui se trouvent le centre de tous les effets de la Providence de Dieu.[2]

II.- Liturgie et Mouvement d’Oxford

On a souvent associé le renouveau liturgique dans l’Eglise d’Angleterre au XIXe siècle avec le ritualisme. Or, le mouvement tractarien, dont Newman fut l’une des chevilles ouvrières, n’a manifesté aucun intérêt pour les cérémonies ou les innovations rituelles. Ses membres se sont surtout concentrés sur un retour au Prayer Book, dans ce qu’il recommande et prescrit, mais aussi dans les possibilités qu’il offre. De manière presque ironique, ces pratiques étaient déjà considérées comme de dangereuses innovations par les tenants de l’église établie, en particulier leur souci d’arriver à une célébration fréquente de Holy Communion.

Le précurseur du renouveau liturgique dans l’église d’Angleterre fut sans doute Charles Lloyd. Ce « don » d’Oxford a donné, en 1804, une conférence sur les origines du Prayer Book, en démontrant combien la réforme anglicane était davantage luthérienne que calviniste. Devenu Regius Professor of Divinity, il réunit autour de lui un petit nombre de collègues pour des conférences privées sur le même sujet. Newman n’était sans doute pas du nombre, mais il en eut sans doute quelques échos par deux de ses confrères et futurs compagnons de combat, Pusey et Richard Hurrel Froude.

En 1832, William Palmer publia un livre intitulé Origines liturgicæ. L’enthousiasme que manifestait l’auteur pour les différents livres liturgiques devait être le prélude à la réimpression d’un grand nombre de ceux-ci à Oxford. Pour l’étude, bien sûr, mais sans compter que l’influence de leur contenu allait inévitablement pénétrer l’esprit de ceux qui les compilaient. Ce qui frappe avant tout, chez Palmer, c’est la conviction que le Prayer Book ne rompt pas la tradition des liturgies anciennes, mais se place résolument dans leur continuité historique. Une telle attitude eut l’effet d’une révélation pour nombre de ses lecteurs.

Les Tracts for the Time qui traitent de liturgie argumentent, en général, en faveur du respect du Prayer Book dans son intention primitive. Dans le Tract 9, Froude s’oppose à l’habitude de raccourcir les offices et plaide en faveur du retour d’éléments jusqu’alors négligés. Il sera appuyé en cela par Keble dans le Tract 84, une collection d’écrits de théologiens de l’anglicanisme primitif sur l’utilisation des textes. Dans le Tract 13, le même Keble demande le respect du lectionnaire dominical, en démontrant les principes sur lesquels il s’appuie.

Nous noterons cependant la nouveauté apportée par Froude dans le Tract 63 où, sur la base des Origines liturgicæ de Palmer, il démontre les caractéristiques essentielles des liturgies traditionnelles en prenant pour base quatre de celles-ci : le Canon romain, la liturgie de Saint-Jean Chrysostome, celle de Saint-Marc et la gallicane. Il dénie ensuite à la liturgie eucharistique du Prayer Book son caractère protestant, pour lui faire une place parmi les grandes liturgies traditionnelles. Il y déplore cependant l’absence de l’oblation sacrificielle, de la prière pour les défunts, du baiser de paix et de la fraction du pain. C’est le même Froude qui plaidera, en 1834, pour que l’on substitue à la liturgie du Prayer Book une bonne traduction de ce qu’il nomme la Liturgie de saint Pierre, c’est-à-dire du Missale Romanum. Froude, cependant, semble jouer les cavaliers seuls dans cette préhension de la liturgie anglicane. La publication de ses notes, après sa mort, causera le scandale parmi ses contemporains.

III.- Newman et la liturgie

a) Son intérêt pour l’étude de la liturgie

Dans le Tract 11, The Visible Church, il déclare que l’unité de l’Eglise se rend visible dans la liturgie. Celle-ci, d’après lui, n’est pas seulement un agencement arbitraire d’éléments épars, mais une juste expression de la louange, qui prend sa source dans l’Eucharistie et les autres sacrements.

Durant la plus grande partie de sa période anglicane, Newman a cependant suivi l’opinion de la majorité de ses confrères du mouvement tractarien, qui pourrait tenir dans ce slogan : le Prayer Book, rien que le Prayer Book, mais tout le Prayer Book. Avec eux, il est convaincu que c’est avant tout la liturgie qui fait l’Eglise. Dans sa pratique liturgique, il n’a jamais introduit d’éléments nouveaux et s’est contenté, jusqu’à sa conversion, d’observer scrupuleusement et intégralement les rubriques et les coutumes de son église.

Tout au long de son ministère, à Oxford, comme à Littlemore, il a célébré au côté nord de l’autel, vêtu du surplis, de la scarf[3] et du hood[4] académique. Il portait la même tenue pour la prédication, comme en témoignent les gravures que nous possédons. On nous dit aussi qu’à l’issue de son dernier sermon anglican à Saint Mary’s, intitulé The Parting of Friends, il est descendu de la chaire et a déposé le hood sur le banc de communion.

L’adoption des ornements liturgiques dans certaines, puis dans la plupart des églises anglicanes est, en effet, postérieure à la conversion de Newman.

Dans la nouvelle église qu’il a construite à Littlemore, et qui fut terminée en 1836, on peut voir un autel surmonté d’un retable et d’une croix de pierre. Il n’y a rien introduit qui ne correspondait à la pratique de l’époque dans l’église d’Angleterre. Un an plus tard, Bloxam, qui fut le vicaire de Newman de 1837 à 1840, a doté l’autel deux chandeliers dorés, copie de ceux que l’on peut voir à la chapelle de Magdalen College et de quelques autres objets qui devinrent, par la suite, courants dans la plupart des églises.

L’évolution liturgique de Newman a commencé dans les conversations qu’il avait avec Froude et s’est développée à mesure qu’il devait se livrer à l’étude pour poursuivre la publication des Tracts et approfondir ses sermons. Il possédait peu de livres liturgiques dans sa bibliothèque et l’on peut affirmer qu’une étape importante a été franchie lorsque, à la mort de Froude, il a reçu en souvenir l’édition du Bréviaire de ce dernier.

b) Une portée pastorale

Plus que dans l’étude, il semble que la sensibilité liturgique de Newman se manifeste dans sa vie de pasteur. Contrairement à une fausse image que l’on a parfois tracée de lui, il n’a pas été le savant isolé dans sa tour d’ivoire. Toute sa vie, depuis son ordination diaconale dans l’église anglicane jusqu’à sa mort en 1890, Newman a été un pasteur d’âmes.

Dans sa période anglicane, la réflexion constante sur l’essence de ce qu’il appelait The Church catholic a renforcé sa conviction que la liturgie est au centre de la foi et de la mission pastorale de l’Eglise. Ceux qui ont assisté aux offices qu’il célébrait, à Saint Clement’s d’abord, à Saint Mary’s et à Littlemore ensuite, ont pu expérimenter combien pour lui, la liturgie était la foi célébrée et transmise. Les offices quotidiens et la célébration eucharistique était pour lui l’essence même de la vie paroissiale. Dans les visites systématiques et assidues aux paroissiens, il insistait très fort sur la participation aux offices et à l’implication des fidèles dans la vie liturgique de l’Eglise. Pour lui, toute négligence ou omission dans la pratique liturgique était un manquement aux devoirs qu’à l’Eglise envers Dieu et les fidèles. Il exprime clairement cette conviction dans le Tract 75, dont il est l’auteur, et qui est intitulé The Daily Service.

La piété qui l’animait durant les célébrations n’a pas échappé à ses contemporains. Il attachait une grande importance à ce que nous appelons aujourd’hui la Liturgie de la Parole et transmettait sa dévotion par sa manière de célébrer et de prêcher. Grâce à son action pastorale, de plus en plus de fidèles assistaient aux offices, ce qui lui permettait de développer de plus en plus les célébrations liturgiques.

Avec prudence, il envisagea une célébration eucharistique hebdomadaire à Saint Mary’s, ce qui n’était pas dans les habitudes de l’époque. Il y avait pensé depuis 1836, mais ce n’est qu’à Pâques de l’année 1837 qu’il put réaliser son vœu avec, pour cette première fois, la participation de trente-six fidèles.

De même l’office divin, recommandé de manière quotidienne par le Prayer Book, mais souvent extrêmement négligé, retrouva sa place à Saint Mary’s. Matins et Evensong redevinrent des offices quotidiens à partir de 1834. A Littlemore, à partir de 1836, Newman ou l’un de ses vicaires se rendaient chaque jour à l’église pour l’Evensong.

Une autre pratique prévue par les réformateurs, mais tombée presque complètement en désuétude, fut remise à l’honneur, non sans critiques, au Carême de 1838 : la confession individuelle. Tout, dans la liturgie de Newman, avait essentiellement une vue pastorale.

A une époque où les sermons étaient souvent longs, redondants et peu stimulants pour la vie des fidèles, la prédication de Newman frappaient par leur profondeur, leur caractère spirituel et leur sincérité, qui invitaient ainsi les fidèles à mener une vie digne de leur foi. Selon les auditeurs, ils allaient droit au cœur et semblaient rencontrer les conditions de vie de chacun des fidèles. La devise cardinalice de Newman, Cor ad cor loquitur, résume à elle seule l’impact de son ministère. Les sermons paroissiaux de l’Evensong du dimanche ont été l’un des principaux agents de la réputation de Newman à Oxford. Ils attiraient les foules, et en particulier les étudiants.

Même si Newman n’a pas axé l’essentiel de sa réflexion sur la liturgie, l’influence de celle-ci transpire dans ses sermons. L’Eglise est, pour lui, la communauté de la louange : la Church catholic[5] est par nature sacramentelle et liturgique. L’un des critères essentiels pour vérifier l’authenticité d’une église et la qualité de sa liturgie, d’où sa volonté de restaurer l’observance de toutes les prescriptions du Prayer Book. Ce critère, dans un premier temps, lui semble suffisant : il voit son église comme revêtue de l’autorité et le Prayer Book comme organe de cette autorité.

Cependant, graduellement, il progresse vers une compréhension plus exigeante du rôle et du contenu de la liturgie. A mesure que croît son sens de la liturgie, il s’intéresse non seulement aux origines du Prayer Book, mais aussi aux limites de celui-ci. Influencé, à des niveaux différents, par Froude, Lloyd, Palmer, Keble et Pusey, il acquiert une vue nettement plus large du fondement liturgique de l’Eglise.

Sous l’influence de Froude, en particulier du Tract 63, il distingue la structure spécifique des prières eucharistiques en Orient et en Occident. Il comprend alors plus clairement que c’est l’Eglise de Rome qui a gardé et maintenu l’Eucharistie dans son intégralité, quel que puissent être les pratique dévotionnelles attachées à celle-ci.

Son étude de la liturgie va orienter de plus en plus ses pas vers Rome, à mesure que le mouvement tractarien poursuit son chemin et qu’avec Froude et d’autres compagnons, il approfondit sa connaissance de la liturgie romaine. Un pas décisif sera franchi lorsqu’à la mort de Froude, en souvenir de celui-ci, il reçoit l’édition du bréviaire romain. Pour la première fois, il peut se livrer à une étude en détails des offices du bréviaire, ce qui provoque en lui une grande admiration. Il se met alors à les réciter. On peut dire que le bréviaire a joué un rôle capital et formatif dans l’évolution de Newman. Il a marqué sa vie et l’a édifié.

Dans ce développement de sa pensé, la découverte du bréviaire a contribué, comme nous le verrons plus loin, à changer le regard, jusque là extrêmement critique, qu’il jetait sur l’Eglise de Rome.

c) L’Eucharistie

C’est également dans les sermons que l’on découvre la plus belle expression des convictions de Newman concernant la célébration de l’Eucharistie et du sens de ce qu’il nomme le ministère eucharistique de l’Eglise. Sa pensée s’appuie à la fois sur l’Ecriture et les écrits de Pères. Comme autrefois les Caroline divines, théologiens écossais du XVIIIe siècle, que l’on peut considérer comme les précurseurs du renouveau catholique dans l’église anglicane, il professe la foi en la présence réelle. Il est suivi en cela par la plupart des tractariens, comme d’ailleurs dans la foi au caractère sacrificiel du sacrement, même si les l’expression de celle-ci varie en fonction des auteurs.

Timide dans les premiers sermons, l’affirmation de ces convictions va grandissante et trouve son apogée dans l’exposé de la théorie de William Wilberforce, l’un des initiateurs du renouveau évangélique, sur l’offrande que fait le Christ de Lui-même dans l’Eucharistie.

Pusey lui-même embrayera cette conviction dans le Tract 81, en présentant la vision antique du sacrifice impétratoire, c’est-à-dire offert pour obtenir de nouveaux bienfaits, qui cependant ont été mérités autrefois par le Christ.

d) Le bréviaire

La découverte du bréviaire a contribué à changer le regard, jusque là extrêmement critique, qu’il jetait sur l’Eglise de Rome. Il a ouvert une fenêtre en direction de cette Eglise et l’a incité à la connaître davantage. Il avait l’intuition claire qu’en dépit de ses réticences, cette Eglise possédait un attrait particulier si le bréviaire était l’expression de sa vie spirituelle.

Le rencontre du bréviaire a signifié, pour Newman, sa première rencontre « de l’intérieur » avec la liturgie romaine et lui a fourni l’occasion de se livrer pour la première fois à l’étude approfondie d’un livre liturgique. Il a fait l’expérience d’un attrait et d’un enrichissement de la vie spirituelle que n’avait jamais pu lui apporter le Prayer Book, tant pour sa vie liturgique que spirituelle.

Le contenu du bréviaire le séduisait à bien des égards : il aimait la récitation du psautier en une semaine et la beauté des antiennes. Pratiquement toute l’Ecriture était lue à l’office des matines, ou du moins l’aurait été si les fêtes et commémorations de saints ne venaient pas constamment interrompre le cursus ordinaire. Il aimait les homélies des Pères du troisième nocturne. Les lectures hagiographiques, même si elles appelaient une sérieuse révision, lui donnaient un aperçu de l’histoire de l’Eglise et de son chemin spirituel. Tout au long de l’année, le cursus des offices célébrait avec une grande richesse de textes tant les temps liturgiques que le temps ordinaire, marqué ponctuellement par la célébration de fête du Seigneur, de la Sainte Vierge et des saints. Les moments de la journée se trouvaient eux-mêmes sanctifiés dans le cycle quotidien des offices. Antiennes, versets, répons, tout contribuait à l’enrichissement de la prière liturgique du bréviaire. Et par-dessus tout, Newman aimait les hymnes.

Son intérêt grandissant pour la liturgie, tant dans le soin apporté à la célébration des offices anglicans que dans son intérêt pour la liturgie romaine, a clarifié de plus en plus sa perception de la Church catholic, la véritable Eglise du Christ. Il a clairement compris la corrélation entre la liturgie que célèbre la communauté et son identité ecclésiale. Ce que le Père Alcuin Reid, dans son chef d’œuvre de synthèse, appelé The Organic development of the Liturgy[6], Newman l’a compris comme constitutif de l’identité même de l’Eglise et de son caractère d’Eglise unique du Christ.

Il y a une interaction constante entre liturgie et foi : la prière de l’Eglise, tout au long de son histoire, exprime sa foi telle qu’elle la proclame et la précise, et c’est la foi qui est à la source de la liturgie. La liturgie a une fonction normative pour former à la foi. Newman était très sensible à la manière dont la foi de l’Eglise s’est développée de manière systématique. C’est, en partie, en découvrant la liturgie et la manière dont elle exprime la foi de l’Eglise, qu’il est parvenu à cette intuition. La liturgie, dans son évolution, porte en elle l’évolution de la foi de l’Eglise. Elle exprime la foi de l’Eglise, et c’est cette foi qui lui donne son contenu.

La théologie liturgique n’était guère à l’honneur au début du XIXe siècle, elle a été remise à l’honneur à partir du milieu de celui-ci, ainsi qu’au XXe. Pour le théologien du XIXe, la liturgie était souvent une partie de la vie de l’Eglise qui existait par elle-même et consistait à rendre à Dieu le culte qui lui est du, sans pour autant toucher à la théologie. Chez Newman, la théologie liturgique, l’intuition citée plus haut, est implicite, elle transparaît nettement dans ses sermons : la liturgie en tant que telle, exprimée dans les principaux livres liturgiques, est bel et bien un locus theologicus.

Newman a tenté trois fois de traduire le bréviaire : deux fois le romain, une fois le bréviaire de Sarum, en usage autrefois dans les îles britanniques. Chacune de ces tentatives a avorté. A Littlemore, même lorsqu’il éprouvait encore de graves réticences vis-à-vis de Rome, la récitation du bréviaire rythmait la journée de la communauté, même si les offices anglicans continuaient d’être récités publiquement. Cette pratique n’allait pas sans créer des difficultés chez certains compagnons de Newman, qui devaient faire face aux rubriques de l’Office romain et à sa longueur.

Le bréviaire a fasciné Newman et l’a accompagné fidèlement sur le chemin de la conversion.

A l’apogée du mouvement tractarien, Newman adoptait sans doute la position autrefois tenue par Palmer, qui voyait le Prayer Book anglican dans la continuité du développement organique de la liturgie de l’Eglise, dans la ligne des grandes liturgies traditionnelles. A la période de Littlemore, à l’instar du Tract 63, dont Froude était l’auteur, il a réalisé la rupture radicale de l’œuvre de Cranmer par rapport à la liturgie catholique : Matins et Evensong, entre autres, n’étaient que des versions réduite à l’excès et expurgées des offices du bréviaire. Aidé par la prière quotidienne du bréviaire, il en est venu, non sans angoisses et conflits intérieurs, à identifier l’Eglise qui avait construit cette prière comme la véritable Eglise fondée sur les Apôtres. La comparaison des deux liturgies a été décisive dans le choix qu’il a dû faire entre l’église d’Angleterre et celle de Rome. Il voyait clairement que l’église dans laquelle il avait été baptisé et ordonné ne pouvait prétendre détenir l’autorité et l’apostolicité, et que sa liturgie manquait du caractère réellement catholique qui faisait l’objet de sa recherche. L’Eglise de Rome, par contre, en dépit des défauts qu’il lui trouvait, possédait toutes ces qualités, jusques et y compris une liturgie intégrale.

e) Le temps liturgique

Les sermons paroissiaux révèlent également un sens profond de l’année liturgique, articulée autour des mystères de l’Incarnation et de Pâques. Les temps liturgiques, de même que les fêtes, sont le sujet de nombreuses prédications. On y note également la présence de sermons pour les fêtes de saints, en particulier des apôtres, que Newman considère comme les piliers de la fondation de l’Eglise. Rien que pour l’année 1830, par exemple, on note un sermon sur Pierre, Jacques le Majeur, Barnabé, Barthélemy, Matthieu, Marc, Luc, Jean et Marie-Madeleine.

A côté des mystères et des fêtes, on note aussi des sermons qui traitent de la liturgie en tant que telle : vingt-six d’entre eux n’ont jamais été publiés. Une série de dix sermons, prêchés en 1830, est d’un intérêt tout particulier. Le premier d’entre eux traite de l’Eucharistie, action de grâce, en tant qu’essence de toute la louange chrétienne. Le prédicateur reprend ce thème et démontre la nécessité de textes établis et autorisés dans l’Eglise. Les trois suivants parlent du caractère enseignant de la liturgie, comme véhicule de la doctrine, selon la maxime connue Legem credendi statuat lex orandi. Les cinq derniers mettent l’accent sur la formation aux vertus que donne la liturgie : elle forme le caractère du chrétien en lui instillant la foi, l’espérance, le respect, l’abnégation et la charité. Newman insiste particulièrement sur l’observance du Carême dans le neuvième d’entre eux.

Entre 1831 et 1841, 41 sermons traitent du Carême. En 1828, il prêche six sermons sur le baptême, la confirmation et l’eucharistie.

Le sens liturgique profond de Newman n’est pas seulement à chercher dans les sujets de sa prédication, mais bien davantage dans le style et la structure de ceux-ci. Il ne s’agit pas de longues démonstrations théoriques, mais bien d’authentiques homélies basées sur la sainte Ecriture. Nous citerons à ce propos Placid Murray , qui les présente comme « fondamentalement dogmatique » en ce qu’ils récapitulent toute la tradition patristique de l’Incarnation, de la Rédemption et de la Trinité.

Nous pouvons y distinguer cinq intuitions de base, révélatrices de toute la conception qu’à Newman de la liturgie comme centre de la vie de l’Eglise :
– la conception du cycle pascal comme le temps sacramentel par excellence,
– la vision eschatologique du temps : les derniers temps inaugurés par la Résurrection du Christ jusqu’à son retour,
– le sentiment intérieur qu’éveille chez le chrétien la célébration des mystères,
– la présence du Ressuscité à son Eglise,
– la vision de l’histoire humaine comme histoire du Salut.

Déjà à l’honneur dans le Prayer Book, le temps liturgique trouve chez Newman une systématisation et une valeur d’enseignement et d’évangélisation, qui vise à former le chrétien et la communauté.

Conclusion

En guise de conclusion, nous citerons l’Apologia pro vita sua. Lorsqu’il en arrive à décrire la charnière entre les deux principales périodes de sa vie, le nouveau bienheureux, avec l’art des formules qui le caractérise, nous livre cette synthèse de son évolution vers la l’Eglise romaine et sa liturgie :

Je la regardais (l’Eglise de Rome) : avec ses rites, ses cérémonies et ses prescriptions, et j’ai dit « ça, c’est la religion ». Puis j’ai jeté un regard sur notre pauvre église anglicane, pour laquelle j’avais travaillé avec tant de zèle et à laquelle j’appartenais inconditionnellement. Et malgré mes tentatives de lui donner une base doctrinale et esthétique, elle me semblait la pire des inconsistances.

Abbé Jean-Pierre Herman
Conférence au Circolo culturale John Henry Newman, Seregno (Lombardie), le 12 novembre 2010.
Traduit de l’italien.

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Pour approfondir le sujet :
Bibliographie
Ouvrages en langue française
• Keith Beaumont, Petite Vie de John Henry Newman, Desclée de Brouwer, 2005
• Louis Bouyer, Newman, sa vie, sa spiritualité, Éditions du Cerf, 2009 (1ère édition 1952)
• Louis Bouyer, Newman, le mystère de la foi : Une théologie pour un temps d’apostasie, Ad Solem, 2006.
• Henri Bremond, Newman, essai de biographie psychologique, Librairie Bloud et Gay, Paris, 1932, 8e éd. (1re éd. 1906)
• Owen Chadwick , John Henry Newman, Éditions du Cerf, 1989
• Louis Cognet, Newman et la recherche de la vérité, 1967
• Christopher Dawson, Newman et la modernité : l’épopée du Mouvement d’Oxford, Ad Solem, 2001
• Charles Stephen Dessain, Présence de Newman. Thèmes spirituels, Éditions du Cerf, 1993
• Charles Stephen Dessain, Pour connaître Newman, Ad Solem, 2002
• Ramon Fernandez, Newman, Ad Solem, 201023
• Pierre Gauthier, Newman et Blondel : Tradition et développement du dogme, Éditions du Cerf, coll. « Cogitatio Fidei », 1988
• Jean Honoré, La Pensée christologique de Newman, Desclée de Brouwer, 1996
• Jean Honoré, John Henry Newman, Un homme de Dieu, Éditions du Cerf, coll. « Histoire », 2003
• Jean Honoré, John Henry Newman : le combat de la vérité, Éditions du Cerf, 2010
• Jean Honoré, La Pensée de John Henry Newman, Ad Solem, 2010
• Bertrand de Margerie, Newman face aux religions de l’humanité, Parole et Silence, Genève, 2001
• Jean Stern, Bible et tradition chez Newman, Éditions Aubier, 1967
• Xavier Tilliette, La Mémoire et l’Invisible, Ad Solem, 2002
• Xavier Tilliette, L’Église des philosophes, Éditions du Cerf, 2006
• Collectif, Le cardinal Newman, Téqui, 1985
Article en langue française
• Bernard Dupuy, op, « John Henry Newman », Encyclopaedia universalis
Autres langues
• (en) Avery Dulles, John Henry Newman, 2002
• (en) James, ed. Collins, Philosophical Readings in Cardinal Newman, Editions Regnery (en), Chicago, 1961
• (en) Ian Ker, John Henry Newman: A Biography, Oxford, New York N.Y., 1988 (ISBN 0192827057)
• (en) Placid Murray, Newman the Oratorian; his unpublished Oratory papers. Edited with an introductory study on the continuity between his Anglican and his Catholic ministry, Dublin, 1969.
• (en) Jay Newman (en), The Mental Philosophy of John Henry Newman, Presse universitaire Wilfrid Laurier (en), Ontario, Canada, 1986 (ISBN 0889201862)
• (en) Thomas J. Norris, Newman and His Theological Method: A Guide for the Theologian Today, E. J. Brill, Leiden, 1977 (ISBN 9004048847)
• (en) J. H. Walgrave, Newman the Theologian: The Nature of Belief and Doctrine as Exemplified in His Life and Works, Geoffrey Chapman (en), Londres, 1960
• W. Ward, The Life of John Henry cardinal Newman, Londres, 1912

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Notes :    (↵ reviens au texte)

  1. Terme anglais qui désigne le curé et, dans le langage populaire, tout prêtre. Paradoxalement, le vicaire, lui, est désigné par le terme curate.
  2. Maisie Ward, Young Mr. Newman, New York, 1948, p. 111, cité par Louis Bouyer, Newman, sa vie, sa spiritualité, Éditions du Cerf, 2009 (1ère édition 1952).
  3. Lit. écharpe, sorte d’étole évasée à ses bords, que les ministres anglicans portent sur le surplis comme habit de chœur et aussi lorsqu’ils célèbrent la liturgie.
  4. Lit. capuchon. Ce capuchon large est porté par les titulaires de titres académiques. La combinaison des étoffes et des couleurs permet de voir le titre qu’ils portent et l’université qui le leur a conféré. Les ministres anglicans le portent sur le surplis.
  5. Newman désigne par ce terme l’Eglise universelle, indivise, à la différence du terme Catholic Church qui, lui, désigne l’Eglise de Rome.
  6. Le développement organique de la liturgie. Alcuin Reid, The Organic Development of the Liturgy: The Principles of Liturgical Reform and Their Relation to the Twentieth-Century Liturgical Movement Prior to the Second Vatican Council, San Francisco, 2004.